Le débat sur les retraites, qui a fortement dérivé sur l'évaluation de la loi sur les 35 heures de travail hebdomadaire à partir de l'intervention du Président de la République lundi dernier, a mis en évidence le malthusianisme qui imprègne aujourd'hui la pensée de la gauche.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la figure de Malthus, cela vaut la peine de faire quelques rappels. Thomas Malthus (1766-1834) est un économiste anglais de l'école classique. Il s'est intéressé particulièrement aux questions démographiques. On lui doit l'idée que spontanément la population tend à augmenter beaucoup plus vite que les ressources disponibles pour la nourrir. Et qu'en absence d'une limitation active de l'accroissement de la population, on allait vers une catastrophe. En particulier, cette théorie conclut que l'augmentation des salaires ou des dons aux pauvres ne change en rien leur condition, puisqu'elle les encourage à avoir des enfants, jusqu'à ce que l'accroissement démographique ait ramené au niveau de pauvreté d'avant l'augmentation.
On reconnaît dans la théorie du "partage du travail" un raisonnement très similaire à celui de Malthus. Celui-ci considérait les aliments et autres ressources comme un stock fixe (ou qui augmentait très lentement) qu'il s'agissait de distribuer parmi les travailleurs. Et ceux-ci seront donc d'autant plus misérables qu'ils seront plus nombreux. Les partisans du "partage du travail" considèrent qu'il existe un stock d'heures travaillés fixe, qu'il s'agit de distribuer dans la population. Pour assurer le plein-emploi, il n'y a donc d'autre solution que de réduire le nombre d'heures travaillées par chacun, soit en réduisant le temps de travail, soit en réduisant la durée d'activité...
Les faits ont montré à quel point ce raisonnement est faux. Il suffit de regarder les "trente glorieuses". Si l'on suit le raisonnement "malthusien" favorisé par la gauche, l'entrée massive des femmes sur le marché du travail aurait du provoquer un chômage massif, puisque le "stock" de travail se trouvait réparti dans une masse de travailleurs dont l'effectif avait presque doublé. Pourtant, alors que le temps de travail et la durée d'activité n'ont pas varié entre 1945 et 1981, le marché du travail a absorbé non seulement les femmes, mais aussi une population immigrée importante tout en maintenant le plein-emploi. Dans le sens contraire, toutes les politiques de "partage du travail" (preretraites, réduction de l'âge de la retraite et du temps hebdomadaire du travail) ont été inefficaces en termes de création d'emplois. Sur ce point précis, Sarkozy a raison contre la gauche: il n'y a pas de corrélation évidente entre le temps de travail et la durée d'activité d'une part, et le chômage (notamment celui des jeunes) d'autre part. Et si la corrélation existe, elle est plutôt inverse à celle anticipée par les partisans du "partage du travail": ce sont les pays ou l'on travaille le plus qui ont les niveaux de chômage structurel le plus faible...
Pour des raisons qui tiennent autant à la tradition qu'au poids des classes moyennes dans leur électorat, la gauche reste désespérément malthusienne. Il y a la tradition, celle du combat pour la réduction du temps de travail qui, depuis la Charte d'Amiens au moins, reste l'un des dogmes majeurs de la gauche. Il y a surtout le poids des classes moyennes, grandes consommatrices de loisirs et pour qui la réduction du temps de travail est une aubaine(1).Mais la gauche se trompe, et cette erreur la pousse à se faire le champion de politiques malthusiennes qui ne peuvent que conduire à des catastrophes si elle revenait aux affaires. Car le "partage du travail" implique nécessairement une baisse de la productivité (car il fait entrer dans la production des travailleurs moins productifs) et donc un appauvrissement global, une perte de compétitivité, donc une baisse de la demande... et une spirale du déclin. Ce qu'il faut au contraire c'est stimuler la croissance "réelle" à partir de la demande. Mais cela, la gauche ne l'a toujours pas compris. A l'heure de défendre la retraite à 60 ans, la question de l'emploi est certainement l'argument qu'il faudrait éviter.
Descartes
(1) Il est en effet plus intéressant de récupérer des journées de RTT quand on a de l'argent pour se payer des loisirs et des sorties que lorsqu'on tire le diable par la queue. C'est pourquoi l'attachement aux 35 heures est grand dans les classes moyennes, alors que dans les classes populaires le slogan "travailler plus pour gagner plus" est bien plus attractif...
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