Mes amis, j'ai bien mal dormi hier. Pas à cause de quelque chose de lourd que j'aurais pu manger. Pas non plus à cause d'activités oh combien charmantes et que la morale bourgeoise reprouve. Non. J'ai tout simplement commis l'erreur de regarder un film d'horreur. Vous savez, celui ou six aliens se battent, chacun voulant devenir maître et seigneur du vaisseau spatial. Ce qui était curieux, c'est qu'au lieu de s'eviscérer, les aliens restaient très poliment debout les uns à côté des autres, sans bouger... Et puis, faut dire que le script n'était pas terrible: pas une pointe d'humour, pas un jeu de mots, pas une phrase mémorable qu'on ait envie de garder pour la répéter aux copains.
Bon, trêve de plaisanteries. Oui, je me suis infligé le pensum de regarder cette pitoyable émission. Pourquoi ? Parce que j'avais envie de voir de quoi sera fait notre choix. et je dois dire que je n'ai pas été rassuré. Il est terrifiant de se dire que l'un de ces six ectoplasmes sera dans huit mois président de la République.
Faisons un sort d'abord au cas de Baylet. Jeudi soir, on aurait dit qu'il était venu pour l'enregistrement de "qui veut gagner des millions" et s'était trompé de studio. Et si encore il avait eu quelque chose à dire... mais ce n'était même pas une candidature de témoignage, puisqu'il n'avait absolument rien à dire. On avait de la peine pour lui.
Les cinq autres candidats étaient, si l'on peut dire, plus sérieux. Chacun d'eux avait quelque chose à dire. Le problème, c'est qu'il n'y avait dans leur discours le moindre projet personnel. A les écouter, on ne pouvait que penser à la formule de l'abbé de Bellecourt dans le film de Patrice Leconte ("Ridicule"): "j'ai prouvé l'existence de Dieu, mais je pourrais prouver le contraire s'il plaisait à Votre Majesté". Comme de Bellecourt, les candidats socialistes avaient millimétré leur discours en fonction de ce qu'ils croient être les désirs (ou les prejugés) du public: équilibre des finances publiques, sortie du nucléaire...
Justement, le nucléaire était une fois encore le paradigme de l'irrationalité et du suivisme de nos cinq candidats. Rappelons d'abord que le PS a gouverné pendant cinq ans, de 1997 à 2002. Pendant ces cinq ans, deux des candidats étaient ministres, un était premier secrétaire du PS, deux étaient députés. Vous souvenez-vous avoir entendu un seul d'entre eux dénoncer la "dangerosité" du nucléaire ? Pas une seule fois. Ont-ils à l'époque proposé la fermeture de certaines tranches nucléaires, une sortie fut-elle graduelle du nucléaire ? Pas du tout. Ont-ils jugé que cette énergie ne collaborait pas à notre indépendence énergétique ? Pas d'avantage. En 2002, lors des discussions électorales, Jospin avait même provoqué une violente réaction des verts en refusant de renoncer au nucléaire (1): "« Ma réponse est claire, je ne suis pas pour que la France renonce au nucléaire […] Je l’ai dit à mes amis les Verts » (L. Jospin, 23 mars 2002). Pas plus Martine Aubry que Ségolène Royal, toutes deux ministres (tout comme Jean-Luc Mélenchon, ne l'oublions pas), que François Hollande, premier secrétaire du PS, n'a réagi à l'époque cette prise de position, qui ne faisait que confirmer une position constante du gouvernement de la "gauche plurielle".
Jeudi soir, pourtant, tous les candidats sont tombés d'accord. Il faut sortir du nucléaire, affligé de tous les maux. La seule différence entre les candidats est la cadence de la sortie, pas son principe. Et on a envie de se demander: quant est-ce que les candidats ont réalisé la "dangerosité" du nucléaire ? Qu'est ce qui les a fait changer d'avis ? Une longue discussion avec les experts ? Des années d'étude des données ? Ou plutôt la lecture des sondages de ces derniers mois et la perspective de devoir conclure des alliances électorales avec les verts ? Et la question subsidiaire: est-il raisonnable d'élire à la première magistrature de l'Etat une personne qui ne fait que caresser le peuple dans le sens de ses préjugés ? Comme l'abbé de Bellecourt, on est prêt au PS - et pas que là, malheureusement - à soutenir tout et son contraire, selon ce que le souverain veut.
Au demeurant, on peut difficilement jeter la pierre aux candidats.Après tout, ils ne font que jouer un jeu dont ils ne fixent pas les règles. On sait ce qui est arrivé à ceux (Chèvenement, Séguin...) qui ont voulu faire de la politique en exprimant et en défendant des choix personnels au lieu de sacrifier aux conseils des communiquants et de pratiquer la technique des "groupes-cible" : après avoir été marginalisés, réduits aux deuxièmes rôles, ils ont eu droit aux funérailles nationales. Qui peut reprocher à Aubry, Hollande, Valls, Montebourg et Royal de vouloir jouer les rôle de Priam plutôt que celui de Cassandre ?
Aujourd'hui, pour monter sur la plus haute marche du podium politique, il faut non seulement emprunter aux communiquants les techniques pour transmettre son message. Il faut leur demander le message lui même. Les communiquants ne se contentent pas seulement d'imposer la forme, ils imposent aussi le fond. Et la conséquence est qu'il nous est impossible de savoir ce que les politiques qui briguent nos suffrages pensent vraiment, ce qui est dans leur coeur et dans leurs tripes une fois qu'ils ont remisé l'habit de lumières. On peut même se demander si au bout de tant d'années leur déguisement n'est pas devenu une partie d'eux mêmes. Si après avoir changé d'avis tant de fois sur ordre ou par intérêt, il leur reste quelque chose de personnel, une analyse, un projet qui ne soit pas purement utilitaire (2).
Le seul qui échappe - un peu - à ce diagnostic désespérant est Manuel Valls. D'abord, parce qu'il est capable d'articuler un discours fort et qui ne sent pas trop l'agence de com (3). Ensuite, parce qu'il est capable de prendre une certaine hauteur et ne pas égrener des propositions qui de toute évidence sont calibrées en fonction de tel ou tel groupe d'intérêt. Mais il ne va pas pour autant jusqu'au bout de la démarche en construisant un projet personnel. Par exemple, il répète comme un écho la vulgate économique du PS qui est de défendre "l'équilibre des comptes publics" (pour faire sérieux) tout en demandant plus de croissance (pour faire social) alors que ces deux objectifs, en période de crise, sont parfaitement contradictoires.
Dans huit mois, on aura à choisir entre l'un de ces six et Nicolas Sarkozy. Ca donne envie de se flinguer.
Descartes
(1) http://www.liberation.fr/politiques/0101407468-le-nucleaire-fait-reverdir-mamere
(2) De ce point de vue, la palme d'or revient sans doute à Segolène Royal, qui continue à répéter "la france souffre" tout en exhibant son sourire Colgate. A croire qu'elle ne comprend pas ce qu'elle dit.
(3) Par exemple, en évitant la répétition obsessionnelle d'une formule apprise par coeur, ("la France est abîmée" (Martine Aubry), "juste et équitable" (Ségolène Royal), "la démondialisation" (Montebourg)).
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