« j’ai cru qu’il était fait du marbre dont on fait les statues, mais il est fait de la faïence dont on fait les bidets » (Marie-France Garaud, à propos de Jacques Chirac)
Ainsi, le projet de l’aéroport « Grand Ouest » à Notre Dame des Landes est abandonné sur décision du gouvernement. La nouvelle annoncée par Edouard Philippe hier soir était en fait parfaitement prévisible. Il suffisait d’appliquer le raisonnement bien connu des météorologues : prédire pour demain le même temps qu’il fait aujourd’hui vous assure 65% de probabilité d’être dans le vrai. Cela fait bientôt dix ans qu’aucun gouvernement n’a fait le moindre effort pour lancer la construction de l’aéroport. Pourquoi changer ce qui a si bien réussi aux autres ?
S’il y a eu une incertitude sur la décision, largement entretenue par les médias, c’est parce qu’on nous vend depuis des mois l’idée que « cette fois-ci, c’est différent ». Que l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de
« Instruit du dossier autant qu’il peut l’être (…) le gouvernement a pris sa décision. Je constate aujourd'hui que les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Un tel projet d’aménagement qui structure un territoire pour un siècle ne peut se faire dans un contexte d’opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population. »
On notera le rapprochement des termes « pris sa décision » et « je constate ». Décider, pour nos politiques, c’est « constater ». Ou plutôt, on décide de constater. On ne fait pas un choix raisonné entre plusieurs possibles, on « constate » qu’il n’y a qu’une décision possible (1). On ne force pas le destin, on se plie à lui. On aurait voulu fournir une illustration à la « logique du chien crevé au fil de l’eau » qu’on n’aurait pas mieux réussi.
La lecture du discours du Premier ministre montre en fait une hésitation permanente entre la reconnaissance du fait que le projet est abandonné parce que « les conditions ne sont pas réunies » - comme le montre le paragraphe précédent – et la volonté de présenter la voie choisie comme étant la plus raisonnable du point de vue technique, par exemple en écrivant que :
« Il y a vingt ans, le projet a été redéfini pour réaliser une plateforme aéroportuaire régionale permettant de développer des vols internationaux. Ce projet ne répond plus aux objectifs actuels, aux réalités actuelles de l’organisation aéroportuaire qui réservent à quelques grands aéroports nationaux les vols long-courriers. »
Aldous Huxley notait que souvent l’accumulation de raisons est moins crédible qu’une raison toute seule. Si Edouard Philippe croyait vraiment que le projet « ne répond plus aux objectifs actuels », pourquoi ne pas avoir justifié l’abandon du projet sur ce seul argument amplement suffisant par lui-même ? Pourquoi avoir d’abord fondé la décision sur le fait que « les conditions n’étaient pas remplies » pour mener à bien le projet ? Doit-on comprendre que si les conditions avaient été remplies il aurait laissé construire un aéroport « qui ne répond plus aux objectifs actuels » ?
Il faut d’ailleurs noter que la déclaration du ministre pose un énorme problème. Si on suit Edouard Philippe dans l’idée que le projet d’aéroport « ne répons plus aux objectifs actuels », on aboutit à la conclusion que les processus démocratique qui d’une manière totalement cohérente à conclu à chaque fois à la nécessité de construire a abouti à la mauvaise décision, et que les opposants au projet ont eu raison de s’opposer y compris par des moyens illégaux puisque le processus légal aboutit à la mauvaise décision.
C’est là, à mon avis, que la décision du gouvernement construit un précédent dangereux. Si on laisse dire que les processus démocratiques aboutissent à la « mauvaise » décision et que seules les méthodes violentes permettent de redresser la balance et d’aboutir à la « bonne » conclusion, alors la démocratie est condamnée. Parce que la démocratie repose sur le principe que la décision démocratique doit être respectée, non pas parce qu’elle est toujours correcte, mais parce qu’elle a moins de probabilité d’être incorrecte que les autres alternatives. Si l’on accrédite l’idée que chacun peut imposer sa vérité contre la décision démocratique par tous les moyens, on affaiblit décisivement nos institutions.
Le gouvernement l’a d’ailleurs bien compris. La preuve est qu’Edouard Philippe conclut son discours en expliquant que la décision dans cette affaire est « (…) une décision de raison et d’apaisement dans un contexte local tendu. Une décision exceptionnelle pour une situation locale exceptionnelle ». Le problème est qu’on voit mal en quoi la situation dans cette affaire serait « exceptionnelle », en quoi le raisonnement qui vaut aujourd’hui pour Notre Dame des Landes ne vaudra pas demain pour le centre de stockage de déchets nucléaires de Bure, pour la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, pour le canal Seine-Nord ou pour n’importe quelle autre infrastructure. Il suffira que le contexte local soit « tendu » pour que la jurisprudence Notre Dame des Landes s’applique.
Dans le contexte actuel, ceci condamne pratiquement tout projet d’une certaine importance. Parce que tout projet, même le plus inoffensif, peut aujourd’hui servir de point focal à des groupuscules qui se cherchent une cause dans une population où la tendance à croire n’importe quelle théorie complotiste est en hausse (2). Et une fois le contexte « tendu », il faudra bien que l’autorité politique cède, « constatant » que « les conditions ne sont pas remplies »…
Mais tout ça, ce n’est que rideau de fumée. Pour comprendre la véritable logique de la décision gouvernementale, il faut penser non pas à ce qui se passera dans dix ans, mais à ce qui passera au journal de TF1 ce soir. Le gouvernement n’a pas abandonné le projet d’aéroport parce qu’il pense que c’est un mauvais projet, mais parce qu’il a la trouille. Cette bonne vieille trouille qui conduit à toutes les capitulations. La trouille d’un nouveau Malik Oussekine ou d’un nouveau Rémy Fraisse qui lui aliénerait les bienpensants. Emmanuel Macron mais surtout Philippe ont eu peur de ce qu’une gendarmerie de plus en plus sollicitée, de plus en plus attaquée, de plus en plus fatiguée aurait pu faire sur le terrain. Le paradoxe ici, c’est que les zadistes, eux, étaient prêts à prendre le risque. Alors que la mort d’un zadiste terrifie le gouvernement, elle ne terrifie pas les zadistes. Or, dans un rapport de force la victoire ne va pas à l’armée la plus nombreuse, mais à celle qui a le plus envie de se battre. Et de toute évidence le gouvernement n’avait envie de prendre aucun risque. Et c’est parce qu’il a la trouille que le gouvernement a non seulement abandonné le projet, mais aussi abandonné toute velléité de rétablir l’empire de la loi immédiatement par la force si nécessaire. Les zadistes ont deux mois pour partir. Et en deux mois, beaucoup de choses peuvent se passer…
Il fut un temps où les gouvernements se faisaient un titre de gloire de lancer des projets. Aujourd’hui, on se fait au contraire un titre de gloire de les abandonner. Continuons comme ça et bientôt nous serons le « musée d’antiquailles » dont parlait Marc Bloch. Comme avec Superphénix, comme avec Sivens, comme avec Fessenheim on jetera à la poubelle le travail de centaines de personnes qui ont fait les études préliminaires et conduit les procédures de préparation du chantier. L’Etat indemnisera le concessionnaire à hauteur de plusieurs centaines de millions, et il en faudra encore quelques centaines pour calmer les élus locaux par exemple en agrandissant un aéroport dont la piste fait passer les avions au dessus de l’agglomération nantaise. Et le jour où un avion ratera le décollage… mais ça, c’est une autre histoire.
Descartes
(1) Sur le passage à 50% de la part du nucléaire, le raisonnement est exactement le même. La « décision » de Hulot d’abandonner la date objectif de 2025 ne change absolument rien à la cadence de fermeture des réacteurs, et Hulot lui-même justifie sa « décision » en « constatant » que les fermetures nécessaires pour tenir l’objectif ne sont pas « réalisables ». Le fait que la décision de se plier aux faits soit considéré comme une preuve de courage montre à quel point notre système politique est déréglé.
(2) Il n’y a qu’à voir les réactions que suscite le compteur intelligent Linky, qui n’est en fait autre chose qu’un compteur électronique comme il y a des centaines de milliers en France auquel on ajoute un petit ordinateur embarqué qui mémorise les mesures et les envoie par courant porteur (c'est-à-dire, en utilisant les fils d’arrivée) au fournisseur. On a du mal à croire qu’aujourd’hui dans le pays de Descartes un objet aussi inoffensif puisse provoquer des manifestations violentes, allant jusqu’à la destruction des véhicules des installateurs. Et avec des arguments qui vont des effets des ondes électromagnétiques – qui ne sont pas plus intenses au voisinage de Linky que pour un compteur électronique quelconque, comme il s’en installe des dizaines de milliers chaque année depuis au moins dix ans – aux craintes que Linky serve à espionner la vie privée des gens.
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