Il y a des situations qui nous poussent à relire des œuvres du passé pour mieux interpréter le présent. Ces jours-ci, c’est la lecture des « Sorcières de Salem » d’Arthur Miller qui s’impose. Pour ceux qui ne connaissent pas l’ouvrage, il s’agit de la version romancée de faits réels arrivée au village de Salem, dans le Massachussets, en 1692. A l’époque, les dénonciations d’actes de sorcellerie imaginaires – un esprit méchant pourrait noter que les dénonciations étaient le fait de femmes – provoquent une vague d’hystérie qui aboutit à la mort violente de plusieurs habitants et à la dissolution de la communauté. Miller dépeint très bien comment la fermeture d’esprit, l’obscurantisme, la bigoterie conduisent une société à la catastrophe. Bien entendu, le choix du sujet n’était pas neutre : la pièce date de 1953, et on y pouvait voir une parabole d’une autre hystérie américaine, celle du McCarthysme. A l’époque, le texte de Miller avait une résonance avec l’actualité de l’époque qui ne pouvait échapper à personne.
Il est vrai qu’à l’époque il y avait une solide communauté intellectuelle prête à défier le consensus mou de l’époque avec des ouvrages subversifs, y compris au risque d’aller en prison ou de prendre le chemin de l’exil. Miller n’était pas communiste, et n’avait aucune sympathie particulière pour le communisme. Pas plus que Chaplin n’était communiste lorsqu’il tourna « le roi à New York ». Mais tous deux étaient horrifiés de voir une société, la leur, tomber dans un délire qui aboutissait sur simple dénonciation à la persécution, à la condamnation et même à l’exécution d’êtres humains en violation ouverte des droits que la société proclamait par ailleurs. Mais il n’est pas inutile de revenir sur les faits historiques qui ont donné à Miller la base de sa pièce. La tragédie des « Sorcières de Salem » est d’abord la tragédie d’une société puritaine, s’érigeant en censeur des comportements publics et privés de ses membres, d’une société paranoïaque interprétant tout écart comme résultat d’une conspiration diabolique. Ca ne vous rappelle rien ?
L’affaire Weinstein illustre encore une fois le mécanisme mis à jour par Miller. Rien de nouveau de ce côté-là de l’Atlantique, où le puritanisme reste toujours aussi puissant, au point qu’un rapport sexuel entre adultes consentants peut devenir un scandale et menacer la position d’un président des Etats-Unis. Ce qui est plus paradoxal, c’est que la logique puritaine américaine trouve à s’exprimer aussi de ce côté-ci. Que les élites d’une société qui fut – et qui par beaucoup de côtés est encore – cartésienne mais aussi voltairienne, une société fondée sur une séparation stricte entre la sphère publique et la sphère privée, s’adonne aux délires de la paranoïa puritaine. Car l’affaire Weinstein et ses répliques franco-françaises (et notamment le fameux mot-dièse « #balancetonporc ») relève, il faut bien le dire, du délire.
Commençons par les faits. Ou plutôt par leur absence. Parce que c’est là que la logique de la « chasse aux sorcières » se manifeste le plus évidemment. Etre rationnel, c’est admettre que nos sens, notre mémoire, nos intérêts peuvent nous trahir, et qu’un témoignage, tout poignant qu’il soit, ne suffit pas pour établir un fait. Tout témoignage, toute observation doivent être traitées à partir d’une position de doute systématique, parce que ce que nous croyons n’est pas vrai du simple fait de notre croyance. Ce principe cartésien a été traduit dans le droit pénal par les Lumières dans la logique de la « présomption d’innocence ». Pour qu’un homme puisse être puni, pour qu’on puisse porter atteinte à son honneur, à ses biens, à sa liberté, à sa vie, il faut que l’acte qu’on lui reproche soit établi « au-delà du doute raisonnable », pour reprendre la formule anglo-saxonne, et « le doute doit profiter à l’accusé », si l’on préfère la formule française. Mais les Lumières sont allées plus loin, lorsqu’elles ont imposé le principe de légalité des délits et des peines. En d’autres termes, qu’on ne peut porter atteinte à l’honneur, aux biens, à la liberté, à la vie d’une personne pour des actes qui n’étaient pas contraires à la loi telle qu’elle était au moment où les actes ont été accomplis. En d’autres termes, vous pouvez être puni lorsque vous faites quelque chose d’illégal, mais vous ne pouvez pas être puni simplement parce que vos voisins désapprouvent votre comportement.
On a du mal à imaginer à quel point ces simples principes, qui nous semblent aujourd’hui aller de soi, ont changé la vie des gens. On a du mal à s’imaginer ce que serait de vivre dans un monde ou vous pouvez être chassé de votre emploi sur une simple suspicion, sur une simple dénonciation, et non pas pour avoir fait quelque chose contraire aux lois, mais parce que ce que vous avez fait froisse vos voisins. On a du mal… sauf que cela se déroule sous nos yeux. Chaque jour, on voit une personnalité différente trainée devant le tribunal de l’opinion et condamnée sans possibilité d’appel, privé de son honneur, de son emploi. Et tout ça sur simple dénonciation, sans qu’il soit besoin d’établir les faits, d’établir qu’une infraction pénale a été commise.
Que l’oubli ou le rejet des principes qui fondent notre droit depuis la Révolution française vienne de ceux qui n’ont jamais accepté l’héritage des Lumières, ce serait logique. Le paradoxe aujourd’hui, c’est que c’est la « gauche », les « libéraux » - au sens anglo-saxon de ce terme – qui aujourd’hui prennent la tête de la croisade. On l’avait vu lors de l’affaire Strauss-Kahn, quand des personnalités aux états de service féministes aussi impeccables que Marie-George Buffet s’indignaient que le « porc » ne soit pas poursuivi et condamné, alors que dans une décision d’une vingtaine de pages le procureur de New York expliquait que de telles poursuites étaient impossibles, du fait de la minceur des indices et des contradictions du principal témoin qui rendaient impossible l’établissement des faits. Le procureur utilisait d’ailleurs une formule qui dit tout : « les preuves et les témoignages ne m’ont pas convaincu, et à partir de là je ne crois pas possible de convaincre un jury au-delà du doute raisonnable ». Ce qui n’a pas empêché Strauss-Kahn d’être envoyé au bûcher médiatique, d’être privé de son poste, de voir sa carrière brisée, de devoir payer de copieux dommages à son accusatrice. Certains ont même théorisé que Strauss-Kahn devait payer quand bien même il n’aurait rien fait. Le simple fait d’être un homme, un « important », suffisait. Naguère, à Bruay-en-Artois, le bourgeois était coupable non pas parce qu’il avait fait quelque chose, mais parce qu’il était bourgeois. Aujourd’hui, avoir un pénis fait de vous un porc libidineux qui doit payer non du fait de ce qu’il fait, mais du fait de ce qu’il est.
Cette « gauche libérale » se félicite bêtement de la « libération de la parole », oubliant que la liberté de parole emporte avec elle la liberté de dire n’importe quoi. Et que si la « libération de la parole » sur le divan du psychanalyste – car l’expression appartient au registre de la thérapie psychanalytique – peut être profitable pour un patient, son équivalent social est, lui, plein de dangers. La parole libre n’est pas, loin de là, une parole vraie. Ce serait plutôt le contraire : la possibilité de dénoncer n’importe qui et de voir cette dénonciation accueillie avec sympathie quelque soit la réalité des faits ne peut qu’encourager tous les délires, toutes les justifications, toutes les vengeances. Et on le voit bien : depuis le début de l’affaire Weinstein – comme on l’avait vu dans l’affaire Baupin – nous assistons à un déballage dans lequel beaucoup d’accusations ont été proférées, mais aucun fait n’a été établi et prouvé. Le seul fait établi, en fait, c’est qu’un groupe de femmes décidées et ayant accès aux médias peuvent détruire la carrière et la réputation d’un homme par une simple accusation. Ce qui est remarquable, c’est que personne ne s’interroge sur les motivations qui poussent ces femmes à la dénonciation – très tardive – des turpitudes réelles ou supposées. Autant le suspect est présumé coupable, autant l’accusateur est présumé être animé par les sentiments les plus purs de justice. Dans une société qui tend à voir le mal partout, c’est curieux, n’est ce pas ?
Mais, me direz-vous, que faites-vous de tous ces témoignages, de toutes ces histoires racontées par des gens différents, de toutes ces femmes qui proclament leur souffrance dans les réseaux sociaux ? N’est ce pas là l’évidence qu’il y a un problème ? Oui, il y a un problème, mais pas celui qu’on pense. D’abord, il faut tordre le cou à cette tendance à confondre le témoignage et la réalité. Le fait que beaucoup de gens croient que la terre est plate a des conséquences, mais celles-ci ne sont pas tout à fait les mêmes que celles qu’aurait le fait que la terre soit effectivement plate. Or, il y a beaucoup de raisons de penser que ces témoignages ne reflètent pas la réalité.
D’abord, il y ce qu’on appelle l’effet d’entraînement. C’est comme le personnage féminin de Brétecher qui sans crier gare commence à embrasser l’une de ses amies. Son problème : elle est en train d’écrire ses mémoires, et n’arrive pas à écrire le chapitre sur son expérience homosexuelle… parce qu’elle n’en a pas eu une telle expérience. Contrairement à ce qu’on écrit encore dans certaines gazettes, il y a longtemps que le fait d’avoir été harcélé, molesté et même violé n’est plus un motif de honte. Au contraire, cela fait de vous une « victime », et à ce titre vous donne droit à l’attention et la compassion de l’ensemble de la communauté. A tel point que certains – n’est ce pas, Clémentine Autain ? – ont utilisé leur viol présumé comme argument de campagne électorale. Aujourd’hui, avoir été harcelé ou violé vous donne quelque chose d’intéressant à raconter, et dans un contexte ou nous sommes sous une injonction permanente de nous mettre nous-mêmes en scène, la tentation de transformer en réalité ce qui n’est qu’un fantasme peut-être irrésistible. Alors, ce collègue qui nous regarde de façon insistante – peut-être parce qu’on a le maquillage de travers – ou cet autre qui nous effleure – accidentellement ? – dans le couloir deviennent tout à coup des signes d’un « harcèlement » qu’on peut raconter sur Facebook. C’est d’ailleurs ce fait qui explique l’énorme décalage entre les faits dénoncés sur les réseaux sociaux et les plaintes effectivement déposées. Les gens ne sont pas fous : une chose c’est de dire « un collègue m’a effleuré dans le couloir » sur les réseaux, et une autre très différente est d’aller devant un officier de police judiciaire à qui il faudra raconter des faits précis, au risque d’avoir l’air ridicule ou, pire, de faire face à une plainte pour dénonciation calomnieuse de la part de la personne dénoncée.
Par ailleus, on sait depuis longtemps que le domaine des rapports sexuels est par essence un domaine fantasmatique. En d’autres termes, il y a une distance entre ce qui se passe physiquement entre un homme et une femme et ce qui se passe dans leur tête. Le rapport sexuel n’est pas un simple rapport physique. C’est un fait social. La manière dont chacun en parle, dont chacun l’imagine, dont chacun le raconte peut n’avoir qu’un rapport lointain avec ce qui s’est vraiment passé. Les études statistiques montrent que les hommes ont tendance à exagérer leur vie sexuelle (nombre de partenaires, fréquence des rapports…) alors que les femmes ont le réflexe contraire. Qui n’a pas eu un collègue qui se vante en permanence de ses nombreuses conquêtes féminines, mais dont on sait positivement qu’il ne « choppe » jamais ? Qui n’a jamais eu une collègue qui soutient dur comme fer que la « chose » ne l’intéresse pas, mais qui porte au travail des tenues suggestives et se jette sur tout ce qui porte un pantalon ?
Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de vrais viols, des vrais harcèlements, des vraies agressions, de vraies violences domestiques. Mais elles sont bien moins nombreuses que ce que les chiffres complaisamment gonflés cherchent à nous faire croire. La conduite rationnelle est de ne tenir pour établi que ce qu’on peut prouver, et traiter le reste avec scepticisme.
Et parce que le rapport sexuel est d’abord fantasmé, la communication entre les partenaires est particulièrement complexe. Car ce qu’on veut n’est pas forcément ce qu’on pense, ce qu’on pense n’est pas forcément ce qu’on dit. Pire : ce qu’on dit après n’est pas forcément ce qu’on pensait avant, et vice-versa. Les féministes américaines ont fait de la formule « non veut dire non » un slogan. Mais les choses ne sont pas malheureusement – ou heureusement – aussi simples. Il y a des « oui » qui veulent dire « non », des « non » qui veulent dire « peut-être ». L’amour a son langage, et ce langage ne s’apprend que par expérience, c'est-à-dire, par essai et erreur. Mais comment pourrait-il y avoir essai et erreur si la première erreur fait de vous un « porc » à « balancer » (1) ?
Et c’est là qu’on arrive à mon avis au fond du problème. Ce néo-puritanisme qui est en train de nous envahir révèle un paradoxe. Dans la civilisation hyper-sexualisée dans laquelle nous vivons, alors que la pornographie est en libre-service sur Internet et qu’il est impossible de regarder un film ou une série sans voir un acte sexuel explicite, le sexe fait toujours peur. Alors que les rapports sexuels se banalisent, se diffuse l’idée qu’un rapport sexuel non désiré pourrait compromettre définitivement la santé mentale d’une personne. Confrontées à un changement radical dans les rapports entre les sexes, nos sociétés reviennent aux principes idéologiques du puritanisme victorien : Dans chaque homme il y a un cochon qui sommeille – et d’un sommeil léger, paraît-il – alors que les femmes sont des êtres faibles, que ce soit sur le plan physique et psychologique, qui doivent être protégées de la dureté du monde, et qui ont besoin de « soutien psychologique » quand celle-ci se manifeste. Aujourd’hui, il y a des femmes gendarmes qui arrêtent des criminels, des femmes soldats qui tuent l’ennemi, mais on nous explique qu’elles ne peuvent pas donner une bonne baffe à celui qui leur fait un compliment un peu trop appuyé – ce que nos grands-mères arrivaient très bien à faire alors qu’elles n’avaient pas encore le droit de vote ou celui d’avoir un chéquier, et sans « soutien psychologique » pour les aider à se « reconstruire » après.
En fait, sous un vernis égalitaire, les féministes se sont fait les premiers défenseurs des pires stéréotypes sexistes. Prenons ces actrices qui dénoncent aujourd’hui le comportement de Weinstein. Lorsqu’elles acceptaient son invitation de passer dans sa chambre d’hôtel la nuit, que croyaient-elles qu’il proposait ? De leur montrer sa collection d’estampes japonaises ? De regarder le match à la télé ? De discuter de l’importance de l’accent circonflexe dans l’œuvre de Wittgenstein ? Non, bien sur que non. Elles savaient parfaitement ce qu’il voulait, et elles savaient parfaitement ce qu’elles voulaient obtenir, elles aussi. C’était un pur accord donnant-donnant, entre des adultes consentants. Les dénonciatrices ne peuvent même pas invoquer la nécessité : aucune d’entre elles n’était dans la misère avec six enfants à nourrir. C’est un peu comme si Madame de Maintenon avait dénoncé Louis XIV de l’avoir harcelée après avoir partagé avec lui le pouvoir pendant de longues années. Si quelqu’un a motif de se plaindre, ce sont celles qui ont vu leur carrière brisée de ne pas avoir cédé aux sollicitations de Weinstein. Or, curieusement, ce ne sont pas elles qu’on entend… peut-être parce qu’il n’y en a pas ?
Vous me direz que Weinstein a abusé de son pouvoir de richissime producteur. Admettons. Mais alors, par un raisonnement parallèle, ne devrait-on conclure que dans le rapport entre Liliane Bettencourt – la femme la plus riche de France – et Jean-Marie Banier, c’est ce dernier qui serait la « victime »... or, curieusement, c’est la position inverse que l’opinion a retenue. Lorsqu’un humble photographe soutire des avantages à une femme richissime par le commerce de ses charmes, c’est un salaud. Lorsqu’une actrice soutire des avantages à un producteur richissime de la même manière, elle est l’infortunée victime d’un « porc ».
Si les féministes « de genre » n’arrivent pas à avaler le sexe – sans jeu de mots – c’est parce que le sexe est l’un des rares rapports humains qui résiste à leur campagne de normalisation. Le désir pour l’autre sexe, la pulsion de la moitié de l’humanité à mettre ce petit morceau de chair dans le trou de l’autre moitié de l’humanité est programmée en nous, que cela plaise ou non aux féministes. C’est là la limite que la biologie a placée sur le chemin de l’égalité parfaite que les féministes « de genre » considèrent comme un préalable à la paix universelle. Or, il n’y a que deux manières de contrôler cette pulsion : la séparation complète entre les sexes, ou la castration systématique.
On découvre en fait que féministes « de genre » et islamistes sont finalement d’accord sur le diagnostic, et ne différent que dans le remède. Tous deux pensent que les hommes sont des porcs incapables de modérer leurs pulsions. Pour les islamistes, la protection des femmes de ces porcs à visage humain passe par une séparation radicale des sexes. Les hommes et les femmes ne doivent pas se toucher, ne doivent pas fréquenter les mêmes lieux, en un mot, ils doivent rester entre eux. Dans l’espace public, les femmes doivent se couvrir complètement pour éviter d’exciter la concupiscence inhérente aux hommes, et elles doivent toujours être « chaperonnées » - de préférence par un homme de leur famille, que la loi de l’inceste met à l’abri de tout geste déplacé. Pour les « féministes de genre », c’est plutôt la logique Pol Pot : les hommes doivent être symboliquement châtrés, au moyen de campagnes de rééducation. Et ceux qui outrepassent la ligne blanche doivent être exécutés publiquement, pour faire un exemple.
En 1968, Georges Brassens écrivait une magnifique chanson intitulée « La bouteille, la rose et la poignée de main ». Voici un petit extrait :
Cette rose avait glissé de
La gerbe qu'un héros gâteux
Portait au monument aux Morts.
Comme tous les gens levaient leurs
Yeux pour voir hisser les couleurs,
Je la recueillis sans remords.
Et je repris ma route et m'en allai quérir,
Au p'tit bonheur la chance, un corsage à fleurir.
Car c'est une des pir's perversions qui soient
Que de garder une rose par-devers soi.
La première à qui je l'offris
Tourna la tête avec mépris,
La deuxième s'enfuit et court
Encore en criant "Au secours !"
Si la troisième m'a donné
Un coup d'ombrelle sur le nez,
La quatrièm’, c'est plus méchant,
Se mit en quête d'un agent.
Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
Sans être louche, on ne peut pas
Fleurir de belles inconnu’s.
On est tombé bien bas, bien bas...
Et ce pauvre petit bouton
De rose a fleuri le veston
D'un vague chien de commissaire,
Quelle misère !
Cette chanson, vestige d’une époque plus heureuse ou l’on concevait le combat pour l’égalité autrement que sous la forme d’une police de la pensée, devrait figurer dans l’exposé des motifs de la loi contre le harcèlement sexuel que le gouvernement compte déposer dans les prochains mois. Pour la condamner, bien entendu. Car que raconte cette chanson, sinon un épisode de harcèlement ? Il faudrait d’ailleurs enlever le nom de Brassens du fronton des écoles et des lycées qui le portent. Comment un auteur aussi sexiste pourrait encore être admis par l’Education Nationale ?
Nous nous préparons décidément un monde bien triste. Irène Théry, sociologue de son état, écrit dans une tribune parue dans Le Monde que « ce qui se passe aujourd’hui n’est en rien une mise en cause du charme, du plaisir ou de la séduction. Il faut en finir avec ces amalgames : tout le monde sait parfaitement distinguer la séduction et l’agression. Tout le monde. Que l’on tente de séduire, ou qu’on se laisse séduire, on sait quand l’autre consent, et on sait quand on consent soi-même. La séduction, c’est justement l’art de lever un à un les possibles malentendus ». Et bien, madame Théry a beaucoup de chance de savoir tout ça. Mais elle a tort de penser que « tout le monde » partage sa clairvoyance. D’ailleurs, son point de vue contient une intéressante contradiction : d’où vient ce « savoir » ? Est-il inné ? Difficile d’imaginer, car on voit mal quel avantage cela donnerait du point de vue de la sélection naturelle, ce qui est confirmé d’ailleurs par le comportement animal. C’est donc un comportement appris. Mais alors, on l’apprend comment ? Qui nous enseigne à reconnaître le consentement chez un partenaire sexuel ? Je ne vois que l’expérience… or, le problème avec l’expérience est qu’on fait forcément des erreurs. Ce qui devrait conduire à une plus grande bienveillance envers celui qui commettrait une telle « erreur », non ? Je me demande ce que diraient les féministes devant un jeune violeur qui se justifierait en disant « vous savez, j’ai pas beaucoup d’expérience, je n’ai pas compris qu’elle n’était pas consentante »…
Irène Théry a tort. C’est bien « le charme, le plaisir et la séduction » qui sont visés. Elle devrait mieux lire les ouvrages des « féministes de genre » américaines, et voir le discours qu’elles tiennent. Lorsque Susan Faludi écrit que tout acte sexuel est essentiellement un viol, quelle place reste-t-il pour « le charme, le plaisir et la séduction », je vous le demande. Le charme, le plaisir et la séduction ne s’épanouissent que dans une société tolérante, capable d’établir une hiérarchie entre les infractions et de comprendre que si enfoncer un doigt dans un vagin non consentant est un acte grave, il est tout de même moins grave que d’enfoncer un couteau dans le ventre, et non l’inverse comme c’est le cas aujourd’hui (2). Il n’y a pas de place pour « le charme, le plaisir et la séduction » dans une société ou le séducteur éconduit risque de se retrouver sur « #balancetonporc ».
Descartes
(1) Tirant les conséquences de cette ambiguïté, la féministe américane Catharina McKinnon – professeur de droit à Yale – considère que le consentement à l’acte sexuel devrait être consigné par écrit en termes non ambigus. Et comme le rapport sexuel passe par plusieurs étapes, que le consentement – toujours écrit – doit être confirmé à chaque étape. Avec une telle méthode, la surpopulation ne serait plus un problème.
(2) J’ai déjà signalé ici cette anomalie curieuse : insérer un doigt dans un vagin non consentant est un viol, et donc un crime passible des assises. Enfoncer un couteau dans le ventre de quelqu’un constitue au pire « coups et blessures volontaires », qui est un délit passible du tribunal correctionnel.
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