L'avantage des vacances, c'est qu'on a le temps de lire. Même des choses pour lesquelles on a un peu perdu l'intérêt. J'ai donc fait ce que je n'avais fait depuis longtemps: faire un tour sur le blog de Jean-Luc Mélenchon. Et le moins que je puisse dire, c'est que la lecture de son dernier billet (disponible ici) m'a laissé pantois.
Ce n'est pas tant la première partie, consacrée à sa visite au Vénézuela et à ses impressions lors d'un meeting chaviste. On sait bien que les "socialismes exotiques" ont toujours exercé un puissant attrait sur les intellectuels français, toujours attirés par cette "plasticité" apparente des sociétés latino-américaines et leur enthousiasme communicatif. Bien entendu, ils voient moins la face sombre de ces caractéristiques: un enthousiasme qui se transforme facilement en culte religieux pour des "caudillos", et une plasticité qui est la contrepartie de la faiblesse des institutions, toujours à la merci des hommes providentiels. On sait aussi que Jean-Luc Mélenchon a une tendance au lyrisme qui le pousse quelquefois à l'excès. Et son texte illustre ces deux caractéristiques. Voici un petit extrait pour illustrer ce point:
Ce que j’ai vécu sur place, à Barquisimeto, m’a confirmé cette intuition de la dialectique du rationnel et du sensible dans la production du message politique. Ce qui nous attendait à l’arrivée, la télé le nommait « l’ouragan Bolivarien ! » pour intituler les images qu’elle donnait à voir. Un ouragan en effet ! Sur les trois kilomètres du trajet une foule compacte hurla sans discontinuer à mesure que les camions sur lesquels nous étions installés avançaient. Le rassemblement commença aux portes mêmes de l’aéroport, ce qui n’était pas prévu. Les véhicules du cortège ont donc fendu la foule au pas, entourés d’un impressionnant double cordon de militants qui protégeait autant le passage que les gens qui se précipitaient sur les voitures. Suffoqués par l’effort, ruisselants sous le soleil des Caraïbes, ils tinrent bon leur part de tâche ! Je voyais sur leurs jeunes visages la lumière que j’ai vue sur celui de mes camarades, filles et garçons qui ont fait cet exercice à Strasbourg, à Paris, et à combien d’autres endroits encore ! Puis on descendit des voitures et on monta sur le toit des bus qui avaient été postés face à un podium d’accueil, à cet instant totalement submergé. Commença alors le parcours. Ce fut comme un ailleurs de tout ce que j’ai connu. Jamais je n’ai vu telle ferveur politique se concentrer de telle façon dans les corps et les visages. A mi-chemin je m’aperçus que j’avais le visage en larmes. A côté de moi, Max Arvelaiz et Ignacio Ramonet montraient un visage inconnu. Le saisissement, l’effroi sacré qui nous habitait est un moment qui n’a pas ses mots pour le décrire raisonnablement. La force de la passion politique qui s’exprimait à cet instant sculptait et remodelait tout ce qui passait entre ses mailles fines. (...) Et voici ce qu’il faut retenir : c’était les nôtres, sans aucun doute possible.
Il y a dans cette description un élément effrayant. On croirait lire la description de ces grands festivals religieux indiens, ou les gens se piétinent pour pouvoir toucher de près les habits de telle ou telle déesse, ou pour pouvoir se baigner aux meilleurs endroits dans un fleuve sacré. Ce qui est un peu curieux, c'est la comparaison avec "mes camarades" de Strasbourg ou de Paris... mais bon, passons. C'est surtout la conclusion qui frappe: toujours cette division entre "les nôtres" et "les autres". Et cela continue:
Les nôtres ! Vous vous souvenez peut-être quand j’interpellais notre rassemblement à la Bastille. Je disais : « Où était-on passés ? On s’était perdus ! On se manquait, on s’est retrouvés ! » Vous saviez tous de qui et de quoi je parlais, sans qu’il y ait besoin d’en dire davantage. Ici c’est de cela encore dont je parle. Vous savez instantanément de qui il s’agit : les nôtres. Cela se voyait. D’abord par la couleur de peau : partout dominait en profondeur ce superbe marron que montrent les plus beaux êtres humains.
Vous le savez maintenant, travailleurs français "blancs". Vous êtes moches. Et vous n'êtes donc pas des "nôtres", et cela "se voit, d'abord par la couleur de la peau"... on reste baba devant une telle formulation sous la plume de Mélenchon. Une formulation qui aurait certainement provoqué des cris d'orfraie du personnage si elle avait été formulée par un dirigeant du FN. Ainsi donc le fait d'être "des nôtres" est d'abord une question de couleur de peau. On a du mal à garder son calme.
Mais après cet hymne au chavisme, on descend plus près des problèmes français et notamment sur PSA. Et c'est là que le nouveau ton de Mélenchon surprend. On commence avec la traditionnelle critique des journalistes, mais c'est la fin du paragraphe qui surprend::
Lisez l’éditorial ahurissant de Joffrin à propos de PSA pour comprendre à quel point ce système peut durcir ses méthodes d’intoxication mentale. Deux grammes de protestation avant trois couplets d’appel à la soumission aux normes dominantes et de dénonciation de l’idéologie anti-mondialisation. (...) Et ce n’est pas l’opium de Joffrin qui leur permettra de les nourrir ou de leur assurer un vécu décent ! Le mur de béton que construisent de tels médias hallucinogènes explique pourquoi tant de gens des classes moyennes et moyennes supérieures se tournent vers nous comme vers une alternative intellectuelle.
C'est évidement moi qui souligne. Si l'on comprend bien, les classes moyennes et moyennes supérieures (!) ont compris que ce n'est pas Joffrin et la soumission aux "normes dominantes" qui permettra de leur assurer un "vécu décent", alors que de toute évidence le Parti de Gauche, lui, en est capable d'assurer à ces "classes moyennes et moyennes supérieures" un "vécu" tout à fait conforme à leurs attentes... Mais il y a encore plus curieux. Le Petit Timonier se sent obliger de flinguer les siens:
Mais mercredi, ma journée en décalage horaire de six heures et demie avec vous en France avait très bien commencé. C’était un message de Laurence Sauvage. Laurence j’en ai déjà parlé ici. C’est la secrétaire nationale du Parti de Gauche en charge des luttes sociales. Elle a succédé en catastrophe à un camarade qui était fort habile à faire des textes et des recommandations pontifiantes mais absolument inapte à quelque activité concrète que ce soit. Beaucoup ne donnaient pas cher de cette jeune femme sans passé politique catapultée à la place d’un cacique aigri dans un univers dominé par les hommes.
Et bien, chers lecteurs, j'ai besoin de votre aide. Qui était le "camarade fort habile à faire des textes et des recommandations pontifiantes" auquel Laurence Sauvage a du "succéder en catastrophe" ? Toutes mes recherches ont été vaines pour retrouver qui était "secrétaire national en charge des luttes sociales" avant Laurence Sauvage. Mais j'ai bien trouvé un "secrétaire national en charge du mouvement social" qui a "quitté en catastrophe" son poste en 2011: il s'agit de Claude Debons, qui a quitté le Parti de Gauche en 2011 en dénonçant l'opacité du fonctionnement et la ligne "gauchiste" de la direction. Qu'il ait été remplacé par - de l'aveu même de Mélenchon - par une "jeune femme sans passé politique" - n'est pas neutre: il est évident qu'une jeune femme sans passé politique est bien plus facile à contrôler et moins susceptible de s'opposer au Chef qu'un syndicaliste qui a vu du pays et qui a suffisamment d'expérience pour savoir comment une réunion ou un congrès se "cuisinent". Dans ce contexte, être un "cacique aigri" veut dire avoir une opinion personnelle qui ne coïncide pas avec celle du patron. Mieux vaut le remplacer par une jeunette qui doit tout au Chef et qui fera - par admiration ou par intérêt - ses quatre volontés.
Mais le plus intéressant reste les termes violents dans lesquels Mélenchon décrit son ancien camarade - et si mon hypothèse est exacte, un homme qui a joué un grand rôle dans la fondation de son parti. Plusieurs dirigeants du PG ont démissionné ces derniers temps en formulant des critiques convergentes sur l'opacité des procédures de décision, la centralisation du pouvoir et le "gauchisme" de la ligne. Outre le syndicaliste Debons, on peut citer l'économiste Christophe Ramaux. A ma connaissance, Mélenchon a toujours ignoré ces départs et n'a jamais commenté - ni répondu - aux points soulevés par démissionnaires. C'est à ma connaissance la première fois que Mélenchon se permet dans un texte de sa main de les attaquer, et qui plus est, par une injure ad hominem d'une telle violence.
Lyrisme chaviste, drague des classes moyennes, flingage des anciens camarades devenus adversaires... on remarque une sorte de "peu me chaut" dans ce texte qui pose pas mal de questions. Certaines digues auraient-elles sauté ?
Descartes
Commenter cet article