J´ai les clés du paradis
Évidemment, ça me réconforte,
J´ai les clés du paradis
L´ennui c´est que je trouve pas la porte
Est-ce bien la peine que je torture
Trente-six milliards de serrures?
(Jane Birkin, « Les clés du paradis »)
Avant son départ en vacances, le président de la République a confié à sont gouvernement un étrange devoir de vacances : celui de concevoir une vision de « La France en 2025 ». Enfin, me direz-vous, un président qui lève les yeux du guidon pour regarder au loin. Enfin un gouvernement qui essaye d’échapper au court-termisme politique ambiant dont l’horizon n’arrive qu’à la prochaine élection, et encore…
Sur ce blog j’ai dénoncé trop souvent l’obsession du court terme pour qu’on puisse me suspecter d’avoir une quelconque tendresse pour le court-termisme. Si je pensais un instant que la démarche du président relève d’un véritable désir d’aborder les problèmes du pays dans le long terme, je serais le premier à applaudir. Cependant, il serait naïf de croire que la commande présidentielle était issue d’une préoccupation de ce type. Ce serait confondre un exercice de communication avec un véritable exercice de prospective. Par ailleurs, cette affaire jette une lumière crue – et pas particulièrement flatteuse - sur la « méthode Hollande » pour conduire la politique du gouvernement.
D’abord, ne nous trompons pas, il ne s’agit pas d’un véritable exercice de prospective. Il est illusoire de croire qu’on puisse élaborer en quatre semaines un véritable exercice de simulation de pour aboutir à des conclusions sur la faisabilité et sur les conséquences de telle ou telle politique. Un tel objectif nécessite des mois de travail patient avec des spécialistes et l’utilisation de modèles mathématiques qui prennent des années à construire. Il est d’ailleurs douteux que des ministres soient les bonnes personnes pour se livrer à un véritable exercice prospectif. Leur fonction les oblige à un optimisme de circonstance : imagine-t-on un ministre de l’emploi admettre qu’en 2025 la France serait défigurée par le chômage, un ministre de l’Intérieur annoncer une aggravation de l’insécurité, un ministre du Logement prévoir la multiplication des mal-logés ? La réponse était contenue dans la question : qu’ils y croient ou pas, la logique politique commande aux ministres d’afficher leur confiance, ils l’ont fait ce que font les bons fayots (1) : suivre les consignes en essayant de devancer la pensée du Chef.
Si l’objectif était de faire revenir la confiance dans la capacité du gouvernement à tracer un cap, c’est raté. Et il pouvait difficilement en être autrement, vu le contexte de l’exercice. Voici en effet un gouvernement qui est au pouvoir depuis un peu plus d’un an. Les partis qui ont constitué ce gouvernement ont passé dix ans dans l’opposition. Dix longues années pendant lesquels ils n’avaient rien à faire d’autre que de réfléchir à leur vision et à leur projet d’une politique alternative. Dix longues années pendant lesquelles ils ont largement eu le temps et les moyens pour faire travailler des experts, des universitaires, des hauts-fonctionnaires, pour discuter avec la société civile, pour organiser rencontres et colloques. Et voici qu’un an après les élections qui l’ont porté au pouvoir, alors que les réformes essentielles du quinquennat devraient déjà être dans les tuyaux, on continue à tourner en rond à se demander qu’est ce qu’on pourrait bien faire de ce pouvoir que le peuple leur a confié. Et tout ça pour aboutir à des prédictions à l’eau de rose dignes des bisounours et à la n-ième commande d’un rapport au Commissariat général à la stratégie et à la prospective censé nous dire où l’on va (2). Franchement, comment peut-on faire confiance dans un gouvernement qui fonctionne de la sorte ?
Car cette démonstration de l’impréparation gouvernementale n’est pas le premier. Ainsi, depuis un an, on a vu se multiplier les « débats nationaux » et autres « conférences » ou le gouvernement a réuni les « parties prenantes » censées trouver des idées et faire des propositions de ce qu’on pourrait bien faire maintenant qu’il est aux commandes. Cette procédure est présentée bien entendu sous l’apparence avenante de la « démocratie participative ». On essaye de convaincre le populo – avec plus ou moins de succès – que tout cela est le signe d’un pouvoir qui serait « à l’écoute du peuple ». Mais ce n’est pas le cas. D’abord, parce que dans ces grandes messes ce n’est pas « le peuple » qui s’exprime, mais cette nébuleuse de « personnalités de la société civile » et de la nébuleuse associative qui prétend – sans avoir reçu le moindre mandat – défendre ses intérêts. Lorsque l’association « écologie sans frontières », groupuscule de quelques dizaines d’adhérents, obtient de peser au Débat national sur la transition énergétique d’un poids équivalente au MEDEF ou à la CGT, il faut se poser des questions. Il ne faudrait pas oublier que le peuple ne s’exprime que d’une seule manière : avec les bulletins de vote qu’il met dans les urnes. C’est là que doivent se trancher les options politiques, et pas dans d’obscures « assises » aux participants soigneusement sélectionnés.
C’est pourquoi cette manière de faire, loin d’être démocratique, bafoue au contraire la démocratie. Hollande et les siens ont été élus pour gouverner, pour conduire une politique. Pas pour faire des politiques qui sont le résultat de synthèses plus ou moins heureuses négociées entre des corps intermédiaires dont on peut mettre sérieusement en doute la représentativité. Le problème, c’est que si le gouvernement actuel a recours à cette méthode, ce n’est pas par souci de démocratie, mais pour cacher une totale impréparation à l’exercice du pouvoir. Le gouvernement PS-EELV – mais il faut pas croire que cela aurait été très différent avec un gouvernement PG-PCF – est arrivé aux affaires avec plein de bonnes intentions, mais sans avoir rien préparé en termes de politiques concrètes. Ils se trouvent dans la situation évoquée avec humour par Birkin de celui qui se rassure en possédant les clés du paradis, avant de réaliser qu’il n’a aucune idée d’où se trouve la serrure.
L’exercice « La France de 2025 » vise à cacher les faiblesses abyssales de la réflexion politique dans un contexte où les partis politiques ne sont plus que des machines tacticiennes. Et ce n’est pas malheureusement limité au gouvernement. Nous avons aujourd’hui un personnel politique composé de tacticiens hors pair, incomparables lorsqu’il s’agit de magouiller un congrès, de conquérir un poste, de monter une cabbale, mais que seule la tactique intéresse. L’épitomé de ce fonctionnement est le président lui même, un homme qui en trente ans de carrière politique n’a jamais écrit un livre, un article qui exprime une opinion, un projet politique personnel sur quelque question que ce soit. Que pense-t-il de l’énergie nucléaire ? De la politique migratoire ? De la princesse de Clèves ? On n’en sait rien. Ses partisans nous expliquent que c’est parce qu’il est « secret ». Je pense que c’est surtout parce qu’il n’en pense rien. Ce n’est pas un homme de convictions, c’est un tacticien pour qui les idées ne sont que des pièces dans un grand jeu d’échecs, qu’on avance pour conquérir des positions et qu’on sacrifie lorsqu’on y a avantage. D’ailleurs, si Hollande garde le secret sur ses opinions politiques, on connaît au contraire assez bien ses conceptions tactiques, sur lesquelles il est bien moins discret. Cette vision qui réduit la politique à un jeu tactique est une constante non seulement dans la carrière de François Hollande, mais aussi dans celle de la plupart des « quadra » et « quinqua » du Parti Socialiste et d’une bonne partie de la gauche.
Et du coup, tout devient affaire de tacticien. Les conventions, les congrès, les « rémue-méninges », les forums, les « assises » ou les « états généraux » ne servent plus à alimenter une véritable réflexion et à trancher entre des projets concurrents. Chacun y va pour se montrer, pour discourir, pour prendre la température, pour soutenir untel contre untel dans le jeu complexe des alliances, des soutiens et des trahisons. Les textes qui y sont présentés valent moins pour leur contenu que pour leurs signataires. Et parce que la réflexion de fond n’intéresse pas les politiques, elle disparaît progressivement de l’activité des partis politiques. La formation politique des militants, le débat interne sur la vision et le projet ont peu à peu disparu, pour être remplacés par un pesant endoctrinement qui passe par la répétition constante des mêmes thèmes. On reproche souvent aux médias de gonfler artificiellement les conflits de personnes et de ne prêter aucune attention aux idées. Mais ce n’est pas la faute des médias si chaque fois qu’on les interroge sur leurs idées les politiques se réfugient dans la langue de bois, les formules creuses ou l’agression. Comment reprocher aux médias d’éviter d’ennuyer leurs spectateurs ?
Le PS et l’ensemble de la gauche ont eu dix longues années dans l’opposition pour produire le projet dont on constate aujourd’hui l’inexistence. Ces dix années ont été misérablement gâchées dans le rejet systématique de toute mesure proposée par « les autres » - ces mêmes mesures qu’on s’apprête aujourd’hui à reprendre à son compte, cf. le débat sur la réforme des retraites – et dans les querelles de carrière. On a snobé les experts – surtout lorsqu’il ne disaient pas tout à fait ce qu’on avait envie d’entendre –, on a laissé s’embourber et mourir les commissions techniques, les systèmes de formation, les publications théoriques. Le seul sujet de discussion était qui allait « prendre le parti », qui allait être candidat à telle ou telle fonction, qui avait cosigné avec qui telle ou telle motion. L’antisarkozysme primaire a été bien plus qu’une facilité : en fournissant une réponse facile à toute question – « c’est la faute a Sarkozy » - il a stérilisé toute pensée originale à gauche. On a vécu pendant cinq ans dans l’illusion qu’il suffirait de faire le contraire de ce qu’il faisait pour que la France devienne un paradis. Le programme, le projet ? Au mieux, une lettre au père Noël rédigée avant tout avec le souci de n’oublier aucune catégorie dans la distribution de cadeaux et de n’offenser personne, avec bien entendu en prime la promesse imbécile de « abroger les lois de Sarkozy ». Aujourd’hui, certains commencent à murmurer qu’abroger la défiscalisation des heures supplémentaires décidée par l’ancienne majorité était une erreur…
Le séminaire Hollandien a réussi le tour de force de montrer combien ce processus est aujourd’hui arrivé à ses limites. Il démontre qu’il est parfaitement possible pour un parti dépourvu de tout projet de gagner les élections et de se retrouver en position de gouverner alors qu’il n’a pas de projet. Pire : ce séminaire transpose au niveau du gouvernement les jeux tactiques entre les « courants » qui ont fait les riches heures des congrès du PS. En signant une « contribution » commune (3) – et qui vise, qui plus est, un autre membre du gouvernement – sans être sanctionnés Duflot, Le Foll, Canfin et Martin ont créé une nouveauté institutionnelle jamais vue sous la République : des ministres constituant publiquement des « courants » au sein du gouvernement dont ils font partie et publiant des « motions ». Pour que le processus soit complet, il ne reste plus à Ayrault qu’à organiser au sein du gouvernement un vote sur la motion en question. A moins qu’une « synthèse » dans la meilleure tradition socialiste puisse être trouvée avant…
En temps de crise, ce jeu est un jeu dangereux. Nos institutions sont fortes parce que les citoyens ont confiance dans leur capacité à conduire une politique, qui peut être bonne ou mauvaise, mais qui va quelque part. S’il apparaît trop évident que le système ne sait pas où il va, ce sont les institutions elles mêmes qui seront menacées. Les français sont prêts, et ils l’ont amplement montré, à accepter des sacrifices et à faire des efforts lorsque ceux-ci s’inscrivent dans un projet qui leur promet quelque chose en échange. Mais ils se rebellent – et ils ont raison – lorsqu’on leur demande de se serrer la ceinture au nom d’une politique dont ils ne perçoivent pas la cohérence. On commence d’ailleurs à le percevoir dans le climat de « fronde fiscale » qui commence à s’installer. Vous me direz que cela n’est pas nouveau, et que Pierre Poujade faisait déjà sur cette thématique un score important en 1956. C’est là précisément mon point : le succès de Poujade était annonciateur de la crise d’impuissance d’une IVème République qui allait s’effondrer deux ans plus tard, et son mouvement fut laminé lorsque les institutions de 1958 ont été mises en place avec un projet clair et cohérent. Les institutions de la Vème sont plus solides, mais le château le plus imprenable ne vaut rien s’il n’est pas défendu, et les institutions ne peuvent rien si les hommes qui les incarnent ne sont pas à la hauteur. Comment éviter la panique à bord si les passagers et l’équipage réalisent que le capitaine n’a pas pris la peine de se procurer une carte ?
Descartes
(1) Sauf Manuel Valls, qui seul parmi les ministres a renoncé à peindre un avenir radieux pour poser plutôt les questions qui, selon lui, nécessiteraient un vrai travail. Au delà des positions politiques prises par Valls, il faut admettre qu’il est le seul à afficher un comportement véritablement politique et qui ne se réduit pas au suivisme béat et aux enfantillages tactiques de ses petits camarades. Il faut dire que le ministère de l’Intérieur, dont le titulaire est obligé à se confronter directement et dans l’urgence aux problèmes les plus compliqués et les plus insolubles favorise une descente sur terre.
(2) Par ailleurs, Jean Pisani-Ferry (alias « La Voix de Bruxelles »), nouveau président du CGSP a fait au séminaire gouvernemental une présentation fort intéressante – même si elle est passablement orientée – qu’on peut lire ici. Je ne résiste pas à la tentation de reproduire deux paragraphes. Dans ceux-ci, Pisani-Ferry commente le choix qui selon lui s’offre à la France de devenir soit une puissance manufacturière, soit un producteur de services :
« Refaire de la France une puissance manufacturière de premier plan impliquerait des choix lourds : il faudrait renforcer la part des savoirs pratiques dans le système de formation, maintenir le prix de l’énergie à un bas niveau, favoriser l’investissement et l’accompagnement financier des projets capitalistiques, et de manière générale organiser, y compris par la fiscalité, un transfert massif de ressources en faveur de l’industrie. Il faudrait, au fond, retrouver l’inspiration et la discipline qui ont conduit aux succès industriels de l’après-guerre. Cela ne nécessiterait pas de changements structurels profonds, mais un effort conscient et très substantiel de modification du partage du revenu entre l’industrie et les secteurs abrités.
Fonder plutôt nos espoirs sur la création, l’innovation et les services échangeables demanderait sans doute moins d’efforts sur le partage du revenu, mais appellerait une transformation économique et sociale sensiblement plus profonde. Il faudrait mettre en oeuvre une politique active d’appel aux talents du monde entier, intensifier la concurrence dans les services, et aussi moderniser à un rythme soutenu les services publics afin de prendre place dans la compétition internationale émergente en matière d’éducation et de santé. Il faudrait favoriser la concentration des activités créatrices autour de quelques pôles urbains d’envergure internationale. L’accent sur la création pourrait aussi s’accompagner d’une certaine tendance au creusement des inégalités au bénéfice des individus – Français ou étrangers – les mieux formés et les plus talentueux ».
C’est moi, bien entendu, qui souligne. Mais cette dernière phrase est révélatrice dans le raisonnement. Le premier choix, celui de la « puissance manufacturière », est celui qui est le plus avantageux pour les couches populaires. L’autre – qui est celui que Pisani-Ferry recommande – est celui qui « pourrait s’accompagner d’une certaine etendance au creusement des inégalités » - admirez la prudence dans l’expression – qui profiterait à « les mieux formés et les plus talentueux », euphémisme qui désigne… devinez qui ? Allez, je vous aide : dans une autre partie du rapport, Pisani-Ferry analyse la place grandissante prise par les « classes moyennes éduquées » comme le phénomène déterminant de notre époque…
(3) Contribution par ailleurs affligeante de démagogie et de banalité. Je ne résiste pas la tentation de reproduire sa conclusion : « Notre responsabilité est d'offrir aux Français (es) en 2025 un modèle de développement nouveau, centré sur leurs besoins et leur bien-être. Cette mutation n'est pas une contrainte. C'est un objectif souhaitable qui permettra à notre pays de retrouver la confiance et la maîtrise de son destin. Et à notre jeunesse de retrouver espoir et optimisme. À travers le monde, des centaines de millions d'habitants regardent l'avenir avec enthousiasme et volonté. Il ne dépend que de nous de saisir les nouvelles opportunités du XXIe siècle. Elles exigent une transformation profonde de notre système de production mais aussi de notre système de pensée. Mais elles constituent pour notre pays un grand dessein et un grand destin : celui de changer d'horizon. Cela commence aujourd'hui ». Fallait-il vraiment quatre ministres pour pondre de semblables idioties ? Mais vous l’avez compris, le but de cette « contribution » n’était pas d’être lue, mais de montrer publiquement que quatre ministres – dont un « hollandais historique » - se positionnaient tactiquement contre un cinquième (Arnaud Montebourg, pour ne pas le nommer). Et c’est ainsi que les journaux « de référence » l’ont compris : tous ont signalé le document et commenté le positionnement des signataires, pas un n’en a analysé le contenu.
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