J'apprends avec une grande tristesse la mort d'Henri Alleg. Je n'ai pas eu l'honneur de le connaître personnellement, mais j'ai eu l'opportunité de partager avec lui quelques discussions lors des débats auxquels il participait souvent, et j'avais toujours été ému par sa profonde humanité, sa tendresse pour les gens, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir des convictions fermes et réfléchies.
C'était aussi un homme qui avait une conscience aigüe du caractère tragique de la politique, lui qui après avoir risqué sa vie et subi la torture pour l'indépendance de l'Algérie devint persona non grata dans le pays qu'il avait pris pour sien - il est parmi les rares européens qui aient pris la nationalité algérienne après l'indépendance - et dut quitter l'Algérie trois ans après les accords d'Evian. C'est cette vision du tragique qui lui permit de ne point garder de rancune ou d'aigreur envers l'Algérie indépendante, tout comme il ne tint pas rigueur à la France dans son ensemble des tortures qui pourtant lui furent infligées en son nom. C'est peut-être aussi ce sens du tragique qui l'empêcha de rejoindre les bienpensants de la gôche en général et du PCFen particulier lorsque ceux-ci ont décidé de brûler ce qu'ils avaient adoré...
A ce sujet, j'ai trouvé très amusant l'hommage rendu à Henri Alleg par Pierre Laurent au nom du PCF. S'il retrace rapidement la trajectoire du disparu, s'il mentionne son adhésion au PCF en 1972 puis son travail dans la rédaction de l'Humanité... il omet tout détail sur la suite. Permettez ici de combler les trous de mémoire du camarade Laurent: Henri Alleg sera très critique de la "mutation" du PCF initiée par Robert Hue, qu'il considère comme une "dérive social-démocrate". Il ira jusqu'à rejoindre le "pôle de rénaissance communiste en France", organisation qui regroupe des militants et anciens militants du PCF et qui fustige les dérives "gauchistes" du PCF, et tout particulièrement l'abandon du centralisme démocratique. Henri Alleg sera aussi membre du "comité Erich Honecker", formé pour défendre l'ancien secrétaire général du SED est-allemand devant la vengeance judiciaire des dirigeants allemands après la réunification.
Une vie politique ne s'achète pas au détail, et le Henri Alleg qui s'est dressé contre la torture et pour l'indépendance de l'Algérie ne peut être séparé de celui qui s'est opposé aux dérives des dirigeants du PCF, que Laurent a accompagné à défaut d'avoir initié. A l'heure de rendre hommage à l'homme entier que fut Henri Alleg, il eut été plus honorable de la part de la direction du PCF de respecter cette intégrité.
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