Le 1er novembre une citoyenne française qui était sous le coup d'un mandat d'arrêt européen émis par un juge espagnol pour un délit commis en Espagne, a été extradée. Arrêtée lors d'un banal contrôle routier, les policiers l'ont remis à la justice française, plus précisément à la Cour d'Appel de Pau. La Cour, conformément à la loi, a vérifié la conformité du mandat avec le droit, et a validé l'extradition. La personne en question a donc été remise à la justice espagnole. Rien que de très banal en somme.
A première vue, pas de quoi fouetter un chat... sauf que cette personne n'était pas n'importe qui. C'était une militante indépendentiste basque. Et bien entendu, cela change tout. Ou devrait tout changer, si l'on croit les déclarations proprement stupéfiantes d'une partie des élus du pays basque, et représentants des partis de la "gauche radicale" au niveau national. Il y aurait dans notre belle République, si l'on écoute ces gens-là, deux sortes de personnes: celles auxquelles les lois s'appliquent, et celles auxquelles les lois ne s'appliquent pas.
Il serait ennuyeux de citer toutes les réactions. Mais il n'est pas inutile d'en citer quelques unes. Pour le Parti de Gauche:
Valls et Hollande n’ont pas hésité une seconde à livrer, sous couvert d’un mandat d’arrêt européen, une citoyenne française poursuivie pour des faits légaux dans notre pays. Ils bafouent ainsi les libertés d’opinion et d’expression reconnues par notre constitution et trahissent honteusement les principes fondateurs de la gauche.
Dartigolles, porte parole du PCF mais aussi et surtout élu palois déclare pour sa part:
Qu’est-il reproché à Aurore ? Sa participation à des réunions publiques et des écrits politiques au titre de son appartenance à Batasuna, un parti interdit en Espagne. Il est
insupportable et indigne qu’une personne de nationalité française, militante d’un parti autorisé en France, soit extradée pour des faits eux-mêmes non punissables dans notre pays.
Pour sa part, EELV affiche sur son site la déclaration dont j'extrait un paragraphe:
Si le mandat d’arrêt européen a été un progrès pour l’Europe judiciaire, il n’est pas normal que des citoyens puissent être expulsés pour des faits qui ne seraient pas condamnables dans leur propre pays.
Ces gens se foutent du monde. Aurore Martin n'est pas "poursuivie par des faits qui ne seraient pas condamnables dans leur propre pays". Elle est poursuivie non pas parce qu'elle est membre d'un parti légal en France, mais pour avoir participé à des réunions publiques interdites en Espagne. A ma connaissance, le délit de "reconstitution de ligue dissoute" est punissable en France aussi.
Mais la palme d'or revient certainement à Jean-Luc Mélenchon, qui écrit sur son blog le paragraphe suivant:
Mais le syndrome Jules Moch est dorénavant profondément engagé. En atteste l’expulsion honteuse d’Aurore Martin. (...) ! L’Espagne fait bien ce qu’elle veut et je
note que ce n’est pas toujours brillant. Tout cela à l’abri et sous le prétexte d’un mandat d’arrêt européen. Mais d’où vient qu’un mandat d’arrêt européen permette la déportation d’une citoyenne
française qui n’est sous le coup d’aucun acte illégal dans son pays ni d’aucune activité que son pays condamne ? Elle vient d'être interpellée dans les Pyrénées Atlantiques à l’occasion d’un
contrôle routier auquel elle n’a nullement cherché à se soustraire. Et la voilà immédiatement extradée en Espagne où elle est aujourd'hui passible d'une peine de 12 ans de prison. Elle sera
traduite devant des juridictions d'exception, alors même que nous, Français, récusons les juridictions d’exception et les avons toutes supprimées, sous François Mitterrand ! (1)
Laissons de côte l'inévitable hommage à François Mitterrand, dont Jean-Luc rappelle à juste titre qu'il supprima les juridictions d'exception comme la Cour de Sûreté de l'Etat ou les Tribunaux Permanents des Forces Armees, mais dont il oublie convenablement qu'il en créa ou maintint d'autres, comme la Cour d'Assises spéciale pour les affaires de terrorisme. Mais la mauvaise mémoire de Mélenchon, comme celle des autres déclarations citées plus haut ne s'arrête pas là. Tous ces gens-là semblent avoir oublié en quoi consiste le mandat d'arrêt européen
Rappelons comment fonctionne le mandat d'arrêt européen. Normalement, l'extradition entre deux pays est régie par des conventions bilatérales. En général, ces conventions impliquent un contrôle approfondi: un état n'accorde l'extradition que si le dossier qui lui est présenté est solide, que si l'incrimination apparaît appuyée par des preuves et des arguments convaincants, et seulement si l'incrimination concerne des faits qui sont punissables dans le pays qui accorde l'extradition. Et par ailleurs, peu de pays extradent leurs propres ressortissants.
Pour les bonzes de Bruxelles, cette situation n'était pas tolérable. Il fallait que l'ordre européen règne, faire plier la souveraineté des états, banaliser les frontières. Fidèle à cette politique, les dirigeants européens s'accordent dans la déclaration de Tampere, en 1999, sur un mandat d'arrêt européen unique. Celui-ci sera institué par la décision-cadre 2002/584/JAI signée lors du Conseil européen de décembre 2001 et promulgué sous sa forme finale le 13 juin 2002. Retenez bien les dates de ces décisions, j'y reviendrai.
La décision cadre prévoit une réforme radicale non seulement de la procédure, mais aussi de l'esprit de l'extradition entre états européens. Le mandat peut être emis par une autorité judiciaire pour des actes entrant dans une des catégories prévues par la décision. Point n'est besoin que l'acte soit incriminé dans le pays a qui extrade, il suffit que l'acte soit puni dans le pays qui émet le mandat d'une peine de douze moins d'emprisonnement au moins. Dans ce nouveau cadre, l'extradition ne peut être réfusée par un état européen (sauf pour une infraction amnistiée ou déjà jugée, ou en cas de demandes concurrentes). Le pays qui extrade n'a pas le choix: si après vérification le mandat est régulier il doit l'exécuter en livrant la personne au pays demandeur. C'est la loi européenne qui le veut.
La justice française n'avait donc pas le choix. Et cela en vertu d'un texte fait par ceux-là même qui aujourd'hui lèvent les bras au ciel et se demandent "d’où vient qu’un mandat d’arrêt européen permette la déportation d’une citoyenne française qui n’est sous le coup d’aucun acte illégal dans son pays ni d’aucune activité que son pays condamne ?". C'est pour cela que je vous avais demandé, chers lecteurs, de garder en tête les dates des décisions concernant le mandat européen: c'est en effet le gouvernement de la "gauche plurielle" qui adopta, au nom de la France, le mandat d'arrêt européen. Un gouvernement dans lequel des dirigeants des Verts et du PCF siégeaient au Conseil des Ministres, où ils retrouvaient un certain Jean-Luc Mélenchon, ministre lui aussi. Tiens, je ne me souviens pas qu'ils aient protesté à l'époque, quand les textes ont été adoptés. Qu'est ce qu'ils croyaient qu'ils étaient en train de faire, d'adopter des textes en chocolat ? Que le conseil de Tampere c'etait "pour rigoler" ?
Cette inconséquence de la gauche dite "radicale" rappelle à quel point cette famille politique oublie que les actes politiques ont des conséquences. Qu'on n'est pas dans une assemblée d'étudiants universitaires ou d'un congrès de l'UNEF, ou l'on peut voter n'importe quoi sans se soucier des conséquences. On est ici dans le monde réel. Quand on accepte un "mandat d'arrêt européen", on est ensuite obligé de l'appliquer. On ne peut pas se cacher derrière les déclarations infantiles du genre "on va désobéir les lois qui ne nous plaisent pas". Un Mélenchon se remplit la bouche du mot "République" mais oublie le principe selon lequel "la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" en demandant qu'on fasse pour Aurore Martin une exception, et qui plus est, une exception à un texte qu'il a accepté naguère.
La question n'est pas ici de savoir si Aurore Martin mérite ou non d'être condamnée (2). La question est tout autre: dans un état démocratique, a-t-on le droit de faire obstruction à l'exécution de la loi ? Et si oui, quelle légitimité peut-on revendiquer lorsqu'on exige aux autres qu'ils l'appliquent ?
J'ajoute que cette affaire révèle un autre aspect qu'on préfère d'habitude ne pas regarder en face. C'est celui de l'implantation des réseaux de l'indépendantisme basque en France. La réaction des "élus du pays basque" - comme on les appelle pudiquement - montre l'ampleur de cette implantation. L'ETA et ses affidés ne sont pas en apparence très actifs, il est vrai, au pays basque français. C'est un choix stratégique, un pacte non écrit avec les gouvernements français successifs: "je m'abstiens de toute violence, et en échange vous fermez les yeux sur nos bases-arrière". Que les élus locaux comme Dartigolles, qui est aussi basque que moi mère supérieure, cherchent à draguer les indépendantistes - les élections municipales approchent - revendiquant les droits d'Aurora Martin ( invoqués au nom de sa "nationalité française", on n'est pas à une contradiction près) devrait faire sonner les alarmes chez tous les républicains dignes de ce nom. Ce n'est pas un hasard si l'agitation pour le "département basque" ressurgit en ce moment...
Descartes
(1) J'ai raccourci la citation pour les besoins de la démonstration. Mais je vous invite à lire le texte complet sur son blog. C'est à crever de rire. Ou ça donne envie de se tirer une balle dans la tête. C'est selon votre humeur...
(2) Quoi que. Dans un article précédent, j'avais dénoncé la disparition du sens du tragique chez les politiques en général et dans la gauche radicale en particulier. Cette affaire en est la parfaite illustration. L'ETA, c'est des centaines de morts et de blessés. Ce sont des milliers de familles endeuillées. Et tout ça, sans compter avec le racket systématique et des affaires qui relèvent autant du terrorisme que de la criminalité crapuleuse. Lorsque Aurore Martin participe aux activités de Batasuna, elle ne peut ignorer cela. En faire une pauvre petite victime dont le seul tort a été de participer à des réunions injustement poursuivie par les méchants juges, c'est pousser le bouchon un peu loin.
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