Le 9 mai 2008, au milieu des célébrations du 40ème anniversaire de mai 68, au milieu des auto-congratulations nostalgiques de divers gauchistes reconvertis qui en député, qui en habitué des cabinets ministériels, Régis Debray avait commis un texte délicieux rendant hommage au grand oublié des "événements". A celui à qui l'on doit en grande partie le fait que mai 68 ait été une fête et non pas une tragédie. J'ai nommé le préfet Maurice Grimaud. Voici ce qu'écrivait Debray:
N'oubliez pas, ô princes du marketing de demain, l'ancien préfet de police de Paris grâce auquel notre révolution libertarienne et fondatrice, l'année zéro de l'actionnaire régénéré du XXIe siècle, aura pu se dérouler sans mort par balle (étudiant ou écolier). Pourquoi cette bouteille à la mer ? Parce qu'un témoin ébloui du cinquantenaire en cours s'étonne de ce qu'il ne soit pas plus fait mention, dans notre épatante envolée d'autocélébrations, du discret humaniste alors en charge des forces de l'ordre. (...) M. Grimaud, qui se souvenait des infamies de son prédécesseur, M. Papon, ainsi que du 6 février 1934 à la Concorde, plaça aussitôt CRS et gendarmes mobiles (qui eurent deux morts de leur côté) sous les ordres de commissaires expérimentés, chapitra les plus exaspérés, oralement et par écrit, s'entendit avec les syndicats de police, et envoya à Beaujon, où étaient retenus les interpellés, des équipes médicales pour prévenir les passages à tabac. Si, au cours de semaines démentielles où l'on pouvait craindre le pire à tout moment, l'irréparable n'a pas eu lieu, si les jours des farouches lutteurs qui ont rompu nos chaînes ne furent jamais sérieusement en danger, ils le doivent pour beaucoup au chef des « = SS », à « Grimaud assassin » !
L'ironie de Debray n'a pas perdu une ride. Sans exagération, nous pouvons en France être fiers d'un appareil de maintien de l'ordre qui use de la force avec une grande retenue. De Mai 68 aux émeutes de 2005 en passant par toute une série d'évènements locaux plus ou moins violents, le maintien de l'ordre n'a fait en France qu'un minimum de morts et de blessés graves. On peut broder à l'infini sur la "brutalité" de tel ou tel corps de police, on peut souligner des abus ou des excès de tel ou tel individu, mais globalement il faut se rendre à l'évidence: la répression en France est faite de manière à minimiser les dégâts.
Cela n'empêche pas nos gauchistes bien-aimés de continuer à fantasmer. Seulement, aujourd'hui ce n'est plus "CRS=SS" (peut-être parce que les jeunes militants ont oublié ce qu'étaient les SS...) mais plutôt "CRS=casseurs". Il suffit de faire un petit parcours dans les blogs et publications de la "gauche radicale" pour trouver des histoires plus ou moins vraisemblables "prouvant" - ou du moins c'est ce qu'affirment les colporteurs - que les casseurs seraient en fait des policiers.
En fait, la fantasmagorie gauchiste repose sur une vision erronée de ce qu'est la police. Car une manifestation, ce n'est pas une confrontation entre deux groupes idéologiquement homogènes, les manifestants d'un côté et la police de l'autre. Les manifestants sont sur le pavé pour exprimer leur mécontentement ou leurs revendications. Ils sont donc censés partager un corpus idéologique. Ainsi, on peut parier qu'en prenant des manifestants au hasard on trouvera toujours des gens opposés à la reforme des retraites, anti-sarkozystes, etc. Mais les policiers, eux, sont des fonctionnaires recrutés par un concours qui n'inclut pas, jusqu'à nouvel ordre, des questions politiques ou syndicales. Les policiers sont là parce que c'est leur boulot, parce que leur hiérarchie leur en donne l'ordre. Mais rien ne garantit que leurs opinions individuelles les placent du côté du gouvernement plutôt que celui des manifestants.
En d'autres termes, et en dehors des débordements individuels toujours possibles, si des policiers ont "cassé", c'est parce qu'ils en ont reçu l'ordre. Or, donner des ordres manifestement illégales (et l'ordre de "casser" des biens publics ou privés entre de toute évidence dans cette catégorie) à une corporation dont l'homogénéité idéologique n'est pas garantie est un suicide. Il se trouvera toujours un opposant pour transmettre ces ordres au "canard enchaîne" ou peut-être même à un juge. On peut donc sérieusement douter que de tels ordres aient existé.
Reste la question des policiers "infiltrés" dans les manifestations. Notons d'abord que cela n'a absolument rien d'illégal. Une manifestation n'est pas une fête privée, c'est une activité publique. Elle est donc soumise à la surveillance des forces de l'ordre. Que les policiers s'habillent et se décorent de manière à se fondre dans la foule semble être une précaution évidente, non seulement pour l'efficacité de leur action mais aussi pour leur propre sécurité.
Les policiers sont aussi des travailleurs, et leur travail consiste à ce que les manifestations se passent avec un minimum de casse. C'est pourquoi les services d'ordre de la CGT ou du PCF ont toujours travaillé avec les services de police, y compris avec des "infiltrés" que les membres du SO connaissent souvent de longue date (et j'ai suffisamment fait du SO dans ma jeunesse pour pouvoir en parler). Il n'y a que les gauchistes pour continuer à penser que la police est l'ennemi, et qu'en jetant un pavé sur un honnête père de famille revêtu d'un uniforme on prouve qu'on est un révolutionnaire.
Les véritables ennemis, ce sont les casseurs. Si les leaders de la gauche radicale consacraient à les combattre la moitié de l'effort qu'ils consacrent à débiner la police, ce serait déjà un grand progrès.
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