L'été est la saison langoureuse. Avec le soleil, la plage, la mer, les neurones deviennent paresseuses. On n'a pas envie de penser aux choses sérieuses. Et c'est pourquoi l'été est la saison idéale pour les petits scandales. Alors que l'Union Européenne est en crise, que l'effondrement économique de la Grèce risque d'emporter l'Euro, il est évident que la priorité des priorités pour nos hommes et femmes politiques est de savoir s'il faut "démilitariser" le 14 juillet. Ceux qui aimeraient savoir ce que Martine, Jean-Luc, Eva et les autres pensent des conséquences économiques de la crise devront attendre. La priorité, c'est le "défilé citoyen".
Sacrifions donc a la légèreté de l'époque, et réfléchissons un peu sur cette question. Il faut d'abord bien parler de la provocation d'Eva Joly. Car il faut bien parler de provocation: peut imaginer qu'une personne engagée en politique et connaissant la France parfaitement - car elle ne descend pas d'un Drakkar - puisse faire cette déclaration quelques heures après la mort de six soldats français en Afghanistan sans anticiper à quel point elle pouvait blesser une partie de l'opinion ? La réaction de l'opinion l'a d'ailleurs bien montré. En dehors de quelques voix venues du gauchisme, les politiques à gauche comme à droite ont trouvé l'intervention incongrue et ne se sont pas gênés pour le dire. Bien entendu, ce n'est pas parce que la classe politique est unanime qu'elle a raison. Mais la classe politique sur ce genre de questions est guidée par une considération et une seule: ne rien dire qui puisse choquer ses électeurs. L'unanimité de la réaction montre que les politiques sont convaincus que le peuple pense ainsi. Et ils n'ont pas tort.
Il est clair que Eva Joly ne comprend pas l'histoire de France. Et cela n'a rien à voir avec ses origines: j'ai connu des français de onze générations qui n'y comprenaient rien au drapeau tricolore, et des immigrés assimilés passionnés par la recherche des liens symboliques de nos institutions avec celles de Louis XI ou de Philippe Auguste. Seulement voilà: à gauche, ça paye d'être une victime. On a connu des candidates qui sortent juste avant l'élection un viol familial de leur chapeau comme argument électoral. Pourquoi ne pas faire la même chose avec un passeport étranger ? Et c'est là que la provocation d'Eva Joly est habile: en jouant un scandale sur une question "identitaire", elle se donne les moyens de ramener toute critique de son point de vue à une critique de ses origines. C'est pas beau, ça ? En quelques jours, toute la gauche bienpensante se trouve faire la queue pour soutenir la "victime" Joly devant les attaques des "infâmes".
Eva Joly ne comprend pas - ou fait semblant de ne pas comprendre... - quel est le sens profond du défilé militaire du 14 juillet. Ce défilé, c'est l'hommage rendu par la Nation à ceux parmi ses fonctionnaires qui jouissent d'un rare et discutable privilège: celui d'être requis à n'importe quel moment sur simple décision des élus du peuple pour risquer leurs vies. Car contrairement aux instituteurs et aux infirmières, les militaires, les pompiers ou les policiers qui défilent ce jour-là ne bénéficient ni d'un droit de retrait, ni d'une clause de conscience. Ils sont tenus, éventuellement au péril de leur vie, d'obéir aux instructions que nous, citoyens, nous leurs donnons par l'intermédiaire de nos élus. Ce don de soi ne mérite-t-il pas un hommage ?
Venons maintenant à la question du "défilé citoyen". Je ne suis pas contre. Pourquoi ne pas rendre l'hommage de la Nation a d'autres catégories de serviteurs publics: instituteurs, professeurs, fonctionnaires civils, agents EDF... seulement voilà, le défilé, c'est le 14 juillet. Car un défilé, ce n'est pas une manifestation ou l'on va quand on a envie. Si la Nation choisit de vous rendre hommage, vous défiler est une véritable insulte à vos concitoyens. Quelle serait à votre avis la réaction des instituteurs et professeurs, des infirmières et agents EDF lorsqu'on leur annoncera qu'ils sont tenus de rentrer de vacances pour défiler sur les Champs Elysées ? Je vous le laisse imaginer...
Il ne faut pas croire que Eva Joly ait fait cette sortie par hasard. Car Eva Joly est une femme intelligente. Elle a joué fort habilement sur un reflexe conditionné de la gauche, son pacifisme. Et cela n'a pas raté: ceux qui attaquent la sortie de l'ex-juge deviennent suspects du terrible crime de militarisme. Pire, ils deviennent l'anti-France. Il n'y a qu'à lire l'article d'Edwy Plenel (ici) - encore un gauchiste reconverti en sauveur du Monde - dans médiapart. Un article dont le titre est déjà une position: "leur 14 juillet et le notre". Il n'est pas précisé dans le titre qui c'est "eux" et "nous", mais la conclusion de l'article nous le precise dans le meilleur style McCarthyste: "Les détracteurs d'Eva Joly ne savent tout simplement plus aimer la France" . Sachez-le, braves gens: il y a une tranchée. D'un côté, se trouve le bien, la beauté, l'amour de la France et Eva Joly - et Edwy Plenel, of course - alors que de l'autre se trouvent ceux qui "ne savent plus aimer la France". Le côté de l'Anti-France, aurait dit le Maréchal...
Dans son article, Plenel illustre tous les poncifs du pacifisme genre canard enchaîné, avec force références à Vian, Brassens et... au Prévert du groupe "Octobre":
"Quand, par exemple, dans les années 1930, Jacques Prévert et le Groupe Octobre composent « Marche ou crève », c'est pour refuser une armée de guerre sociale où le travailleur est dépossédé de son histoire et de ses intérêts.
Moi j'suis pêcheur dans l'Finistère
Explique-moi pourquoi je tirerais
Sur un mineur du Pas-de-Calais
Tous les travailleurs sont des frères
Faut pas nous laisser posséder"
C'est beau... Dommage que Plenel semble oublier où ce pacifisme charmant des années 1930 a conduit la France en général et la gauche en particulier. C'est sous la pression de ce "pacifisme" que la République a retardé son réarmement devant la menace que représentait Hitler. C'est aussi ce pacifisme qui a preparé l'acceptation de la remilitarisation de la Rhénanie et la capitulation de Munich. C'est au nom de ce pacifisme que certaines organisations ouvrières ont demandé à leurs adhérents de saboter les fabrications de guerre en 1939, et ce fut un journaliste de gauche qui écrivit qu'il ne fallait pas songer à "mourir pour Dantzig". La défaite de 1940 doit beaucoup à ce pacifisme-là. Faisons un peu de mémoire: qui a écrit:
"Pas un des maux qu'on prétend éviter par la guerre n'est un mal aussi grand que la guerre elle même (...) Plutôt l'occupation étrangère que la guerre".
Non, ce n'est pas Plenel pas plus qu'Eva Joly. C'est Félicien Challhaye, disciple de Jaurès, ami d'Anatole France, et professeur de philosophie au Lycée Condorcet dans les années 20 et 30. Qui a écrit, à l'annonce de Munich:
"Aucune honte dans les concessions, la paix à tout prix, voilà notre programme" (1)
Rassurez-vous, ce ne fut ni Plenel ni Joly... mais un député guesdiste, Paul Faure. Et il faut rappeler que le guesdisme en ces temps-là, c'était un peu ce qu'on appelle aujourd'hui la "vrai" gauche, opposée à la ligne "social-démocrate" (et belliciste...) de Blum.
Et des citations comme celles-ci, on pourrait en donner des douzaines: de Prévert, de Giono, de Giraudoux... La "vraie gauche" française des années 1930 s'est laissée aveugler par ses préjugés et fut objectivement complice d'une politique désastreuse. Et il faut croire qu'elle n'a rien appris de ces erreurs.
Tous les fanatismes sont dangereux, et le fanatisme pacifiste et antimilitariste est aussi dangereux que les autres. Entre autres choses, parce qu'il est toujours facile de manipuler les fanatiques en leur disant ce qu'ils veulent entendre. Il est difficile de croire qu'une femme politique comme Eva Joly, pétrie de culture française et connaissant parfaitement notre histoire, ait pu le faire simplement par erreur...
Descartes
(1) Les citations sont extraites du magistral ouvrage "Les Français de l'an 40" de Jean-Luis Crémieux-Brilhac.
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