Depuis quelques jours, Jean-Luc Mélenchon est à Cannes. Il a bien raison: puisqu'il y a une agitation médiatique, avec des journalistes par centaines avides de copie, on aurait tort de ne pas en profiter. Et il faut dire que le Petit Timonier fait les choses plutôt bien. Au lieu d'aller dans un palace, il loge dans le "palais des mineurs", autrefois centre de vacances du Comité d'entreprise des Houillères du Pas de Calais, aujourd'hui passé dans le giron de la caisse des activités sociales d'EDF. C'est aussi l'opportunité pour le Petit Timonier d'évoquer des temps plus heureux, quand les ouvriers avaient une véritable représentation politique.
Mais comme souvent, le Petit Timonier en fait trop. Voici par exemple ce qu'il écrit sur son blog: "Oui, sachez-le, ce festival est la création des nôtres. Ça s’est passé en 1946. A l’initiative de la CGT, du Parti Communiste et du Parti Socialiste (pas le parti solférinien, celui de la résistance que dirigeait Daniel Mayer). Le premier film primé fut « La bête humaine » pour sa splendeur et du fait de la proximité de la résistance. Quelle époque !"
Quelle époque, en effet. Quel dommage que le Petit Timonier n'ait pas pris la peine de vérifier ses faits avant de se laisser emporter par l'enthousiasme. Il aurait alors constaté que "La bête humaine", film de Jean Renoir sorti en 1938, était un peu trop ancien pour être primé huit ans plus tard, et alors que son auteur avait réalisé entretemps des films autrement plus "splendides". Et qu'accessoirement, "la bête humaine" n'a aucun rapport avec "la résistance". Mais peut-être qu'il confond avec "La bataille du rail", de René Clément, film qui parle, lui, de la Résistance et qui fut parmi les films primés.
Mais cette erreur est bien innocente comparée à une autre, bien plus orientée politiquement. Mélenchon fait du festival une création "des nôtres" en faisant de la CGT, du PCF et du "Parti socialiste" les trois parrains à égalité de la manifestation. Ce qui est manquer singulièrement à la vérité historique. D'abord, parce qu'en parlant du "Parti socialiste" en 1946 il commet un anachronisme: il n'existait pas de "Parti Socialiste" à cette époque-là, mais une "Section Française de l'Internationale Ouvrière", plus connue sous son sigle SFIO. Ensuite et surtout, parce que la SFIO n'a guère participé à l'affaire (1). Le festival en 1946 fut la rencontre entre une organisation, la CGT et notamment le Syndicat des techniciens du cinéma dirigé par le cinéaste communiste Louis Daquin, et d'un homme injustement oublié, Philippe Erlanguer, un de ces "grands serviteurs de l'Etat" - un technocrate, quoi - qui avait proposé la création du festival en 1939 lorsque Jean Zay était ministre. Le festival avait été annulé à la dernière minute en 1939 pour cause d'invasion de la Pologne, mais Erlanguer n'avait pas abandonné la partie et ayant été nommé à la Libération chef du service des Echanges Artistiques du Quai d'Orsay, il fit tout pour relancer le projet. Il fut le premier commissaire général du festival et le resta jusqu'en 1951. Quelle époque, en effet, quand un syndicat communiste et un haut fonctionnaire plutôt conservateur pouvaient créer ensemble un festival...
Comme naguère avec Emilienne Mopty, Mélénchon annexe une histoire qui n'est pas la sienne en introduisant dans l'affaire "le Parti Socialiste", ce qui lui permet par ricochet d'établir une continuité entre les fondateurs du Festival et son histoire personnelle et parler donc sans vergogne des "nôtres". Et il complète la supercherie en ajoutant à propos de ce mythique Parti Socialiste la qualification "pas le solférinien, celui de la résistance que dirigeait Daniel Mayer" (2). La formule est intéressante parce qu'elle reprend un élément que Mélenchon introduit de plus en plus dans ses différentes prestations, à savoir, la différentiation entre les "solfériniens" et les "socialistes". En d'autres termes, une vision dans laquelle il y aurait des "vrais socialistes" opposés aux "faux socialistes". Cette formulation annonce-t-elle une volonté d'accorder l'absolution à certains socialistes pour rendre possibles des alliances avec eux ? Difficile à dire... mais dans tous les cas on peut se demander quel sens peut avoir cette distinction subtile dans le contexte de 1946... Qui étaient les "solfériniens" de l'époque ? Jules Moch, peut-être ? Pourtant, il avait d'impeccables états de service résistants... et cela ne l'empêchera pas, quelques mois après ce premier festival, de faire tirer sur les mineurs grévistes à l'appel de la CGT dans le Nord et le Pas-de-Calais. A l'époque, cela ne semble pas avoir gêné ce "parti socialiste de la résistance que dirigeait Daniel Mayer", puisque ce même Daniel Mayer était membre du gouvernement, tout comme le jeune François Mitterrand, que Mélenchon admire tant...
Descartes
(1) Il n'est pas inutile de rappeler qu'en 1946 la SFIO était dans une logique qu'on pourrait résumer par la formule "plutôt la droite démocrate-chrétienne du MRP que les communistes". Il est drôle que Mélenchon, qui ne perd une opportunité de rappeler la formule "plutôt Hitler que le Front Populaire" ait oublié combien en septembre 1946 communistes et socialistes étaient a couteaux tirés.
(2) Il est intéressant de rappeler que Daniel Mayer, qui dirigea le Parti Socialiste pendant l'occupation, participa à plusieurs gouvernements de "troisième force", c'est à dire, d'alliance avec le MRP (c'est à dire la droite non gaulliste). Un "solférinien" avant l'heure ?
Commenter cet article