"Mis à part les curés, par devant et par derrière
Mis à part les curés, personne ne veut plus se marier"
(J. Ferrat)
Vous souvenez-vous, mes amis ? C'était les années 1960 finissantes, et le temps était à l'amour. A l'amour libre, s'entend. Jetons toutes ces entraves bourgeoises ! Qui a besoin de passer devant monsieur le maire et signer un parchemin avec des témoins pour s'aimer ? Pourquoi jurer fidélité éternelle à un seul homme, à une seule femme, alors qu'il y a tant de gens à aimer de par le monde ?
Hélas, on est tente de donner raison à Jouhandeau dans son adresse aux "enragés" de soixante-huit, "rentrez chez vous, dans vingt ans vous serez tous notaires". Il aurait en tout cas certainement beaucoup ri en voyant ceux-là même qui revindiquent l'héritage de 1968 se rassembler un samedi d'hiver 2012 dans la mairie de Villejuif pour donner au "mariage" célébré entre deux personnes de même sexe tout l'éclat médiatico-politique qu'il mérite à leurs yeux. En 68, la consigne était "à bas les chaînes bourgeoises". En trente ans, la consigne a changé: aujourd'hui, c'est "les chaînes bourgeoises pour tous". C'est que l'insouciance est morte, et que la liberté tant désirée par la génération 68 fait aujourd'hui peur à ses successeurs. Il leur faut pour tout des papiers et des certificats qui garantissent leur sécurité, et un amour sans certificat n'est pas un véritable amour.
Les homosexuels revendiquent aujourd'hui le droit de se marier au nom de l'amour. Ils oublient que le mariage n'est pas et n'a jamais été une question d'amour. Le code civil est formel: "les époux se doivent respect, fidélité, secours, assistance" (art 212). Mais d'amour, point. On peut s'aimer dans le mariage, et on peut s'aimer en dehors de lui. Le mariage n'est pas là pour ça: le mariage est une institution de la société, et comme toute institution elle n'est pas constituée pour faire plaisir à ceux qui en bénéficient, mais en fonction d'une utilité sociale qui les dépasse.
Le mariage est là pour établir entre deux individus des liens faits de droits et devoirs réciproques, droits et devoirs que l'Etat impose - et dont il garantit l'observation, au besoin par la voie pénale - en échange d'une protection particulière. Et si cette institution existe depuis la plus haute antiquité et dans toutes les civilisations qui connaissent la division du travail et la propriété privée, il doit bien y avoir une raison. La raison est simple: la famille monogamique reste la structure la plus efficiente pour la reproduction non seulement biologique mais aussi sociale. Là aussi, il n'est pas question d'amour: la famille monogamique ne sert pas à s'aimer, mais à construire un réseau de solidarités inconditionnelles entre les générations qui assurent que les enfants seront protégés, soignés, éduqués et qu'ils auront un bon départ dans la vie, et que réciproquement les parents recevront soins, respect et attention dans leur vieil âge. Mais pour que la famille monogamique puisse exister, il lui faut une institution à sa tête qui protège cette monogamie. Car l'homme est ainsi fait que si sa lignée maternelle est certaine, sa lignée paternelle est toujours douteuse. "Pater incertus, mater semper certissima" disent les juristes, et ils ont raison. En rendant la fidélité des époux obligatoire, en prévoyant des châtiments terribles à l'adultère féminin, la société a longtemps protégé - autant que peut le faire - la certitude de la lignée paternelle (1) - celle de la mère étant établie par définition (2).
Il ne faut pas perdre de vue que si le mariage - et les obligations qui en découlent - est légitimé par le consentement des époux, les rapports de solidarité entre les générations ne sont légitimés que par les liens biologiques. Mais personne n'a demande à l'enfant s'il voulait venir au monde. Personne ne lui a donné la possibilité de choisir ses parents ou de rejeter ceux que le hasard lui a donné. Et pourtant, il doit à ces parents respect, obéissance pendant sa minorité et aliments tout au long de leur vie. Sur quelle base est fondé cet ensemble d'obligations ? Et bien, puisqu'il n'y a ni choix ni consentement, puisque ces obligations n'existent qu'envers nos parents et non pas des parents des autres, puisqu'elles ne dépendent pas du fait que le parent ait effectivement vécu avec et éduqué l'enfant, il faut bien conclure qu'elle est fondée exclusivement sur les liens du sang, ou pour être plus précis, sur les droits que détient le créateur sur sa créature - et les devoirs que ces droits entraînent. On voit donc que pour que la solidarité inconditionnelle entre les générations dans la famille puisse exister, la question de la lignée est absolument fondamentale.
Et l'amour dans tout ça ? Et bien, il n'a pas sa place. Le mariage - et la famille - sont avant tout des institutions économiques et sociales, destinées à assurer dans les meilleurs conditions la reproduction sociale et la solidarité entre les générations. Pour cela, point besoin de s'aimer. Le mariage d'amour est d'ailleurs une invention assez récente, et pendant des siècles les mariages ont été arrangés par les familles en veillant justement à ce que le ménage ainsi constitué forme une unité économique et sociale viable. Le mariage, institution économique, ne pouvait rester inchangé au milieu des bouleversements économiques du XXème siècle. L'apparition de l'Etat providence, la quasi-disparition de la production domestique ont changé profondément la structure familiale et donc la fonction du mariage. Lorsque les enfants sont nourris et vêtus par les allocations familiales, gardés par la crèche municipale et éduqués par l'école gratuite et obligatoire, lorsque les vieillards reçoivent une retraite, la solidarité inconditionnelle proposée par la famille cesse d'être une nécessité aussi pressante qu'auparavant et prend d'autres formes. En localisant les solidarités inconditionnelles au niveau de l'Etat, notre société a rendu le mariage presque obsolète. Et c'est pourquoi il s'est vidé progressivement de son contenu. Car il faut se souvenir que le mariage est initialement une prison. C'est une institution qui impose des devoirs extraordinairement contraignants: la cohabitation, la fidélité exclusive, la solidarité inconditionnelle, et cela pour la vie. Mais qu'est ce qu'il en reste ? Aujourd'hui, un mariage est relativement facile à dissoudre et personne ne pense s'engager "jusqu'à ce que la mort la sépare" de son conjoint. La fidélité ? L'adultère n'est plus un délit et il est de moins en moins interprété comme une faute civile. La cohabitation ? Les cas de "célibat géographique" se multiplient. Le mariage n'est plus vécu comme un engagement total pour la vie, ni même comme une institution sociale, mais plutôt comme un contrat privé entre individus qui définissent individuellement ce que "leur" mariage doit être.
Mais alors, pourquoi diable les homosexuels - ou plutôt un certain nombre d'activistes homosexuels, parce que ce que les homosexuels pensent en majorité sur la question est matière à spéculation - exigent-ils d'avoir accès à une institution en perte de vitesse ?
Les arguments des défenseurs du mariage homosexuel peuvent être classés dans deux familles complémentaires. La première est de nature libérale: si l'individu souhaite se marier avec un individu du même sexe, c'est son choix souverain et la société n'a pas voix au chapitre. Elle se doit de "reconnaître" la décision des individus et en tirer les conséquences en terme de droit. La seconde famille d'arguments est fondée sur le principe d'égalité: pour reprendre une formule d'un texte du PG, "L'égalité entre semblables est le fondement de l'intérêt général en République. Les amours sont égales, les droits aussi doivent l'être". La faiblesse de ces arguments est évidente lorsqu'on pousse le raisonnement jusqu'au bout. L'interdiction du mariage entre personnes de même sexe n'est pas plus contraire à la liberté des individus où à l'égalité des amours que l'interdiction du mariage entre frère et soeur - ou entre frère et frère, puisqu'on y est - ou entre ascendant et descendant. Et pourtant, personne à ma connaissance ne propose de lever les interdictions qui frappent ce type d'amours, pourtant aussi "égaux" que les amours homosexuelles. A chacun son tabou.
En fait, les activistes homosexuels se débattent dans une terrible contradiction. D'un côté, ils ne manquent pas une opportunité d'exalter leur "différence", d'un autre ils exigent en tout point l'égalité. Leur combat est un combat pour la reconnaissance, mais est-ce la reconnaissance d'une différence où plutôt la reconnaissance de leur "normalité" ? Ils n'arrivent pas à se décider. Et cette contradiction n'est pas l'apanage exclusif des homosexuels, loin de là: dans toutes les "communautés visibles", on voit s'épanouir ce genre de discours. Ces minorités - ou plutôt les activistes au sein de ces minorités - demandent que les institutions les "reconnaissent" en s'adaptant à eux. Et il en est ainsi parce que dans une société à l'idéologie ultra-individualiste comme la notre on juge normal que les institutions s'adaptent aux envies et caprices des gens, et pas l'inverse. Ce qui, il faut le souligner, est la mort de toute pensée institutionnelle, puisque par définition une institution est là pour imposer des règles à des individus qui n'en veulent pas individuellement - si ce n'était pas le cas, on n'aurait pas besoin de les imposer - au nom d'un besoin collectif.
Mais en allant plus loin, la revendication du mariage homosexuel met en lumière l'incapacité des individus dans notre société de s'accepter tels qu'ils sont, avec les limitations inhérente à leurs conditions et leurs choix. Les vieux n'acceptent plus d'avoir les cheveux blancs, les jeunes de devoir attendre leur tour pour accéder au pouvoir, les femmes n'acceptent pas de ne pouvoir pisser debout, les hommes de ne pas porter d'enfant, et les tétraplégiques le fait qu'ils ne pourront jamais danser comme la Pavlova. Toute une industrie de la "reconnaissance" s'est créé pour satisfaire ces besoins nevrotiques de devenir ce qu'on n'est pas. Et pour revenir à l'homosexualité, le fait est que les sociétés humaines sont construites sur une réalité biologique, celle de la reproduction sexuée. Celle-ci n'est pas l'invention d'on ne sait quel "patriarcat" ou "dictature hétérosexuelle", c'est un "fact of life". Dans ce contexte, l'homosexualité est fatalement une limitation. Il ne peut y avoir de "lignée" homosexuelle, n'en déplaise à ceux qui - comme Caroline Fourest - continuent à parler des "enfants de couples homosexuels" sans se rendre compte que le "de" génitif est un abus de langage. Il y pourra y avoir "des enfants élevés par des couples homosexuels", mais il n'y a pas "d'enfant de couple homosexuel", du moins pas sans recours au clônage reproductif. Et c'est en vain que les activistes homosexuels cherchent dans la Loi une solution à ce problème. La Loi peut faire beaucoup de choses, mais ne peut changer un homme en femme. Quant bien même la loi accorderait aux couples homosexuels le mariage et l'adoption, le couple homosexuel ne sera jamais l'égal du couple hétérosexuel, ne serait-ce que parce que l'enfant d'un couple hétérosexuel peut raisonnablement croire - même si c'est faux - que ses parents sont ses géniteurs. Alors qu'il ne pourra jamais maintenir cette fiction ses parents sont homosexuels, parce que dans ce dernier cas, il y aura toujours "l'autre", le parent biologique disparu mais toujours présent, qui sera le "véritable" géniteur. Ce véritable géniteur ne peut être chassé qu'au prix d'une nevrotisation des rapports: un enfant élevé par un couple homosexuel n'a pas "deux mamans" ou "deux papas". Il y a toujours une maman ou un papa extérieur, peut-être même inconnu, mais dont on ne peut pas effacer l'existence par décret. Faire dire le contraire à la Loi pour satisfaire un besoin de reconnaissance est aberrant.
La quête de reconnaissance qui est derrière l'activisme homosexuel est par définition une quête sans fin. Elle ne peut jamais être assouvie, parce que quelque soit la revendication obtenue, elle ne peut satisfaire le besoin. Une fois obtenu le mariage et l'adoption, il leur faudra autre chose: un soldat inconnu homosexuel sous l'arc de triomphe, une loi de parité entre homosexuels et hétérosexuels aux élections... c'est un chemin sans fin.
L'équilibre d'une société vient aussi de la capacité de ses membres à s'accepter tels qu'ils sont et à assumer leurs limitations. Et la société doit organiser cette acceptation, au lieu de céder en permanence aux revendications de reconnaissance de telle ou telle communauté pour lui faire plaisir. Les homosexuels doivent accepter qu'ils sont différents, et les limitations que cette différence entraîne nécessairement. Que les homosexuels aient le droit de s'aimer librement, on est d'accord. Que la société juge qu'il y a un intérêt social a institutionnaliser l'union homosexuelle puisque la solidarité dans le couple a des effets bénéfiques en termes de stabilité et de coût social du soin, cela peut s'admettre et cela a été fait au moyen du PACS. Mais permettre au couple homosexuel d'accéder au mariage en donnant à cette institution la même signification que le mariage hétérosexuel, c'est pour une société de se mentir à elle même. Le mariage est peut-être la plus ancienne des institutions humaines. Il a un sens. Et ce sens est résolument, définitivement, hétérosexuel.
Descartes
(1) Les féministes font ici souvent un contresens: si les sociétés tendent à punir plus gravement l'adultère féminin que l'adultère masculin, ce n'est pas au nom d'on ne sait pas quel "patriarcat", mais parce les effets de ces deux adultères sur la lignée des enfants sont différents. Un mari coureur ne jette pas de doute sur la légitimité des enfants nés dans le couple. Une mère coureuse, par contre, si. Ce n'est pas par hasard si la banalisation de l'adultère progresse au fur et à mesure que des moyens existent (groupe sanguin, ADN) pour établir avec certitude la paternité. Cependant, on bute toujours sur une réalité: même si les deux époux couchent avec d'autres partenaires, la fidélité obligatoire crée une fiction de légitimité vis-à-vis des enfants. Et cette fiction fait partie des "fictions nécessaires" à la vie en société. C'est pourquoi malgré les moyens comme l'ADN, lorsqu'une femme mariée accouche l'enfant bénéficie d'une présomption irréfragable de paternité du mari (Code civil, art 312).
(2) C'est peut-être pour cette même raison que certaines cultures admettent la polygamie (masculine), mais très rarement la polyandrie (polygamie féminine): une famille polygamique est en pratique une pluralité de familles monogamiques sous un même toit, puisque chaque enfant sait qui est son père et sa mère. Mais dans une famille polyandrique, il serait impossible aux enfants de connaître leur père. Leur lignée serait donc incertaine.
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