Ah, enfin un débat de fond comme on les aime en France. Comme un seul homme – ou une seule femme – les tribunes fleurissent dans les journaux de l’élite – ou du moins, de ceux qui se prennent pour – avec leur cortège de noms d’oiseau, d’excommunications, d’analogies et d’amalgames plus ou moins heureuses, plus ou moins comiques…
Quelle est la cause de cette agitation germanopratine ? Le chômage ? La désindustrialisation ? L’Euro ? Les insuffisances criantes de notre système éducatif ? Mais non, vous n’y êtes pas. Tout ça, c’est pas amusant. C’est trop compliqué. Et puis, faire quelque chose dans ces domaines c’est trop coûteux, trop aléatoire, trop long… trop dangereux. Après le mariage des homosexuels, après les droits de Léonarda, on a enfin trouvé une cause qui en vaut la peine : celle de la lutte contre le « système prostitutionnel ». Un sujet sur lequel on peut dire - et faire - n'importe quoi sans crainte.
En fait, tout roulait pour le meilleur des mondes « politiquement corrects ». Deux projets de loi ont été déposés le 10 octobre, l’un (consultable ici) par Bruno Le Roux, proposition signée par les députés socialistes et apparentés, un autre (consultable ici) par Marie-George Buffet, signée par les députés du groupe communiste. De l'autre côté, un texte provocateur initié par le magazine "Causeur" - magasine qui est souvent inutilement provocateur mais qui a au moins le mérite de piétiner de temps en temps une vache sacrée - intitulé "le manifeste des 343 salauds", un clin d'oeil au "manifeste des 343 salopes" des années 1960 sur le droit à l'avortement. Une telle provocation ne pouvait rester sans réponse des "féministes radicales". Comme souvent, c'est Laurence Cohen, la nouvelle Marthe Richard du PCF, qui remporte la palme avec une réponse particulièrement bête (consultable ici) et qui montre combien le féminisme français est handicapé du sens de l'humour...
En fait, une lecture attentive de ces textes montre que les deux projets sont identiques, exposé des motifs compris. Mais alors, pourquoi ne pas avoir signé tous ensemble ? Ah… mystères des gesticulations médiatiques… on peut être d’accord et ne pas avoir envie que cela se voit, n’est ce pas ? D'autant plus que ces projets ne marqueront certainement pas l'histoire. Pour le dire méchamment, cette proposition de loi résume la vision que peuvent avoir de la prostitution les dames patronnesses des classes moyennes friquées qui ont trop lu des bouquins féministes américains. En d’autres termes, un mariage harmonieux entre une vision des rapports sexuels au parfum délicieusement victorien et la conception liberticide qui prétend abolir l’espace privé en le réglant par la loi. On y trouve par ailleurs tout l’arsenal liberticide devenu familier pour ceux qui ont pris la peine de décortiquer les différents textes de même inspiration (1).
Quelle est la différence in fine entre la prostitution – que l’on peut définir comme le consentement à un acte sexuel en échange d'une récompense matérielle – et n’importe quel acte de commerce impliquant les possibilités du corps humain ? Car après tout, les capacités du corps humain font l’objet d’échanges commerciaux depuis la plus haute antiquité. La capacité du corps humain à produire du travail, bien entendu : de l’esclave au travailleur salarié en passant par le serf, l’histoire de l’économie humaine est celle du commerce de la force de travail. Mais on a aussi de tout temps commercé avec la capacité du corps humain à faire plaisir : On a toujours payé – et surpayé – pour la voix du chanteur, l’habilité du musicien, le talent de l’acteur, l’œil de l’architecte, la beauté du sportif. En quoi y aurait-il une différence fondamentale entre le chanteur qui chante pour de l’argent une ode à la gloire de Louis XIV et la femme – ou l’homme, d’ailleurs – qui accepte pour de l’argent de partager la couche du roi ?
L’idéologie soixante-huitarde de la « liberté sexuelle » prétendait faire de l’acte sexuel un acte banal, indifférent, de même nature que n’importe quel acte de la vie courante. Elle traînait dans la boue ceux qui pointaient que l’acte sexuel, de par sa singularité biologique et anthropologique, ne pouvait qu’avoir un statut particulier. Elle proclamait au contraire que chaque individu était « propriétaire de son corps » et donc libre de faire avec lui ce qui bon lui semblait. Y compris, car c’est la conséquence évidente de toute propriété, le louer. Ce qui est amusant aujourd’hui est de constater combien les héritiers de cette idéologie libertaire sont devenus des dragons de vertu prétendant au contraire interdire aux uns de mettre leurs charmes sur le marché, aux autres de l’acheter. Et qu’avec la même intolérance qu’hier ils traînent dans la boue ceux qui aujourd’hui ne font que défendre cette même « liberté » qu’ils défendaient eux-mêmes naguère…
Pour les fanatiques – et le féministes « post-modernes » qui impulsent cette proposition de loi méritent sans hésiter ce qualificatif – tout est simple. Il y a d’un côté les méchants, qu’il faut poursuivre, et de l’autre les gentils, qu’il faut protéger. Le problème, c’est que ce genre de vision s’adapte très mal à des questions aussi subtiles que la question de la sexualité et sa régulation sociale. Ainsi, les dragons de vertu on décreté que la prostituée – féminin de rigueur, la prostitution masculine, vous le savez bien, n’existe pas – est une victime, et son client – masculin de rigueur, vous le savez bien, les clientes féminines n’existent pas – un salaud.
Commençons par la prostituée. Est-elle toujours une victime ? Le fait de se livrer à la prostitution est-il un choix imposé, ou rentre-t-il dans la catégorie du choix librement consenti ? Les dragons vous expliqueront qu’aucun être humain ne se livrerait à la prostitution si elle n’était pas soumise à une contrainte économique. Et c’est vrai. Mais personne ne travaillerait à la chaîne chez Renault ou descendrait dans une mine de charbon si elle avait des rentes. Il y a certainement des métiers qu’on fait par vocation. Mais l’immense majorité des travailleurs se lève chaque matin pour aller au turbin sous la pression d’une « contrainte économique ». Pourquoi alors réserver sur ce fondement un traitement particulier aux prostituées ?
Il y a des femmes qui font le choix de la prostitution. Qui décident qu'elles préfèrent coucher avec un homme plutôt que de passer huit heures assise à une caisse de supermarché. Au nom de quoi irait-on lui dire qu'elle a tort ? Qu'elle serait plus heureuse en caissière ou en emballeuse de poulets ? Mais les auteurs de la loi ont décidé que la prostituée est une victime. Et que le fait d’être victime donne des droits et des récompenses. Ainsi, par exemple, l’étranger qui se prostitue bénéficiera d’un accès privilégié à un titre de séjour et de travail en France. Un accès qui ne sera pas ouvert, bien entendu, à l’étranger qui ne se prostituerait pas. A votre avis, quel sera l’effet prévisible de cette mesure ? Décourager la prostitution ? Ou au contraire, l’encourager ?
Parce que le fanatisme demande des simplifications, les dragons de vertu ne veulent pas comprendre que la prostitution est un phénomène multiforme. Qu'il y a des différences fondamentales entre la prostituée kossovare mise à l'abattage au bois de Boulogne, et la courtisane qui "escorte" des hommes d'affaires - ou des politiques - dans des grands hotels et qui empochent l'intégralité de la "passe", gagnant en une nuit ce qu'une "honnête femme" gagne en une semaine faisant des ménages.
Ensuite, le client. Ce pelé, ce galeux. Pour lui, on créera une infraction pénal dédiée, celle « d’achat d’acte sexuel », avec, outre l’amende, le coupable pourra être condamné – car il s’agit d’une police de la pensée, et non seulement des corps – à un « stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution ». En quoi consistera ce « stage de sensibilisation » ? Réunira-t-on ces hommes honteux – car rappellons-le encore une fois, les « clientes », cela n’existe pas – pour leur montrer quoi ? Des statistiques ? Des photos de prostituées faisant le trottoir ? Des images bien « gore » de prostituées défigurées par les coups ? Et tout cela au nom de quel message exactement ? Que la prostitution, c’est « mal » ?
Il faut le dire et le redire : la loi n’a pas pour fonction de faire la morale aux gens. Les choix moraux sont personnels, sont donc dans la sphère privée et échappent à ce titre à la loi. Les lois disent ce qui est permis, ce qui est interdit, ce qui est obligatoire. Elles ne disent pas ce qui est « mal ». Si le but est de finir avec un comportement, interdisons-le. Mais à quoi cela rime ces « stages de sensibilisation » ? Pourquoi pas des camps de rééducation, puisqu’on y est ?
Personne ne discute, bien entendu, le fait qu’il faille lutter contre toutes les formes de trafic d’êtres humains ou d’esclavage. Mais point n’est besoin de faire de nouvelles lois pour combattre les réseaux de prostitution. Notre arsenal juridique, avec les délits de proxénetisme et de trafic d’êtres humains, est largement suffisant. Lorsque la prostitution relève d’un choix libre et personnel, un principe doit prévaloir, celui qui veut que chacun est libre de faire ce qui ne nuit pas à autrui. Principe de hiérarchie constitutionnelle qui empêche un groupe, aussi bien intentionné et « moral » soit-il, d’imposer sa conception au reste de la société.
Si l’on veut vraiment combattre les réseaux de prostitution, j’ai une proposition à faire : faisons du client un allié, et non un ennemi. Créons un label « qualité France – garanti sans proxénète ». Faisons des spots télé pour expliquer combien choisir un-e professionnel-le qui fait ce métier librement, qui est en situation régulière et paye ses impôts contribue à lutter contre les réséaux maffieux. Et en plus, c’est une garantie de discrétion, de santé… et d’un service de qualité !
Quelque chose me dit que cette proposition ne plaira pas aux dragons de vertu. Pas assez « moralisante ». Pas assez « féministe ». Et surtout, pas assez profitable pour les associations de toute nature qui vivent de ça. Car il ne faut pas se tromper : les propositions de loi de ce genre, qu’elles remplissent ou non leur objectif avoué, sont une aubaine pour une foule d’associations qui en vivent. Et qui – mais c’est assurément une coïncidence – sont généralement les principaux promoteurs de ces lois. A votre avis, qui organisera les « stages de sensibilisation » moyennant finance ? Mais ne vous en faites pas, les crédits sont prévus : ce sont les fumeurs qui paieront, par le biais d’une taxe supplémentaire sur le tabac. Fumeurs et clients de prostitués se rejoignent dans le régiment des reprouvés…
Descartes
(1) dont le délirant projet de loi « sur la violence faite aux femmes » déposée par Marie-George Buffet – déjà…- le 20 décembre 2007 est probablement l’exemple le plus abouti (consultable ici http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0525.asp)
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