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par
Descartes
Les débats du "groupe de travail de l'autre gauche" (1) prennent de plus en plus un caractère surréaliste. Déclarations, contre-déclarations se succèdent. Chaque organisation fait son propre
compte-rendu, qui est immédiatement contredit par le compte rendu des autres. De tout ce fatras de danses et contredanses, on finit par comprendre un certain nombre de choses.
D'abord, il faut constater que ce "groupe de travail" ne comprend en fait que deux véritables organisations politiques et demie: le PCF et le NPA sont les deux organisations, le PG la demie. A côté, une flopée de groupuscules divers, n'ayant sur le terrain aucune présence militante réelle. Quel poids réel en terme de militants ou d'électeurs ont le MPEP, les Alternatifs, La Fédération ? Qui, en dehors des cafés enfumés qui entourent certaines facultés, connaît le nom de ces organisations ? Qui, en dehors de ces lieux mal famés, peut citer un article de leurs professions de foi ou de leurs programmes respectifs ? En fait, ces groupuscules servent souvent de paravent aux ambitions personnelles de certains "notables" en délicatesse avec leur parti d'origine. Ainsi, le MPEP est le refuge de Jacques Nikonoff (2), la Fédération sert de havre à Pierre Zarka, à Clémentine Autain, à Gilles Alfonsi... et ainsi de suite (3).
Laissons donc de côté cette galaxie. Il reste les poids lourds, le PCF et le NPA. C'est de leurs rapports que dépendra l'issue des discussion. Or, il est clair qu'il existe entre le PCF et le NPA une divergence de fond, qui prolonge d'ailleurs un débat qui a plus de quarante ans entre le PCF et la LCR. Les deux organisations ont beau avoir jeté par dessus bord la faucille et le marteau, ils ne restent pas moins fondamentalement opposées dans leur conception de la politique. Du côté du PCF, on a une analyse essentiellement institutionnelle: changer la société implique une implantation forte à l'intérieur des institutions, implantation qui dépasse le pur témoignage. Il s'agit de participer à des majorités de gouvernement, y compris lorsqu'elles sont conduites par des sociaux-libéraux (4). La "mutation" des années 1990, qui a donné aux élus un poids écrasant au sein du PCF n'a fait qu'accentuer cette disposition, notamment lorsqu'il s'agit d'exercer des responsabilités locales.
Le NPA continue, quant à lui, une position soutenue par la LCR depuis mai 1968. Et ce n'est pas par hasard si ce parti a choisi comme emblème un porte-voix. Le NPA n'est pas intéressé par le pouvoir - ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas intéressé par les postes - et d'ailleurs on peut se demander ce qu'il en ferait s'il l'avait, vu le vide sidéral de son projet. Le NPA veut des sièges, oui, mais pour en faire des porte-voix. Le but n'est pas de voter un budget qui convienne, c'est de voter contre un budget qui ne convient pas, et de le faire savoir. Et aucun budget ne conviendra jamais au NPA, puisqu'aucun budget proposé par le PS ou le PCF ne saurait être assez révolutionnaire. Le NPA est dans la logique de demander chaque fois l'impossible, et d'en faire ensuite un casus belli s'il ne l'obtient pas. En d'autres termes, pour le NPA les institutions sont des lieux de propagande, alors que pour le PCF ce sont des lieux d'action.
Les deux positions sont fort respectables. Mais clairement, elles sont incompatibles. On peut difficilement aller exposer un projet devant les électeurs alors que pour l'un des partenaires il est essentiel de rechercher une majorité pour le mettre en oeuvre ne serait-ce que partiellement et au prix d'un certain nombre de concessions, tandis que l'autre partenaire se place dans une position "tout ou rien" et refuse le moindre compromis. On peut - et c'est ce que Mélenchon propose - de faire semblant de ne pas voir le problème avant le deuxième tour. On peut proposer un système de "fusions techniques" au deuxième tour qui permettraient à chacun de conserver sa liberté de parole et de vote. Aucune de ces solutions n'est réaliste si l'on veut conquérir un autre électorat qui ne soit purement protestataire. Les électeurs s'attendent à ce que les représentants des listes présentées à leurs suffrages leur expliquent comment ils comptent gérer leur Région, et cela avec un minimum de cohérence. Des listes qui parlent à plusieurs voix, c'est la recette pour un désastre.
Par ailleurs, le PCF a des positions acquises dans les exécutifs régionaux de longue date, positions qu'il n'entend pas mette en danger au nom d'on ne sait quelle "union de l'autre gauche". Et quand bien même la direction nationale du PCF serait prête à faire ce sacrifice, ce sont les "notables" locaux qui mènent la danse. Et il sera difficile de les convaincre de mettre en danger leurs fauteuils pour faire plaisir à Olivier Besancenot. Le problème étant ainsi posé, il est clair que l'accord unitaire de "l'autre gauche" auquel le PG tient tant ne peut être que local, au cas par cas, et aux conditions posées par le PCF depuis très longtemps déjà. Et c'est là que le NPA se trouve en difficulté.
La mutation de la LCR vers le NPA avait parmi ses objectifs celui de sortir du ghetto gauchiste et devenir un véritable parti de masse. L'ennui, c'est que pour devenir un parti de masse il faut proposer une vision du monde qui puisse attirer les masses. Or les masses ne s'intéressent guère à la révolution permanente et à des lendemains qui sont toujours reportés au lendemain. Les masses veulent des changements maintenant, même s'il s'agit de changements mineurs, et dans la France d'aujourd'hui qui n'est pas - quoi qu'en disent certains - dans une situation révolutionnaire, la seule façon de changer quelque chose est en conquérant des positions de pouvoir. Le PCF a tranché ce même débat à la fin des années '30, et sa participation d'abord dans le Front Populaire puis dans les gouvernements de la Libération (dans le deux cas avec des sociaux-traîtres et des centristes) lui a permis de passer d'un groupuscule de quelques milliers d'adhérents à un parti de masse. Ce passage nécessite de descendre de l'Aventin et de mettre les mains dans le cambouis. Non pas dans la rue avec des porte-voix, mais dans les mairies, les conseils et les ministères. Et cela suppose de sacrifier la pureté des idéaux aux jeu pas toujours très ragoûtants des rapports de force. Si l'on refuse ce jeu, alors on s'enferme dans le vote protestataire. Et ce vote a des limites assez étroites.
Le NPA a donc un choix à faire. D'accord, le PS est un ramassis de social-traîtres. D'accord, le MODEM ce sont des centristes qui lorgnent à droite. Mais le fait est qu'on voit mal comment l'UMP pourrait être battue autrement que par une alliance dont le centre de gravité serait au centre-gauche. On peut toujours choisir de préserver la pureté révolutionnaire en refusant tout compromis et vivre dans la stratosphère des idées théoriques en attendant que la révolution vienne (et en laissant les leviers du pouvoir à Sarkozy et consorts). Ou alors il faut descendre sur terre, choisir parmi les options réelles, et se battre sur une véritable arène politique avec les instruments qui sont ceux de la politique. Le propre de l'enfance, c'est d'ignorer la différence qui existe entre ce qu'on veut et ce qu'on peut fait. Il est grand temps que le NPA abandonne la fiction de toute-puissance de l'enfance et devienne adulte.
Le NPA a essayé le superbe isolement lors des européennes, et cela ne lui a pas vraiment réussi. L'attitude que le NPA prend dans les discussions en cours montre clairement qu'il n'a toujours pas compris pourquoi. Aussi longtemps que le NPA n'aura pas fait cet effort de clarification, l'unité de "l'autre gauche" restera aussi incongrue que le mariage de la carpe et du lapin.
Descartes
(1) C'est ainsi qu'il est nommé dans le site du PG. Un nom assez révélateur de la difficulté de cette partie du spectre politique de se donner une définition positive d'elle même. En fait, ce rassemblement hétéroclite n'a en commun qu'une chose, la méfiance envers le PS.
(2) Viré d'ATTAC après un épisode de fraude électorale qui, selon les tribunaux, ne peut être attribuée à personne. Il reste que J. Nikonoff était à l'époque président de l'association, et à ce titre responsable de la transparence dans son fonctionnement. Il reste aussi qu'il était le bénéficiaire de la fraude en question. Une coïncidence, sans doute.
(3) Il n'aura échappé à personne que parmi les "notables" de cette galaxie d'organisations figure un grand nombre de personnages qui ont fait partie de la "cour" de Robert Hue quand il était Sécretaire national du PCF. Ce n'est pas une coïncidence: la pratique Huesque de promouvoir rapidement dans les instances du PCF des "personnalités" venant de l'extérieur a attiré toute une ménagerie de petits ambitieux sans trop de scrupules. Une fois Hue viré, ces personnages se sont cherchés des pâtures plus vertes. Clémentine Autain est peut-être le meilleur exemple de cette trajectoire.
(4) On remarquera que la décision de participer jusqu'au bout au gouvernement de la "gauche plurielle" - et cela malgré les mesures nettement libérales comme la continuation des privatisations - n'a jamais fait l'objet d'une critique sérieuse. Si la même configuration venait à se répéter, il n'y a pas de raison de croire que le PCF refuserait de participer au gouvernement. Ce qui, d'ailleurs, montre que le rejet de toute majorité qui inclurait le MODEM est une pure question symbolique. Après tout, il y avait dans le gouvernement Jospin de 1997-2002 des personnalités dont les idées ne défriseraient pas vraiment Monsieur Bayrou...
D'abord, il faut constater que ce "groupe de travail" ne comprend en fait que deux véritables organisations politiques et demie: le PCF et le NPA sont les deux organisations, le PG la demie. A côté, une flopée de groupuscules divers, n'ayant sur le terrain aucune présence militante réelle. Quel poids réel en terme de militants ou d'électeurs ont le MPEP, les Alternatifs, La Fédération ? Qui, en dehors des cafés enfumés qui entourent certaines facultés, connaît le nom de ces organisations ? Qui, en dehors de ces lieux mal famés, peut citer un article de leurs professions de foi ou de leurs programmes respectifs ? En fait, ces groupuscules servent souvent de paravent aux ambitions personnelles de certains "notables" en délicatesse avec leur parti d'origine. Ainsi, le MPEP est le refuge de Jacques Nikonoff (2), la Fédération sert de havre à Pierre Zarka, à Clémentine Autain, à Gilles Alfonsi... et ainsi de suite (3).
Laissons donc de côté cette galaxie. Il reste les poids lourds, le PCF et le NPA. C'est de leurs rapports que dépendra l'issue des discussion. Or, il est clair qu'il existe entre le PCF et le NPA une divergence de fond, qui prolonge d'ailleurs un débat qui a plus de quarante ans entre le PCF et la LCR. Les deux organisations ont beau avoir jeté par dessus bord la faucille et le marteau, ils ne restent pas moins fondamentalement opposées dans leur conception de la politique. Du côté du PCF, on a une analyse essentiellement institutionnelle: changer la société implique une implantation forte à l'intérieur des institutions, implantation qui dépasse le pur témoignage. Il s'agit de participer à des majorités de gouvernement, y compris lorsqu'elles sont conduites par des sociaux-libéraux (4). La "mutation" des années 1990, qui a donné aux élus un poids écrasant au sein du PCF n'a fait qu'accentuer cette disposition, notamment lorsqu'il s'agit d'exercer des responsabilités locales.
Le NPA continue, quant à lui, une position soutenue par la LCR depuis mai 1968. Et ce n'est pas par hasard si ce parti a choisi comme emblème un porte-voix. Le NPA n'est pas intéressé par le pouvoir - ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas intéressé par les postes - et d'ailleurs on peut se demander ce qu'il en ferait s'il l'avait, vu le vide sidéral de son projet. Le NPA veut des sièges, oui, mais pour en faire des porte-voix. Le but n'est pas de voter un budget qui convienne, c'est de voter contre un budget qui ne convient pas, et de le faire savoir. Et aucun budget ne conviendra jamais au NPA, puisqu'aucun budget proposé par le PS ou le PCF ne saurait être assez révolutionnaire. Le NPA est dans la logique de demander chaque fois l'impossible, et d'en faire ensuite un casus belli s'il ne l'obtient pas. En d'autres termes, pour le NPA les institutions sont des lieux de propagande, alors que pour le PCF ce sont des lieux d'action.
Les deux positions sont fort respectables. Mais clairement, elles sont incompatibles. On peut difficilement aller exposer un projet devant les électeurs alors que pour l'un des partenaires il est essentiel de rechercher une majorité pour le mettre en oeuvre ne serait-ce que partiellement et au prix d'un certain nombre de concessions, tandis que l'autre partenaire se place dans une position "tout ou rien" et refuse le moindre compromis. On peut - et c'est ce que Mélenchon propose - de faire semblant de ne pas voir le problème avant le deuxième tour. On peut proposer un système de "fusions techniques" au deuxième tour qui permettraient à chacun de conserver sa liberté de parole et de vote. Aucune de ces solutions n'est réaliste si l'on veut conquérir un autre électorat qui ne soit purement protestataire. Les électeurs s'attendent à ce que les représentants des listes présentées à leurs suffrages leur expliquent comment ils comptent gérer leur Région, et cela avec un minimum de cohérence. Des listes qui parlent à plusieurs voix, c'est la recette pour un désastre.
Par ailleurs, le PCF a des positions acquises dans les exécutifs régionaux de longue date, positions qu'il n'entend pas mette en danger au nom d'on ne sait quelle "union de l'autre gauche". Et quand bien même la direction nationale du PCF serait prête à faire ce sacrifice, ce sont les "notables" locaux qui mènent la danse. Et il sera difficile de les convaincre de mettre en danger leurs fauteuils pour faire plaisir à Olivier Besancenot. Le problème étant ainsi posé, il est clair que l'accord unitaire de "l'autre gauche" auquel le PG tient tant ne peut être que local, au cas par cas, et aux conditions posées par le PCF depuis très longtemps déjà. Et c'est là que le NPA se trouve en difficulté.
La mutation de la LCR vers le NPA avait parmi ses objectifs celui de sortir du ghetto gauchiste et devenir un véritable parti de masse. L'ennui, c'est que pour devenir un parti de masse il faut proposer une vision du monde qui puisse attirer les masses. Or les masses ne s'intéressent guère à la révolution permanente et à des lendemains qui sont toujours reportés au lendemain. Les masses veulent des changements maintenant, même s'il s'agit de changements mineurs, et dans la France d'aujourd'hui qui n'est pas - quoi qu'en disent certains - dans une situation révolutionnaire, la seule façon de changer quelque chose est en conquérant des positions de pouvoir. Le PCF a tranché ce même débat à la fin des années '30, et sa participation d'abord dans le Front Populaire puis dans les gouvernements de la Libération (dans le deux cas avec des sociaux-traîtres et des centristes) lui a permis de passer d'un groupuscule de quelques milliers d'adhérents à un parti de masse. Ce passage nécessite de descendre de l'Aventin et de mettre les mains dans le cambouis. Non pas dans la rue avec des porte-voix, mais dans les mairies, les conseils et les ministères. Et cela suppose de sacrifier la pureté des idéaux aux jeu pas toujours très ragoûtants des rapports de force. Si l'on refuse ce jeu, alors on s'enferme dans le vote protestataire. Et ce vote a des limites assez étroites.
Le NPA a donc un choix à faire. D'accord, le PS est un ramassis de social-traîtres. D'accord, le MODEM ce sont des centristes qui lorgnent à droite. Mais le fait est qu'on voit mal comment l'UMP pourrait être battue autrement que par une alliance dont le centre de gravité serait au centre-gauche. On peut toujours choisir de préserver la pureté révolutionnaire en refusant tout compromis et vivre dans la stratosphère des idées théoriques en attendant que la révolution vienne (et en laissant les leviers du pouvoir à Sarkozy et consorts). Ou alors il faut descendre sur terre, choisir parmi les options réelles, et se battre sur une véritable arène politique avec les instruments qui sont ceux de la politique. Le propre de l'enfance, c'est d'ignorer la différence qui existe entre ce qu'on veut et ce qu'on peut fait. Il est grand temps que le NPA abandonne la fiction de toute-puissance de l'enfance et devienne adulte.
Le NPA a essayé le superbe isolement lors des européennes, et cela ne lui a pas vraiment réussi. L'attitude que le NPA prend dans les discussions en cours montre clairement qu'il n'a toujours pas compris pourquoi. Aussi longtemps que le NPA n'aura pas fait cet effort de clarification, l'unité de "l'autre gauche" restera aussi incongrue que le mariage de la carpe et du lapin.
Descartes
(1) C'est ainsi qu'il est nommé dans le site du PG. Un nom assez révélateur de la difficulté de cette partie du spectre politique de se donner une définition positive d'elle même. En fait, ce rassemblement hétéroclite n'a en commun qu'une chose, la méfiance envers le PS.
(2) Viré d'ATTAC après un épisode de fraude électorale qui, selon les tribunaux, ne peut être attribuée à personne. Il reste que J. Nikonoff était à l'époque président de l'association, et à ce titre responsable de la transparence dans son fonctionnement. Il reste aussi qu'il était le bénéficiaire de la fraude en question. Une coïncidence, sans doute.
(3) Il n'aura échappé à personne que parmi les "notables" de cette galaxie d'organisations figure un grand nombre de personnages qui ont fait partie de la "cour" de Robert Hue quand il était Sécretaire national du PCF. Ce n'est pas une coïncidence: la pratique Huesque de promouvoir rapidement dans les instances du PCF des "personnalités" venant de l'extérieur a attiré toute une ménagerie de petits ambitieux sans trop de scrupules. Une fois Hue viré, ces personnages se sont cherchés des pâtures plus vertes. Clémentine Autain est peut-être le meilleur exemple de cette trajectoire.
(4) On remarquera que la décision de participer jusqu'au bout au gouvernement de la "gauche plurielle" - et cela malgré les mesures nettement libérales comme la continuation des privatisations - n'a jamais fait l'objet d'une critique sérieuse. Si la même configuration venait à se répéter, il n'y a pas de raison de croire que le PCF refuserait de participer au gouvernement. Ce qui, d'ailleurs, montre que le rejet de toute majorité qui inclurait le MODEM est une pure question symbolique. Après tout, il y avait dans le gouvernement Jospin de 1997-2002 des personnalités dont les idées ne défriseraient pas vraiment Monsieur Bayrou...
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