La lecture du rapport récemment publié par la fondation Terra Nova sous le titre "Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?" devrait être obligatoire dans toutes les écoles de sciences politiques. Non seulement par sont style élégant ("qu'en termes beaux ces choses-là sont dites), mais parce qu'il est l'illustration parfaite de la déliquescence totale de la pensée de gauche aujourd'hui.
Le problème, ce n'est pas tellement que ce rapport soit basé sur des considérations factuelles discutables (il l'est), ou qu'il soit truffé de contradictions (il l'est aussi). Ce qui est terrifiant, c'est qu'on se trouve devant un rapport qui examine les différentes options de sociologie électorale indépendamment de tout objectif politique. Comme si le choix de son "électorat" était un choix purement tactique sans aucun rapport avec la politique qu'on entend mener.
Que nous dit ce rapport ? Schématiquement, que pour gagner en 2012 la gauche peut compter sur un "noyau dur" constitué par ce que les auteurs apellent "La France de demain": Cette étrange entité regroupe une liste à la Prévert de catégories censées porter les "valeurs" de la gauche et l'avenir de la France. Bien évidement, elles votent majoritairement à gauche: les diplômés, les jeunes, les "minorités et les quartiers populaires", les femmes. Pour valoriser ce "noyau dur", il faut une stratégie électorale "centrée sur les valeurs".
Mais, notent les auteurs, ces catégories ne suffiront pas, parce qu'en France ce noyau dur est loin d'être majoritaire. Il faut donc aller chercher ailleurs. Première possibilité: aller chercher les voix manquantes dans les classes populaires. Mais ce sera difficile, notent-ils, parce que ces salauds d'ouvriers n'ont pas tout à fait les mêmes intérêts que la "France de demain": d'abord ils ont horreur du discours "culturel", et puis ils veulent qu'on s'occupe un peu d'eux et non pas exclusivement des SDF et des sans-papiers. Pire encore, pour les conquérir il faudra se battre avec le FN, bataille que le rapport juge perdue d'avance.
Reste la seconde possibilité: aller chercher les classes moyennes. Et là, mon dieu, c'est plus facile. Parce que les classes moyennes ont les mêmes "valeurs culturelles" que la "France de demain", et surtout parce que selon les auteurs "elles évoluent vers la gauche". On se demande bien pourquoi...
On croit deviner quel est le choix qui a la faveur des rédacteurs du rapport. Mais ce choix situe clairement cette gauche qui se prétend moderne: Elle ne s'encombre même plus d'un semblant d'ouvriérisme, d'attachement aux couches qui, par leur travail, rendent possible notre société de bien-être. Il est clair que pour Ferrand & Co. les couches populaires sont des reliques du passé qu'on est prêt à sacrifier et à laisser en jachère au FN. Parce qu'il ne faut pas s'y tromper: choisir une alliance, c'est choisir une politique. Un gouvernement de la "France de demain" associée aux classes moyennes ne pourra faire que les politiques qu'on connaît trop bien, à savoir, une politique qui défend les intérêts des couches moyennes couplée à quelques larmoiements compassionnels pour se donner bonne conscience.
A la lecture de ce rapport, on comprend comment Marine Le Pen a pu devenir la candidate préférée des ouvriers. Comment pourraient-ils avoir confiance dans une "gauche de la gauche" sans projet et une "gauche de gouvernement" cynique ?
Descartes
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