Le drame – ou plutôt la saynète – de l’indépendance catalane continue à défrayer la chronique. Après le vote d’une motion d’indépendance par le parlement régional, Madrid a, comme c’était prévisible, mis en route le processus constitutionnel de destitution du gouvernement régional et de suspension de l’autonomie. La justice espagnole a, de son côté, engagé le processus judiciaire à l’encontre des hauts fonctionnaires et dirigeants élus qui ont participé à ces évènements. Cette réaction des autorités espagnoles ont donné lieu en Espagne mais aussi chez nous, et c’était là aussi prévisible, à toutes sortes de dénonciations de l’inacceptable « répression » contre les dirigeants indépendantistes. On est allé jusqu’à assimiler les dirigeants arrêtés aux prisonniers politiques sous le régime franquiste… c’est dire si l’affaire est grave aux yeux de nos redresseurs de torts préférés.
Ces discours ont de quoi surprendre. Car que reproche-t-on aux personnalités en question ? Rien, quelques broutilles : d’avoir abusé de leur pouvoir en excédant les compétences des fonctions pour lesquelles ils ont été élus, d’avoir refusé dans l’usage de leurs fonction d’appliquer les décisions contraignantes des juges, et d’avoir porté atteinte à l’intégrité du territoire national de l’Espagne. Je ne connais pas le code pénal espagnol, mais on peut se demander quelles sont les peines qu’encourrait un élu qui en France ferait de même. Ainsi, le « fait pour la personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende » (code pénal, art 432-1). Et ne parlons pas du fait de participer à un mouvement portant atteinte à l’intégrité du territoire national, puni de 15 ans d’emprisonnement (code pénal, art 412-4).
Il faut appeler un chat un chat : ces délits sont parmi les plus graves qui puissent être commis par un agent public, un dirigeant politique. Et ce n’est pas par le caprice du législateur, mais pour une raison très simple : si l’agent investi de l’autorité publique peut faire ce que lui dicte son bon plaisir sans limites, plus personne n’est en sécurité. Nous, pauvres citoyens, donnons à nos élus des pouvoirs qui sont exorbitants du droit commun. Par notre mandat, ils disposent de l’argent public, de la force armée, du pouvoir de faire des règles auxquelles nous sommes contraints – par la force si nécessaire – d’obéir. Et ces pouvoirs nous leur accordons en échange d’une seule promesse : de les exercer dans les limites que leur fixe la loi. Que le citoyen viole la loi, c’est grave. Mais que le citoyen investi du pouvoir public, qui est censé faire la loi et la faire observer, fasse de même, c’est inacceptable, et ne saurait être toléré. Que la justice ouvre une procédure contre ceux qui ont commis ces graves délits n’a donc rien de surprenant. Et pour ceux qui sont attachés au gouvernement républicain, fondé sur la responsabilité des élus, ces actions sont plus à applaudir qu'à blâmer. Du moins si l’on prend au sérieux les actes des élus catalans.
Mais faut-il les prendre au sérieux ? A lire une partie des expressions politiques – notamment celles venant de la gauche – on arriverait à la conclusion contraire. A les entendre, Puigdemont et les siens doivent être traités comme on traiterait des étudiants turbulents qui auraient voté une motion dans une assemblée générale universitaire. Puisque ce vote ne porte pas à conséquence, qu’il n’y a pas mort d’homme, aucune raison de les poursuivre.
Cette réaction est en elle-même très révélatrice d’un trait dominant dans la politique des nations de l’Europe occidentale, qui se caractérise de plus en plus par un comportement infantile des dirigeants et des élites politico-médiatiques. Naguère, l’arène politique était un lieu tragique, ou se jouait l’avenir des peuples, la vie et la mort des nations. Les dirigeants politiques avaient droit aux honneurs et au respect parce qu’ils portaient sur leurs épaules la responsabilité de décisions graves. Aujourd’hui, ce sont des enfants au point qu’il serait presque indécent de les mettre en prison lorsqu’ils ont trahi de manière évidente leur mandat.
Cette infantilité est visible dans la légèreté avec laquelle des décisions qui engagent le crédit et la vie de la nation sont prises. Quelques exemples ? En voici un : on découvre qu’une erreur juridique dans la conception d’une taxe va couter à l’Etat une dizaine de milliards d’Euros, et bien entendu personne n’est responsable. En voici un autre : l’avenir de notre parc nucléaire de production d’électricité, qui vaut bon an mal an une cinquantaine de milliards d’euros, est suspendu à des obscurs débats politicards, et aucune décision n’est prise parce que personne n’est capable de l’assumer. Et le pire, c’est que cette légèreté n’est pas nouvelle : elle rappelle singulièrement la France de 1939-40 telle que décrite par Marc Bloch dans « L’étrange défaite », cette époque ou la date de la mobilisation de nos armées était décidée sous la pression du lobby des « pinardiers ».
Il ne faut pas non plus oublier que dans notre monde politico-médiatique le poids de ceux dont la formation politique s’est faite dans la politique étudiante n’a jamais été aussi fort. Ceci explique peut-être une partie du phénomène. Car si quelque chose caractérise la politique universitaire, c’est son rapport très lointain avec la dure réalité du monde. Et ceux qui ont participé à des assemblées générales universitaires peuvent en témoigner. Ou mieux que là peut-on voter des motions qui n’ont aucune raison de recevoir un commencement d’exécution, qui n’auront la moindre conséquence sur le réel ? Oui, vous avez raison, il y a aussi le Parlement Européen…
Descartes
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