J'avoue qu'en ce début janvier, j'ai du mal à m'y mettre. Difficile de commenter l'actualité politique quand tout paraît paralysé. Il faut remonter à la IVème République pour trouver un gouvernement qui se soit trouvé à ce niveau de paralysie au bout d'à peine huit mois au pouvoir. Il est vrai, d'autres gouvernements de la Vème République se sont usés plus ou moins rapidement. Mais ce fut en général la conséquence d'une "bronca" des citoyens, d'une colère qui a pris corps suite à une erreur politique. Mauroy est ainsi tombé sur la question de l'Ecole libre, après une manifestation massive, et Juppé comme conséquence d'une grève qui a paralysé le pays sans pour autant devenir impopulaire. Ici, rien de tel. L'opinion est tranquille: pas de grandes manifestations, pas de grève générale à l'horizon, pas même un bon arrêt de travail dans les transports. Et pourtant, le gouvernement semble affligé de la malédiction de Midas à l'envers: tout ce qu'il touche est tourné en plomb.
L'action du gouvernement est paralysée par deux facteurs de nature très différente. Le premier est la situation économique et les "engagements européens" qui ont été pris comme conséquence. La recherche permanente de dépenses à couper et de programmes à supprimer ne laisse pas beaucoup de moyens et de temps. Mais le deuxième facteur est, lui, interne au gouvernement: c'est sa propre incompétence et impréparation. On peut penser ce qu'on veut des positions politiques des ministres et de leurs cabinets. Mais la multiplication de bourdes techniques montre que ces gens-là ne sont pas à la hauteur de leur tâche. L'erreur sur laquelle la loi Duflot a naufragé est une erreur de procédure tellement évidente qu'on se dit qu'il a fallu au conseiller chargé de cette affaire une bonne dose de foi dans la toute-puissance des ministres - et à sa ministre une bonne dose de foi dans sa propre toute-puissance - pour laisser passer une telle bourde. Il serait trop long de faire la liste des textes avortés (comme l'imposition à 75% ou la loi Duflot, annulés par le Conseil constitutionnel) ou tout simplement embourbés sous le poids de leurs propres défauts (comme la loi instituant la tarification progressive de l'énergie, rejetée par le Sénat et maintenant coincée au niveau de la commission mixte paritaire). Dans beaucoup de cabinets, on a maintenant peur de faire le moindre mouvement, conscients que le comique de répétition a atteint ses limites. Certains se demandent si ce gouvernement est en mesure de faire passer la loi sur le "mariage pour tous": la crainte n'est pas de ne pas avoir la majorité nécessaire, mais de ne pas avoir la capacité de rédiger et de négocier avec les associations et avec les alliés un texte de qualité suffisante pour "tenir" devant le Conseil constitutionnel.
Mais laissons de côté ces considérations, pour nous consacrer à quelque chose de plus léger. Je veux bien entendu parler de la sortie de notre Bouffi national, Gérard Dépardieu (ou faut il maintenant dire "Dipardiou", comme le font les Russes ?). Tout commence par quelque chose de bien banal: monsieur Dépardieu, qui gagne aujourd'hui beaucoup, mais alors beaucoup d'argent, et qui a accumulé un patrimoine considérable, trouve qu'il paye trop d'impôts. Et il veut déménager vers des cieux plus cléments, ou les impôts pour les gens comme lui sont beaucoup plus faibles. Ce n'est pas glorieux, mais ce n'est pas non plus un crime. C'est même d'une désespérante banalité: depuis la plus haute antiquité, les travailleurs tendent à aller là où leur travail est mieux rémunéré, et les riches là où leur capital est le mieux protégé. Chacun cherche son profit, et c'est - non pas normal - logique. Bien entendu, le monde est fait de telle manière que les travailleurs ont beaucoup de difficultés à aller là où les salaires sont les meilleurs, mais ceux qui ont de l'argent n'ont aucune difficulté à aller là où leur intérêt les mène. Mais c'est là une autre histoire.
Ce qui est moins banal, c'est la suite: interrogé sur ce que pensait de ce genre d'agissement, Jean-Marc Ayrault - qui, pour ceux qui ne l'auraient pas remarqué, est notre premier ministre - a opiné, fort sagement pour une fois, qu'il s'agissait d'un procédé "minable". Et là, le sang du Bouffi ne fit qu'un tour, et voilà que Dipardiou se drape dans la dignité de la vierge offensée - un rôle dans lequel il n'est pas véritablement crédible - pour défendre son honneur souillé. Ce texte vaut la peine d'être largement cité:
Minable, vous avez dit "minable"? Comme c’est minable.
Je suis né en 1948, j’ai commencé à travailler à l’âge de 14 ans comme imprimeur, comme manutentionnaire puis comme artiste dramatique. J’ai toujours payé mes taxes et impôts quel qu’en soit le taux sous tous les gouvernements en place.
À aucun moment, je n’ai failli à mes devoirs. Les films historiques auxquels j’ai participé témoignent de mon amour de la France et de son histoire.
Des personnages plus illustres que moi ont été expatriés ou ont quitté notre pays.
Je n’ai malheureusement plus rien à faire ici, mais je continuerai à aimer les Français et ce public avec lequel j’ai partagé tant d’émotions!Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés.
Je ne demande pas à être approuvé, je pourrais au moins être respecté.
Tous ceux qui ont quitté la France n’ont pas été injuriés comme je le suis.
Je n’ai pas à justifier les raisons de mon choix, qui sont nombreuses et intimes.
Je pars, après avoir payé, en 2012, 85% d’impôt sur mes revenus. Mais je conserve l’esprit de cette France qui était belle et qui, j’espère, le restera.
Je vous rends mon passeport et ma Sécurité sociale, dont je ne me suis jamais servi. Nous n’avons plus la même patrie, je suis un vrai Européen, un citoyen du monde, comme mon père me l’a toujours inculqué.
Je trouve minable l’acharnement de la justice contre mon fils Guillaume jugé par des juges qui l’ont condamné tout gosse à trois ans de prison ferme pour 2 grammes d’héroïne, quand tant d’autres échappaient à la prison pour des faits autrement plus graves.
Je ne jette pas la pierre à tous ceux qui ont du cholestérol, de l’hypertension, du diabète ou trop d’alcool ou ceux qui s’endorment sur leur scooter : je suis un des leurs, comme vos chers médias aiment tant à le répéter.
Je n’ai jamais tué personne, je ne pense pas avoir démérité, j’ai payé 145 millions d’euros d’impôts en quarante-cinq ans, je fais travailler 80 personnes dans des entreprises qui ont été créées pour eux et qui sont gérées par eux.
Je ne suis ni à plaindre ni à vanter, mais je refuse le mot "minable".
Qui êtes-vous pour me juger ainsi, je vous le demande monsieur Ayrault, Premier ministre de monsieur Hollande, je vous le demande, qui êtes-vous? Malgré mes excès, mon appétit et mon amour de la vie, je suis un être libre, Monsieur, et je vais rester poli.
Il faut dire les choses comme elles sont. Depardieu dans cette lettre prend ses lecteurs - et ses compatriotes - pour des imbéciles. Oui, "des personnages plus illustres que lui ont été expatriés ou ont quitté le pays" sans avoir pour autant été "injuriés". Mais en général, ces gens ont quitté le pays et pris le dur chemin de l'exil parce que leur vie ou leur liberté et celle de leurs proches étaient menacées. Et on imagine mal Hugo ou De Gaulle choisissant le pays de leur exil en fonction de sa législation fiscale, puis écrivant de leur exil une lettre pour se plaindre d'avoir payé trop d'impôts. Car c'est là le problème. Depardieu a beau écrire qu'il "n'a pas a justifier les raisons de son choix [de s'expatrier] qui sont nombreuses et intimes" - ce en quoi il a parfaitement raison - cela n'implique pas qu'il soit interdit à ses concitoyens de se poser des questions et de tirer les conclusions qui s'imposent. Depardieu est un homme public, et ce statut a ses avantages mais aussi ses servitudes.
Depardieu a beau refuser le mot "minable". Mais comment qualifier son attitude ? Non seulement celle de s'exiler sous des cieux fiscalement plus cléments, mais surtout celel qui consiste à ne pas assumer son choix et de vouloir l'occulter derrière "ses raisons nombreuses et intimes". D'ailleurs, Depardieu a du mal a assumer ses propres actes. On le voit dans le paragraphe où il va jusqu'à déterrer le cadavre de son propre fils pour se poser à travers lui en victime. Si Guillaume Depardieu est allé en prison, ce n'est pas parce que "des juges l'ont condamné (...) quand d'autres échappaient à la prison pour des faits autrement plus graves". C'est parce que son fils a eu une longue dérive vers la délinquance, avec de nombreuses comparutions devant les juges, pour aboutir à une condamnation à trois ans de prison ferme - dont la star oublie de dire qu'il n'a effectué que la moitié - non pas pour "deux grammes d'héroine" mais pour "usage, importation et trafic" d'héroïne. Que voulait-il que les juges fassent, qu'ils lui donnent une médaille ? Il faut ajouter qu'après cette peine Guillaume Depardieu fut condamné plusieurs fois pour des infractions routières et pour violences envers les agents publics. Et si son fils s'est comporté ainsi, peut-être qu'il y a une part de responsabilité dans l'éducation qu'il a reçu de son père, non ?
Mais le paragraphe qui est peut-être le plus révélateur est celui-ci : "Je vous rends mon passeport et ma Sécurité sociale, dont je ne me suis jamais servi. Nous n’avons plus la même patrie,
je suis un vrai Européen, un citoyen du monde, comme mon père me l’a toujours inculqué". Ce paragraphe, à lui seul, résume une philosophie de vie. Depardieu, comme beaucoup de gens dans sa
situation de fortune, en arrivent à croire qu'ils sont "arrivés tous seuls". Ils oublient, un peu rapidement, qu'ils sont le produit d'une société, qui a payé leur éducation, leurs soins - je
doute que Madame Depardieu mère ait eu les moyens de s'offrir la clinique privée pour mettre au monde Gérard - et toute une série de services communs sans lesquels le génie n'arriverait jamais à
s'exprimer. Le mythe du self-made-man qui s'élève comme le Baron de Munchausen en tirant les lacets de ses propres chaussures n'est que cela, un mythe. Dans la réalité, la voiture du
self-made-man ne lui servirait à rien s'il n'y avait sous ses roues une route construite par l'effort de tous. Depardieu a eu son opportunité grâce à un système de financement du cinéma - comme
l'a pointé Torreton dans sa réponse à l'exabrupte du Bouffi - purement étatique, qui a permis de continuer à faire des films "d'auteur" qui ont fait sa gloire mais aussi et surtout sa fortune.
C'est une version raffinée du fameux principe "socialiser les pertes et privatiser les bénéfices": si vous échouez, c'est la faute à l'Etat qui doit vous verser une compensation, si vous
réussissez, c'est exclusivement par votre propre mérite, et il est scandaleux que l'Etat cherche à prèlever quelque chose sur votre succès.
Je continue à penser que ce paragraphe de la lettre du Bouffi n'a pas été pris suffisamment au sérieux. Depardieu demande le "respect". Fort bien: respectons sa volonté exprimée ici par écrit. Tant qu'il n'avait que la nationalité française, les traités internationaux ratifiés par la France empêchaient le gouvernement de faire droit à sa demande d'être débarrassé de la citoyenneté française. Mais maintenant qu'il a été naturalisé russe, rien ne s'oppose plus à ce que le gouvernement instruise la demande - demande formulée par écrit et publiquement - de Dépardieu d'être déchu de son passeport, et publie le décret correspondant. Mais peut-être qu'alors notre Bouffi national, ce "citoyen européen" qui méprise tant notre sécurité sociale, retirera sa demande ? Dommage qu'Ayrault et sa bande n'aient pas le courage d'aller jusqu'au bout du bluff de Depardieu...
Descartes
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