Le premier tour des primaires socialistes est derrière nous. Disons le tout de suite: c'est un formidable succès pour le Parti Socialiste. Quelque soit la mauvaise foi qu'on y mette, on ne peut que constater les faits. Avec plus de deux millions de participants, ce scrutin dépasse (et de loin) toutes les manifestations de toutes sortes organisées depuis de longues années. Ni les manifestations contre les retraites, ni la fête de l'Humanité, ni même les pétitions de toutes sortes lancées par telle ou telle organisation n'ont réussi à faire participer autant de gens. Avoir réussi à tirer deux millions et demi d'électeurs du confort douillet du canapé dominical, ce n'est pas une mince affaire. Sans parler de la mobilisation des militants, acteurs indispensables pour obtenir une couverture de l'ensemble du territoire. Oui, le Parti Socialiste a fait preuve d'une capacité d'organisation et de mobilisation remarquable.
Ce succès peut être interprété de plusieurs façons. Certains diront qu'il existe un véritable rejet de la personnalité de Nicolas Sarkozy, et que les électeurs de gauche ont saisi une opportunité qui leur était donné de marquer leur désir d'un changement de majorité. On peut aussi y lire le fait que l'électorat de gauche est convaincu que l'élection de 2012 sera gagnée par le candidat socialiste, et que cette primaire désigne donc en pratique l'homme ou la femme qui sera dans six mois président de la République. Cela donne une idée de ce que pourrait être le vote utile en avril prochain... On tremble aussi en pensant aux négociations qui se déroulent en coulisse entre Aubry et Hollande d'un côté, Montebourg,Valls et Royal d'e l'autre. Car l'un des deux premiers sera, selon toute vraisemblance, président de la République. Il aura donc beaucoup à distribuer à ses alliés... mais il s'agit de ne pas se tromper de cheval. Appuyez le mauvais candidat, et les beaux ministères, les juteux fromages et les belles places vous passent sous le nez.
Il y eut aussi des choses cocasses aussi. De ce point de vue, l'image de Ségolène Royal pleurant en caméra son résultat emporte la palme. Pour celle qui frappait les journalistes qui lui posaient des questions gênantes avec un "me poseriez vous cette question si j'étais un homme ?" la situation ne manque pas d'ironie. Aurait-elle pleuré si elle était un homme ? Un homme qui pleurerait d'avoir perdu une élection se couvrirait de ridicule. Rétrospectivement, on peut saluer la sagesse du peuple français qui lui a préféré Nicolas Sarkozy en 2007. Imaginez vous un président de la République pleurnichant parce qu'il a perdu une élection ?
En tout cas, ce succès a provoqué une cascade de conversions. L'establishment politique plébiscite les "primaires". A gauche comme à droite, on loue celles-ci comme un progrès de la démocratie. Tous ces discours font oublier ce que cachent ces primaires: l'affaiblissement du rôle du militant politique, et la transformation des partis politiques en "clubs" de "militants professionnels" où les simples adhérents jouent les utilités.
La conception traditionnelle à gauche du parti politique est celle d'une association libre de militants qui se regroupent dans le but de faire avancer un projet commun. Ce projet n'est bien entendu pas celui que chaque adhérent voudrait individuellement: c'est le produit d'une négociation complexe, dans laquelle chaque adhérent pèse les renoncements qu'il doit accepter pour aboutir à un accord avec l'avantage que procure un large rassemblement pour faire avancer ses idées. Le parti politique est le lieu ou s'opère ce compromis pour donner naissance à un projet que tous les militants peuvent, sans se renier, défendre. Il ne reste alors qu'à choisir les hommes qui, dans une démocratie représentative comme la notre, auront à défendre le projet devant les électeurs et à le mettre en oeuvre si ceux-ci lui donnaient son accord. Le parti politique a donc une fonction essentielle, celle de fabriquer des projets et de former les hommes qui peuvent les conduire.
Ce processus repose sur l'idée que les partis politiques élaborent des projets, que ces projets sont soumis au peuple souverain qui est appelé à arbitrer entre eux et a en choisir un. Dans cette logique, le militant joue un rôle essentiel. Parce qu'il détient seul le vote dans les instances de son parti, il peut peser sur le programme et sur choix de l'homme qui le porte. Mais que se passe-t-il lorsque le choix du candidat est confié à des "primaires" ?. Cette logique dépossède le militant de son droit exclusif à choisir son candidat et son programme. S'il peut toujours voter, le fait d'être un militant - c'est à dire, de consacrer son temps et son argent à soutenir un parti - ne lui donne aucun droit particulier. Son vote ne pèse pas plus lourd que celui du pékin qui accepte de signer une charte et payer un euro. Les militants sont priés toujours de coller les affiches, de tenir les bureaux de vote, de distribuer les tracts... mais ils n'ont plus de voix au chapitre.
Et pourtant, les adhérents du Parti Socialiste ont consenti avec enthousiasme à cette dépossession. Pourquoi, à votre avis ? Comment expliquer que les dindes socialistes aient voté pour Noël (et que certaines dindes UMP envisagent de le faire) ? Pourquoi le militant socialiste serait il prêt à sacrifier ses loisirs et son argent à la défense d'un projet et d'un candidat choisi par d'autres ? Pour expliquer cette apparente bizarrerie, il faut se souvenir que l'essentiel des militants politiques des principaux partis "de gouvernement" sont des "militants professionnels". En d'autres termes, ils sont soit élus (ou aspirent à l'être) soit prébendiers d'un élu. Ils ont donc intérêt à ce que le candidat de leur parti - même s'ils ne l'aiment pas, même s'ils ne partagent pas son projet- soit élu. Car cela leur donne une meilleure chance de gagner sièges ou prébendes. Car il ne faut pas se tromper: au Parti Socialiste, on a dejà commencé à choisir ses places. La primaire n'est qu'une signe de plus de la mise en place en France d'un système de "spoils system" à l'américaine. Les partis deviennent non plus des rassemblements d'idées, mais des rassemblements d'intérêts. Des maffias ou l'on a toujours intérêt à soutenir son "parrain" - qui qu'il soit - contre le "parrain" d'en face.
Ces primaires essayent d'imposer une vision de la politique à l'américaine: un parti réduit à une sorte de "maison commune" organisant des manifestations-spectacle, et des candidats qui se réservent chacun le droit de présenter aux électeurs leur programme personnel, assistés d'équipes dont la fidélité n'est pas acquise au projet, mais à leur personne. Pas de quoi pavoiser.
Descartes
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