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Descartes
"Un peu d'internationalisme éloigne de la nation, beaucoup y ramène" (Jean Jaurès (0))
La gauche aujourd'hui n'aime pas réfléchir, surtout lorsqu'il s'agit de sujets compliqués. Dernier exemple en date, les réactions qui ont suivi l'annonce par Eric Besson d'un débat sur l'un des problèmes philosophiques et politiques les plus complexes qui soient, à savoir, la question de l'identité nationale.
On se souvient des cris d'orfraie qui avaient suivi la décision de Nicolas Sarkozy de faire lire dans toutes les écoles la dernière lettre de Guy Mocquet à sa famille. La gauche aurait pu intelligemment utiliser la décision présidentielle, qui lui laissait de larges plages de liberté quant à la manière de lire la lettre et la préparation pédagogique qui pouvait l'entourer. On aurait pu parfaitement profiter de l'occasion pour expliquer mieux qui était Guy Mocquet, quel était son combat, comment et pourquoi il est mort, et quelles leçons peuvent être tirées pour l'avenir. Au lieu de quoi, la gauche a préféré utiliser l'occasion pour laisser libre cours à un antisarkozysme imbécile, certains militants enseignants allant jusqu'à refuser de lire le document. Attitude paradoxalement présentée comme un acte de "résistance"...
Avec le débat sur l'identité nationale, la gauche est tombée dans le même piège. Au lieu de prendre à bras le corps une question et montrer qu'elle aussi est capable de réfléchir et de proposer, on assiste à la dérobade habituelle: contester non pas sur le fonds de la question, mais sur la légitimité du gouvernement à la soulever (1) en lui prêtant toute sorte d'arrières pensées électorales. Comme si le sujet de l'identité nationale ne méritait pas en lui même une réflexion en profondeur.
Et pourtant, la gauche a - ou du moins devrait avoir - des choses à dire sur la question. En France, la Nation - et donc ce qui la fonde, son identité - est une question théorisée essentiellement à gauche. C'est la Révolution française qui en fait une catégorie juridique pour donner à ses actes une légitimité une fois la monarchie de droit divin abolie. La Nation, honnie par une droite essentiellement méfiante envers la souveraineté populaire et le suffrage universel, a été l'enjeu du combat progressiste durant tout le XIX siècle. En donnant à la Nation une signification essentiellement volontariste et constructive ("c'est le souvenir des grandes choses faites ensemble, et le désir d'en accomplir de nouvelles", selon les mots bien connus de Renan), la République marque sa méfiance pour la conception d'une nation essentiellement fermée et passéiste qui trouve son identité dans "le sang et les morts". La Nation reste une idée de gauche pendant une bonne partie du XXème siècle, de Jaures et son "un peu d'internationalisme éloigne de la Nation, beaucoup y ramène" jusqu'à De Gaulle déclarant dans les années 1960 que "le drame français est que la gauche n'aime pas l'Etat et la droite n'aime pas la Nation (2)". Ce n'est qu'avec le carnaval de '68 que la Nation commence à avoir mauvaise presse dans une partie de la gauche française. Et comme toujours, quand la gauche laisse tomber ses drapeaux, c'est la droite et l'extrême droite qui les récupèrent.
La question est donc complexe. Ouvrir une réflexion obligerait la gauche à réintérroger un certain nombre de dogmes cristallisés, et donc a quitter la chaleur rassurante du slogan (3) pour naviguer dans les eaux dangereuses de la controverse. Mieux vaut donc rester couvert et refuser le débat. A gauche, on n'aime pas les aventures intellectuelles.
Pourtant, la queston de l'identité nationale aujourd'hui reste fondamentale. Et rien à voir avec la question de l'immigration: La construction européenne, l'ouverture des frontières et l'homogénéisation des comportements, l'évolution du contenu même de la citoyenneté, hier un équilibre entre droits et devoirs, aujourd'hui une pure collection de droits (4), interrogent bien plus l'idée d'identité nationale que l'immigration. Il ne s'agit pas de délivrer des livrets de bon ou mauvais français. Il s'agit de se demander d'abord si la catégorie de "français" a encore un sens, et si oui lequel. Qu'est-ce qui fait qu'on est (ou pas) "français" aujourd'hui ? S'agit-il d'une distinction purement juridique et administrative ? Politique ? Sociale ? Culturelle ? Est-elle menacée, et dans ce cas, faut il se réjouir de sa disparition ou au contraire faire quelque chose pour la préserver ?
Voilà des question "politiques" au sens le plus noble du terme. Il faut bien comprendre que toute réflexion politique progressiste nécessite une analyse de ce qui fait un "vivre ensemble". Et donc de la manière dont les gens se reconnaissent (ou pas) dans une "identité" qui leur est commune. La Nation est aujourd'hui la plus grande communauté humaine dont les membres se reconnaissent un devoir de solidarité mutuel. Et ce fait ne peux pas ne pas intéresser une gauche qui veut comprendre le monde qui l'entoure. Si la gauche consacrait à cette question la moitié de l'énergie qu'elle consacre aux bisbilles électorales, il y aurait de quoi soutenir un débat passionnant et battre le gouvernement sur le terrain idéologique, qui est celui qui prépare toutes les reconquêtes électorales.
Au lieu de ça, on préfère sortir des communiqués grandiloquents comme celui signé de Pierre Laurent, accusant Eric Besson de "pétainisme" et de vouloir faire rechanter "Maréchal, nous voilà". Des communiqués si faciles, si standardisés, qu'ils ne demandent que le minimum syndical de réflexion. Ce qui permet de réserver ses neurones pour les questions fondamentales. Comme celle de savoir qui sera tête de liste où, qui semble être pour certains la seule question qui mérite un effort intellectuel.
Et si débattre des vrais problèmes c'est être "pétainiste", et bien j'assume: Vive le Maréchal!
Descartes
(0) Cette citation est une forme "modernisée" de la citation originale. Le mot utilisé par Jaurès était "patrie" et non pas "nation". Mais le paragraphe dont elle est extraite ne laisse pas de doute sur le fait que le terme "patrie" et "nation" sont utilisées par Jaurès comme synonimes:
« Mais ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. »
Jean Jaurès, L’armée nouvelle, 1911.
Ce texte, que la gauche semble avoir oublié, serait un bon point de départ pour une réflexion sur "l'identité nationale".
(1) On peut trouver la déclaration du PCF ici . Elle est d'une bêtise rare même por le PCF. Le PS n'a pas fait de déclaration, mais plusieurs dirigeants se sont exprimés sur la question, tous pour dénoncer une "grosse ficelle" électorale, quand ce n'est pas comme Vincent Peillon pour dire des bêtises du style "La France n'a jamais parlé d'identité nationale". Les Verts et le NPA se sont exprimés pour condamner l'initiative considérée comme purement électoraliste. Comme quoi le fond de la question ne semble intéresser personne.
(2) "quant à mes amis, ils aiment trop l'argent", ajoutait le Grand Charles, qui savait de quoi il parlait.
(3) "Régularisation de tous les sans papiers", "droit de vote pour les immigrés" sont deux excellents exemples. La gauche ne se rend pas compte à quel point ces deux slogans sont auto-destructeurs. Régulariser tous les sans-papiers peut paraître une proposition généreuse. Mais que fait-on avec les sans-papiers qui ne manqueront pas d'arriver apres la régularisation générale ? On les régularise aussi ? Cela revient à déclarer que tout être humain a le droit de s'installer en France s'il le souhaite, ce qui est économiquement intenable. Mais si on limite la régularisation aux sans-papiers existants, comment justifier du point de vue du principe d'égalité le fait de régulariser les sans-papiers passés, et ne pas régulariser les futurs ?
Quant au droit de vote des immigrés, cela revient à fragmenter l'électorat en deux parties distinctes, rendant la notion de souveraineté populaire problématique, puisque le principe même de cette souveraineté est que ceux qui l'exercent sont tous dans le même bateau, et ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il est vrai que (regrettablement) la plupart des devoirs attachés à la citoyenneté sont devenus symboliques. Mais est-on prêt à imposer ces mêmes devoirs aux immigrés bénéficiant du droit de vote ? Cela poserait des problèmes juridiques et sociaux fort compliqués... De plus, donner le droit de vote aux immigrés risque de faire entrer la politique interne des pays d'origine dans la politique française. A-t-on envie de jouer le conflit sunnites-chiites par procuration ?
(4) On l'oublie trop souvent, mais l'état de français n'était pas naguère de tout repos. Il comprenait toute une série d'obligations, dont celle - du moins pour les hommes - du service militaire en temps de paix et le mourir au champ d'honneur en temps de guerre. Ces devoirs légitimaient les droits qui étaient attachés. Aujourd'hui, l'état de français ne comporte plus aucun devoir, l'appel aux armes étant devenu théorique. Pas étonnant, dans ces conditions, qu'on juge excessifs les (rares) droits qu'il conserve encore...
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