Ce week-end, je l'ai passé au congrès du PG. Avant que mes chers lecteurs le demandent, non, je ne me suis pas converti en fidèle militant de la bande à Mélenchon, et je n'ai pas été invité aux réjouissances. Et puis, si l'évolution du PG m'intéresse, ce n'est tout de même pas au point d'aller à Bordeaux pour le plaisir de voir ce qui s'y passe. Mais aujourd'hui, grâce à la magie d'Internet, on peut assister aux congrès des partis sans quitter sa chaise - même si la qualité de la transmission laisse encore beaucoup à désirer.
L'organisation d'abord. Il y a malheureusement une dérive détestable dans les congrès des partis en général: cela devient de moins en moins des lieux d'affrontement et de débat politique, et de plus en plus des sortes de meetings gentillets. On multiplie toutes sortes de séquences "communion", ou l'on se fait plaisir en écoutant un discours consensuel, en saluant longuement des délégations étrangères ou en regardant des vidéos. A côté, on annonce au début des séquences de véritable débat, celles où les militants peuvent exposer leurs opinions, que "regrettablement" le temps ne permet qu'une dizaine d'interventions, chacune strictement cadrée à trois minutes. On se donne cinq minutes pour crier "Uh, Ah, Chavez no se va", mais on ne donnera pas ces cinq minutes à un délégué qui a bossé son texte pour dire ce qu'il en pense. On imagine ce qu'aurait été le Congrès de Tours si on avait procédé ainsi. Mais il est vrai qu'il vaut mieux consacrer une heure à écouter des interventions des délégations d'Amérique du Sud, toutes prévisibles et toutes semblables, plutôt que de laisser la parole à des militants de base qui, en plus, risquent de critiquer certaines postures des dirigeants. De là à penser que cette structuration a été volontairement choisie pour restreindre le temps de débat, il n'y a qu'un pas... que je n'hésite pas à franchir.
Remarquez, certaines interventions de "grands témoins" - c'est à dire, ceux qui ne sont pas limités par la règle des trois minutes - sont intéressantes. Non pas du point de vue politique, puisqu'elles sont calées au millimètre avec le discours "politiquement correct" du PG, mais pour mieux comprendre la sociologie du PG. Par exemple, prenons l'intervention de Françoise Verchère, militante anti-aéroport Notre Dame des Landes. Écouter cette dame, c'était remonter dans la machine à remonter le temps avec la manette réglée au le début des années 1970. Notre Dame des Landes devient alors une sorte de "communauté magique", où tout le monde est gentil avec tout le monde, ou règne "la coopération et non la compétition", où "vous trouverez toujours quelqu'un pour vous aider". Que Mme Vergère - qui a le physique du rôle - ait envie de revivre sa jeunesse, c'est compréhensible. Mais de là à idéaliser un groupe de campeurs militants pour l'élever au rang de contre-société, il y a quand même un pas. Bien sur, lorsqu'on n'a pas besoin de produire, lorsque ce qu'il vous faut pour vivre vient de l'extérieur, on peut toujours "coopérer" sans problèmes. C'est lorsqu'il s'agit de produire et de partager le fruit de la production que les problèmes commencent...
Mais d'une manière générale, ces interventions sont assommantes. Et il ne peut pas en être autrement, parce que les qualités nécessaires pour conduire une grève ou de présider l'association antinucléaire locale ne sont pas les mêmes qui sont requises pour réfléchir sur les problèmes et produire un discours intéressant. Et c'est pourquoi, à l'heure de parler à la tribune, les leaders de grève et les présidents d'association vont puiser leur discours dans la vulgate "politiquement correcte". Cela donne des discours absolument prévisibles, prévisibilité d'autant plus grande que les orateurs ne se concertent pas entre eux. Puisant tous aux mêmes sources, ils disent tous les mêmes choses. Et cela a un effet néfaste sur le débat: en entendant des gens divers sortir les mêmes poncifs et assener les mêmes affirmations - souvent sans la moindre argumentation ou donnée factuelle pour les soutenir - l'auditeur finit par croire, à tort, qu'il s'agit de "vérités évidentes".
Mais en dehors de cette méthode discutable, les rares moments de débat n'ont pas été inintéressants. De toute évidence, il y a eu un travail de fond qui a été fait, et des militants qui ont pris au sérieux le texte et qui ont cherché à l'amender. Et qui ont eu le courage de remettre sur la table un certain nombre de contradictions dans la ligne politique que le texte sous tend.
Un débat qui a traversé le congrès est celui de l'économique et social contre le sociétal. Un certain nombre d'intervenants ont pointé combien le fait de se concentrer sur les questions économiques et sociales permet au Front National d'occuper le terrain et de tirer parti de la désespérance de l'électorat populaire, et demandé une plus grande attention du PG sur ces questions. De l'autre côté, on a assisté au chapelet de "séquences" et d'interventions "sociétales": celles des mouvements LGBT - qui ont eu droit à une séquence complète - mais aussi aux maintenant traditionnelles interventions demandant la féminisation des textes - vous savez, l'ajout des "-e-es" partout.
Le positionnement européen, et notamment la question de l'Euro, a été un deuxième sujet de confrontation. Tout le monde sent que ce sera un élément clé dans la campagne pour les élections européennes. Qui semble avoir été relancée par les déclarations plus qu'ambiguës de Jean-Luc Mélenchon sur la question (1). Plusieurs intervenants ont ainsi signalé combien il y a une demande de clarification chez les citoyens qu'ils voient tous les jours, et combien la position anti-euro assumée permet au Front National d'occuper le terrain. La question de savoir si le discours d'ouverture marque une véritable inflexion de la position du PG sur la question ou pas a été très clairement posée.
En filigrane, on a vu surtout se profiler un débat sur la question de la prise du pouvoir. Le Parti de Gauche proclame depuis sa création que son objectif est de prendre le pouvoir. Seulement, prendre le pouvoir en France implique réfléchir aux alliances. On peut répéter que "le peuple est souverain", mais avant d'être souverain, il est surtout divers. Non en termes de couleur de peau ou d'origine - contrairement aux théories "sociétales" cela n'a aucune importance - mais en termes d'intérêts bassement matériels. Une organisation politique à elle seule ne peut espérer représenter cette diversité, et la question donc se pose des alliances et des concessions réciproques que peuvent faire les différents groupes d'intérêt - on n'ose plus écrire "classes" - pour construire un projet commun. Or, le discours de la dirigeance du PG est le classique discours gauchiste résumé dans la formule - qui est la devise du congrès - "on lâche rien" (2). Et si "on lâche rien", comment peut-on espérer arriver à un accord avec les autres ? La contradiction est résolue par un tour de passe-passe: on redéfinit le "peuple". Cette redéfinition contenue dans le texte proposé au congrès a provoqué pas mal de discussions. Mais la prestidigitation ne permet pas aussi facilement d'effacer le problème dans le monde réel. Le problème électoral du Front de Gauche vient du fait qu'il n'arrive pas à "mordre" en dehors du territoire électoral traditionnel du gauchisme. Exclure les couches populaires - tous ces beaufs machos et homophobes - du "peuple" ne permet pas d'avancer dans cette voie.
D'ailleurs, cette tendance de Mélenchon & Co. à vouloir décider qui appartient et qui n'appartient pas à la collectivité nationale ou au peuple a fini par leur jouer un mauvais tour. Accuser Mélenchon d'antisémitisme est ridicule et scandaleux. Mais il faut reconnaître que la formule qui accusait Moscovici de "ne pas penser en Français" - formule qui revient d'une certaine manière à exclure notre ministre de l'Economie du peuple français - était elle aussi scandaleuse. Mais c'est un peu le problème des gauchistes: ils ont besoin - et pire encore, ils croient que "le peuple" a besoin - de personnaliser le combat. Il ne suffit pas de critiquer les idées de Moscovici, il faut descendre symboliquement la personne qui les porte. On a vu un autre aspect de cette question à travers du débat sur la "liste des oligarques" contenue dans le document de congrès. Un débat intéressant parce qu'il montre les ambiguités de la logique de politisation défendue par Mélenchon qui exclut en principe - c'est lui même qui l'a dit dans son discours - toute "personnalisation" du combat politique mais qui en pratique multiplie les "listes noires" d'individualités diabolisées, de Sarkozy à Parisot en passant par Pujadas, Hollande, Moscovici et pas mal de journalistes. Une méthode qui rappelle de biens mauvais souvenirs, que ce soit ceux des années 1930 ou des chasses aux sorcières gauchistes des années 1960 comme l'affaire de Bruay en Arthois. Le fait de trainer dans la boue le nom d'un adversaire politique est un procédé indigne, et il est regrettable qu'un parti qui prétend construire un monde plus fraternel se livre à ce genre d'excès. D'une manère générale, je dois dire que j'ai du mal à accepter ce recours permanent à la violence verbale, comme si le fait d'insulter quelqu'un prouvait quelque chose. Lorsque j'entends Mélenchon parler des "belles personnes parfumées", des "intelligents qui ont fait l'ENA", je ne peux m'empêcher d'entendre un écho d'idéologies qui étalaient leur préférence pour les forts plutôt que les faibles, les cancres plutôt que les bons élèves, les durs plutôt que les délicats. Pour moi cette démagogie est insupportable: contrairement aux soixante-huitards attardés, je n'ai jamais cru qu'on est plus révolutionnaire parce qu'on est grossier, parce qu'on n'a pas fait des études, parce qu'on est laid et qu'on sent mauvais. Comme disait mon grand-père, être pauvre et laid, ce n'est pas une honte, mais il n'y a pas non plus de quoi être fier.
Une autre "séquence" curieuse dans ce congrès fut celle - symbolique - sur l'oeillet. Les congressistes se sont plusieurs fois récueilli en écoutant "Grandola villa morena", la chanson devenue emblématique de la révolution des oeillets portugaise (3). Cela tombe bien, on a annoncé que le PG a choisi l'oeillet comme emblème. Pourquoi pas. Ce qui est drôle, c'est que dans la tradition ouvrière française les partis politiques n'ont jamais choisi comme emblème une fleur, préférant en général des éléments plus déclaratifs: la faucille et le marteau pour les communistes, l'étoile rouge à cinq branches pour les trotskystes et les guévaristes, les trois flèches vers la gauche de la SFIO... Oh, pardonnez moi ! Il y a une exception. Il y a un parti politique français qui a choisi une fleur pour emblème... et c'est le PS en 1971. Je me demande si les militants du PG ont perçu l'ironie...
Et finalement, je me suis infligé l'écoute intégrale du discours - fort décousu - prononcé par Jean-Luc Mélenchon (4) pour clôturer les travaux. Un devoir très pénible. Non qu'il dise des bêtises. Au contraire, il dit de manière fort éloquente beaucoup de choses qui sont parfaitement justes et agréables à entendre. Le problème, c'est que toutes ces choses mises ensemble donnent une désagréable impression de décalage. Décalage entre les parties du discours, avec des points qui cachent des profondes contradictions. Décalage aussi entre le discours d'aujourd'hui et le discours d'hier. Décalage entre l'appel permanent à la Raison et les affirmations approximatives lorsqu'elles ne sont pas directement fausses, et qui passent grâce à l'émotion de l'orateur. Et le tout arrosé de la sauce démagogique du bonimenteur qui connaît bien son public et sait le manipuler combiné au funambule qui essaye de ne pas s'engager sur rien de trop concret.
Faut-il donner des exemples ? Donnons donc quelques uns: Mélenchon proclame sa confiance dans la science, dans la grandeur de l'esprit humain, en soulignant les succès de la recherche spatiale française, à partir de laquelle il manifeste sa confiance dans la science pour résoudre les problèmes de l'humanité. Mais à côté, on a une séquence l'importance de l'Ecosocialisme, écosocialisme qui reprend toutes les antiennes anti-scientifiques.
Un autre exemple ? Mélenchon déclare que Mario Draghi a violé les statuts de la BCE en prenant la décision sur Chypre, puisque les décisions de la BCE "doivent être prises par consensus, c'est à dire à l'unanimité" (sic), et que le gouverneur de la banque de Chypre s'y est opposé. Mélenchon se trompe: nulle part les statuts de la banque n'indiquent que les décisions soient prises par consensus, et encore moins à l'unanimité. Il est vrai que souvent les décisions sont prises sans vote formel, présenté comme un "consensus", pour éviter d'étaler les divisions devant la presse. Mais Mélenchon prend ici - ou fait semblant de prendre - l'apparence pour la réalité.
Et enfin, peut-être faut-il prendre le point sur lequel le positionnement mélenchonien est le plus complexe, celle de l'Euro: S'il y avait eu ambiguïté dans le discours d'ouverture, il s'est senti obligé dans le discours de clôture de bien préciser qu'il "n'était pas en train de proposer la sortie de l'Euro". Pourquoi ? Parce que "sortir de l'Euro, ce serait accepter l'Euro-Merkel". On admirera la cohérence avec l'affirmation, en début de discours, qu'il ne faut pas personnaliser les attaques. Mais surtout, on voit mal le rapport entre une sortie de l'Euro et le fait "d'accepter" quoi que ce soit de tel. Mais après avoir affirmé qu'on ne propose pas la sortie de l'Euro, il démontre dans un long paragraphe que l'Euro c'est l'horreur, l'instrument d'asservissement des peuples... et il continue en nous expliquant que le problème, c'est l'Euro fort. Que deviennent alors les mâles déclarations dans des discours antérieurs où on expliquait que "si la BCE n'est pas reformée, il faudra passer l'Euro par dessus bord" ? En fait, Mélenchon a trouvé la quadrature du cercle: il lui fallait pouvoir concurrencer ceux qui disent "il faut sortir de l'Euro". A ceux-là, il propose de "sortir de l'Euro-Merkel". Mais en même temps, il ne veut pas véritablement sortir de Maastricht. C'est pourquoi il proposera qu'on reste dans "l'euro du peuple". Et le tour est joué. Que voulez vous... souvent Mélenchon varie... pour rester le même, c'est à dire un maastrichien convaincu, un mitterrandien nostalgique qui fait aujourd'hui ce que son mentor a si bien fait après 1972.
Descartes
PS: Lorsque j'ai écrit cet article, les textes votés et notamment les statuts modifiés n'étaient pas disponibles.
(1) Plusieurs commentaires de JLM dans divers médias semblent indiquer une évolution sur la question de l'Euro. Alors qu'il y a quelques mois les partisans d'une sortie de l'Euro étaient qualifiés de "maréchalistes", l'ancien candidat prend maintenant une position ambiguë sur le mode "ou bien on réforme la BCE, ou bien il faudra abandonner l'Euro" sous différentes formes. Il l'a fait, semble-t-il, encore une fois dans son discours d'ouverture du congrès, mais comme le texte de celui-ci n'est pas disponible, je n'ai pas pu vérifier.
(2) On remarquera l'erreur syntactique contenue dans cette formule. Ce n'est pas à mon avis neutre: il y a une longue tradition dans le gauchisme français de mépris de la culture qui conduit à croire qu'on "fait peuple" en dégradant la qualité de l'expression. On peut constater au contraire que le PCF, pendant les trente ans où il fut le parti incontesté de la classe ouvrière, a toujours cherché au contraire ses devises dans la langue la plus classique et la plus correcte.
(3) Ce qui a donné lieu à un incident qui montre à quel point les dirigeants du PG ignorent l'histoire des mouvements politiques et parlent par approximation. La "révolution des oeillets" a été présentée comme "ayant mis fin à la dictature de Salazar". La "révolution des oeillets" - en fait un coup militaire - a eu lieu en 1974, alors que Salazar était mort depuis quatre années.
(4) On peut d'ailleurs se demander pourquoi c'est toujours Mélenchon qui prononce les grands discours. Après tout, le Parti de gauche, en bon parti du politiquement correct, a deux co-présidents: un homme, Jean-Luc Mélenchon, et une femme, Martine Billard. Comment les militants acceptent-ils que la co-présidente femme soit reléguée à un rôle secondaire ? Pourquoi ne prononce-t-elle jamais le "grand discours" qui clôture congrès et meetings ? Comme quoi, tous les co-présidents sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres.
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