Hier soir, j'ai fait mon devoir. Je me suis installé dans mon fauteuil, confortablement, devant la télévision. Un petit carnet pour prendre des notes à ma droite, une boîte de chocolats pour me consoler à ma gauche, et en avant le spectacle. Et du spectacle il y en a eu. Je parle bien entendu de l'émission "des paroles et des actes" - un drôle de titre, soit dit en passant - sur France 2, et dont l'invité était Jean-Luc Mélenchon.
D'abord, un petit point de nostalgie. Il fut un temps où les hommes politiques se retrouvaient devant des journalistes pour répondre à des questions politiques, ou alors devant d'autres hommes politiques pour avoir des débats politiques. On ne consacrait que quelques paragraphes à présenter l'invité, on ne montrait pas ses photos d'infance, des vidéos sur sa ville natale, des micro-trottoirs ou des extraits de ses discours et de ses petites phrases. On était là pour parler politique. Tout le contraire des émissions politiques d'aujourd'hui, ou l'important est l'individu et les projets, opinions ou idés finissent par passer au second plan. Et l'émission d'hier soir était dans cette norme. Je n'ai bien entendu rien contre l'usage des nouvelles technologies, de la vidéo, des projections et autres, lorsque leur usage permet de rendre plus compréhensible et plus riche le message. Mais lorsqu'elles se substituent au message, les nouvelles technologies finissent par faire gadget.
Mais laissons ces lamentations de côté, pour revenir à la prestation de Jean-Luc Mélenchon. Comme souvent, sa prestation a été formellement bonne. Je dirais même exceptionnellement bonne. Même s'il a été à certains moments peut-être un tantinet trop brusque, il a su être mordant sans être excessivement agressif envers les journalistes présents. Il a été excellent sur la partie "humaine" de l'émission, celle qui était centrée sur son profil personnel et son passé, même s'il a une certaine tendance à prendre des libertés avec les faits où à les réinterpréter rétrospectivement pour se donner le beau rôle, par exemple lorsqu'il aborde son passage de l'OCI au PS (1). Mais bon, cela fait partie de l'exercice et il le fait avec suffisamment d'élégance pour que ça passe. A souligner aussi sa manière d'expliquer ses "trucs" un peu comme un magicien qui expliquerait ses tours. C'est intelligent et cela donne au spectateur l'impression d'être pris pour un adulte à qui on peut expliquer les choses et non pour un imbécile manipulable.
Mais - car il y a un mais - cette prestation a mis à nu la faiblesse de Mélenchon sur les questions concrètes et précises. Tant qu'il s'agit de manipuler des idées générales, de défendre une position éthique ou morale, le candidat est parfait. Mais dès lors qu'il s'agit de commenter une proposition où une mesure concrète, d'aborder une question plus technique ou tout simplement une question complexe, c'est le vide sidéral. Ce fut le cas sur la dépénalisation du cannabis, par exemple. Mais plus critique, ce fut le cas sur les questions économiques et sociales. A la question concernant le quotient familial - une question pourtant prévisible, compte tenu du contexte - il a répondu d'une manière tellement confuse qu'il est difficile d'en tirer une quelconque conclusion. Sur les questions économiques générales, posées pourtant de manière fort pertinente par François Lenglet, le candidat à cafouillé et en dernière instance a eu recours au dernier refuge des politiciens en détresse, à savoir, interrompre en permanence son vis à vis pour l'empêcher de poser ses questions et ensuite l'assommer avec des réponses moralisantes qui n'avaient rien à voir avec la choucroute (2). Sur la question de la régularisation des sans-papiers, il a esquivé la question en se limitant à parler des travailleurs sans-papiers, pour ensuite expliquer qu'une telle mesure était nécessaire pour mieux défendre les intérêts des travailleurs, en ignorant superbement le fait que le MEDEF est et a toujours été partisan de l'ouverture la plus large de l'immigration de travail.
Au risque de me répéter, la prestation de Jean-Luc Mélenchon hier soir met en évidence une fois de plus le talon d'Achile du candidat - et par voie de conséquence celui de sa campagne. Le candidat n'arrive pas - ou ne veut pas, ou les deux - à s'entourer d'une équipe de campagne capable de travailler pour lui et avec lui les dossiers de fond. Le "programme populaire partagé" reste un catalogue de mesures pour faire plaisir à tout le monde mais ne contient finalement qu'assez peu de substance concrète. Pire: comme aucun effort de chiffrage n'a été fait, les arguments du candidat dans un débat économique tournent très vite à des positions de principe, style "de l'argent il y en a", "les riches peuvent payer" et autres rodomontades.
Je crains malheureusement que l'entourage du candidat et le candidat lui même ne réalisent pas à quel point cet amateurisme est dommageable. Et surtout, à quel point le refus de travailler sur le réel traduit un déni et une indifférence au sort des gens que ce réel broie. Appelons un chat un chat: faire miroiter devant les électeurs populaires des mesures dont on n'a pas la moindre idée de comment elles pourraient être financées et quels seraient leurs effets macroéconomiques, c'est jouer avec la vie des gens. Un homme d'Etat s'engage par sa parole, ce qui suppose qu'il fasse gaffe à ce qu'il dit et qu'avant de s'engager il vérifie ses engagement comme on vérifierait avant de signer un contrat en bonne et due forme. Le discrédit de la politique - et de la "gauche radicale" en particulier - vient aussi des abus commis par des politiques qui ont fait leur le principe pasquaïen selon lequel "les paroles n'engagent que ceux qui y croient".
Le problème, c'est que Mélenchon et son entourage ne travaillent pas leurs dossiers, et du coup disent n'importe quoi. Je vais prendre le dernier exemple en date. J'avais, dans un article récent ("Mélenchon l'incorrigible"), commenté la déclaration du candidat du Front de Gauche concernant l'affaire Pétroplus, pour montrer combien il reposait sur une méconnaissance du dossier. Et voilà qu'il récidive. Voici quelques extraits de ce qu'il écrit dans son blog le 12 janvier 2012.
"Situons d’abord l’entreprise. Petroplus est un groupe suisse qui compte cinq raffineries en Europe dont celle de Petit-Couronne où je me trouvais avec Pierre Laurent et Laurence Sauvage ce vendredi-là. Le groupe a été créé en 1993 et racheté en 2005 par le fonds d'investissement Carlyle pour 523 millions d'euros. Un fond de pension ! Cela sent bon l’argent facile quand ce genre d’aventure s’annonce. Fine mouche Carlyle ! En 2006, le titre est introduit en bourse pour cinq fois ce montant ! La compagnie prospère avait repris les installations dont ne voulaient plus les grands pétroliers. Ceux-là, en effet, suivaient une ample stratégie de relocalisation de leurs sites de production dans un but de dumping social et environnemental. Petroplus profitait de la conjoncture de ce chassé-croisé. Car les miettes du festin des majors restaient bien belles. D’autant que le modèle économique de l’entreprise était entièrement fondé sur le court terme. Petroplus empruntait à très court terme auprès des banques pour acheter la matière première et sitôt revendue, sitôt remboursé. Et ainsi de suite, de commande en commande, pour que le risque soit minime et la servitude au long terme de plus en plus réduite. Mais la crise de 2008 a réduit les marges. On sait que pour un fond de pension ce qui compte c’est avant tout le niveau de profitabilité, la rente. L'entreprise n'a plus versé de dividendes depuis 2009. Pas de profits redistribués pendant deux ans, c’est l’horreur pour un fond de pension. Le potentiel de profit est ailleurs. Liquider la raffinerie rend disponible les cuves de stockage pour les produits importés. Justement les majors courent après ce genre d’installation. La Shell qui avait vendu Petroplus au fond de pension est dorénavant sur les rangs pour racheter ces cuves. Tel est ce monde gouverné par l’argent".
Ce paragraphe est truffé d'erreurs de fait ou de raisonnement. Pour commencer, Mélenchon qualifie - pour le diaboliser - Carlyle de "fonds de pension" et en tire toute sortes de conclusions ("pas
de profits pendant deux ans, c'est l'horreur pour un fond de pension"). Or, Carlyle n'est pas et n'a jamais été un fonds de pension, mais une société d'investissement regroupant des investisseurs
privés dont certains fort riches. Ensuite, on a du mal à comprendre son raisonnement: d'un côté, les méchants capitalistes vendent leurs raffineries en France, "relocalisent" le raffinage
ailleurs pour faire "du dumping social et environnemental" et ce faisant gagnent beaucoup d'argent. En même temps, d'autres méchants capitalistes rachetant ces mêmes raffineries, continuent à
produire en France... et gagnent aussi beaucoup d'argent ("le titre est introduit en bourse pour cinq fois ce montant!"). Un peu contradictoire, non ? Et pour finir, Mélenchon montre sa
méconnaissance de l'affaire en condamnant le fait que "le modèle économique de l’entreprise était entièrement fondé sur le court terme. Petroplus empruntait à très court terme auprès des
banques pour acheter la matière première et sitôt revendue, sitôt remboursé". Non: Petroplus ne revendait pas la matière première mais des produits transformés. Et l'utilisation du crédit
est la manière rationnelle de financer l'achat des matières premières, tout simplement parce que les taux du crédit sont d'autant plus élevés que leur terme est long. Un menuisier qui achète du
bois et compte rembourser sur la vente des meubles qu'il fabrique a tout intérêt à emprunter à court terme - le temps qu'il lui faut pour transformer le bois en meuble et vendre ce dernier. Et
c'est la même chose pour le raffinage.
Et Mélenchon continue:
L'élément déclencheur de la crise en cours se produit le 27 décembre dernier. (...) Petroplus annonçait qu'une ligne de crédit d'un milliard de dollars avait été gelée par ses banques. (...) , une ligne de crédit pour la production réelle à Petroplus était bloquée. Le groupe a donc sauté sur l’occasion pour justifier la mise à l'arrêt provisoire de trois des cinq raffineries européennes dont celle de Petit-Couronne et celles de Belgique et de Suisse.
On se demande pourquoi diable une entreprise qui gagne autant d'argent en raffinant du pétrole (c'est Mélenchon qui le dit, pas moi...) au point de pouvoir quintupler sa valeur en quelques années (là encore, c'est Mélenchon qui le dit) aurait intérêt à mettre à l'arrêt ses installations. Pouquoi "sauterait-il" sur l'occasion ? Mais évidement, il faut bien qu'il y ait un complot, même lorsque le but est obscur. A l'inverse, le paragraphe suivant déduit qu'il y a complot sans aucune base factuelle sur la simple supposition que quelqu'un aurait intérêt à l'organiser:
« Nous ne pouvons actuellement plus acheter de pétrole, alors que nous en achetons normalement 500.000 barils par jour ». Après l'annonce, le cours en bourse a chuté de 40%. On ne demande pas si le même fonds n’avait pas prévu et spéculé sur cette baisse hautement prévisible dès que la décision de stopper une partie de l’activité serait annoncée.
Et "on ne se le demande pas" parce qu'il n'existe aucune base factuelle pour l'affirmer. Pas d'opérations anormales sur les actions de Petroplus. Pas de vente massive des actions par Carlyle... en fait, le commentaire de Mélenchon relève de l'insinuation, et rien de plus. Pas très sérieux pour un candidat à la présidence qui prétend en plus conduire une "révolution citoyenne".
Voilà donc un petit exemple qui illustre combien le principe qui veut que les faits soient sacrés est ignoré par le candidat du Front de Gauche. Je ne crois pas que Mélenchon soit un menteur - c'est à dire, qu'il exprime des faits qu'il sait être inexacts. Je pense plutôt qu'il est indifférent à la véracité de ce qu'il dit. Que Carlyle soit ou non un fonds de pension n'a pas pour lui d'importance. Pas plus que les problèmes - très réels - du secteur du raffinage pétrolier dont l'affaire Petroplus n'est qu'un avatar. Il ne s'agit pas de présenter et d'analyser les faits, mais de bâtir un récit utile pour mobiliser les masses. Un récit qui contienne les éléments qu'on veut mettre en valeur: le fonds de pension rapace, le patron irresponsable, la conspiration pour sacrifier les salariés sur l'autel de la finance. Et si un élément est absent dans la réalité, et bien, on l'invente. Comme dans l'affaire de Bruay en Artois, ignorer la vérité factuelle au nom d'une "vérité idéologique" qui lui est supérieure est pardonnable si c'est pour la bonne cause.
Il est aujourd'hui presque trop tard pour insuffler dans la campagne un minimum de sérieux. Il faudrait une action décisive du candidat pour que se mette en place la structure qui fasse le boulot de chiffrage et le travail de fond sur les dossiers dont le candidat a besoin. Faut-il perdre espoir ?
Descartes
(1) Point très positif à mon sens, il a reconnu pour la première fois explicitement s'être trompé sur la nature du traité de Maastricht, allant même jusqu'à dire "Chèvenement avait raison". On peut espérer qu'il en tire toutes les conséquences pour ce qui concerne son programme, et notamment sa position concernant l'Euro. On peut toujours rêver...
(2) Que les données statistiques aient été présentées par Lenglet d'une manière tendancieuse ne justifie pas le comportement du candidat. Après tout, c'est la règle du jeu. Mélenchon aurait été plus crédible en montrant pourquoi cette présentation falsifiait la réalité plutôt que de les balayer d'un revers de manche ou d'agresser leur auteur. Il faut dire que sur certaines données, il aurait eu du mal: le graphique montrant le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail, en particulier, mettait en évidence combien la formule que Mélenchon répète chaque fois qu'il le peux sur "les dix points passés du capital au travail" est fausse. Et accessoirement, on y voit que le septennat pendant lequel l'évolution de ce paramètre fut le plus favorable au travail... fut le septennat de Valéry Giscard d'Estaing.
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