La lecture des réactions de la "vraie gauche" à l'affaire DSK devient véritablement un exercice passionnant. Parce qu'à travers ces réactions on peut apercevoir la vision que les différents ténors de cette mouvance ont de ce que devrait être le fonctionnement de la justice, et du rapport de celle-ci avec la politique. Et je dois le dire, cela fait froid dans le dos. Aujourd'hui, je vous propose trois nouvelles réactions: Jean-Luc Mélenchon, Delphine Beauvois et Clémentine Autain.
On peut reconnaître à Mélenchon dans cette affaire le mérite de la prudence. Pas de communiqué précipité, pas de billet torché en une demie heure... mais bon, il faut bien en parler lorsque les journalistes le demandent, et Jean-Luc s'épanche donc sur l'antenne de Europe 1:
"Je me garde d'avoir sur le sujet un avis personnel. Je ne suis ni juge ni policier pour juger de la véracité des faits"
Excellente ligne de conduite. Malheureusement, lorsqu'on est candidat de la "vraie gauche" il faut compter sur le "gang des lesbiennes" (comme on l'appelle fort peu charitablement au PCF). Il faut donc donner des gages:
"Mais pour autant, j'observe que dans la mouvance féministe de laquelle je suis proche il y a un gout pénible d'inachevé, et certainement à l'égard de la justice américaine, parce que on a l'impression qu'on n'a pas tranché sur des faits mais sur la crédibilité de cette femme. Il me semble que ce sont les faits qui comptent. Quand même serait-elle la pire menteuse du monde, qu'elle ne mériterait pas d'être violée et que le viol resterait un crime. Attention, je ne dis pas qu'elle ait été violée"
On voit l'extrême prudence du politique qui s'aventure en territoire miné. Jean-Luc Mélenchon "se garde d'avoir un avis personnel", mais nous explique comment "la mouvance féministe" voit la question. Mais lorsqu'il reprend "on à l'impression...", c'est qui ce "on" ? Lui-même ? La "mouvance féministe" ? Exprime-t-il une opinion personnelle ou l'opinion d'autrui ?
Venons maintenant au fond. Ok, on aimerait tous pouvoir "trancher sur les faits". Mais dans cette affaire, il n'y a pas beaucoup, de "faits". Il y a Mme. X qui accuse M. Y de l'avoir violée, et M. Y qui soutient avoir eu avec Mme. X un rapport consenti. A partir de là, le débat ne peut pas être sur des "faits", mais sur le crédit qu'on accorde aux déclarations de l'une et de l'autre. Où plutôt du crédit qu'on accorde aux déclarations de l'une, parce qu'il n'est pas inutile de rappeler - et c'est un principe fondamental pour garantir nos libertés publiques - que c'est l'accusation qui porte la charge de la preuve, et non la défense. Et c'est là qu'un troisième "fait" intervient: Mme X a beaucoup menti pendant l'enquête. Non seulement elle a changé trois fois sa version des faits à mesure que des incohérences apparaissaient, mais surtout elle a raconté un viol imaginaire, et l'a raconté dans des termes très semblables à ceux utilisés pour formuler son accusation.
Dans un crime subjectif - et le viol en est un - il s'agit non pas de prouver les faits, mais d'établir si la victime était ou non consentante. Et sauf à pouvoir lire dans les pensées des gens, cela ne serai jamais un "fait", mais toujours une question de crédibilité. Or, sauf à postuler que toute dénonciation de viol est par nature véridique, ce qui ouvre la porte à toutes sortes d'abus, on en arrive toujours à remettre en cause la "parole de la femme". C'est ce que la "vraie gauche" ne semble pas vouloir comprendre, et pas plus Mélenchon qu'un autre:
"Je pense que pour les mouvements féministes la manière dont se dénoue cette affaire n'est pas positive parce qu'on a l'impression que ce qui a été surtout en cause c'est la parole de la femme violée"
Par un étrange glissement, cette femme dont Mélenchon déclarait "je n'affirme pas qu'elle ait été violée" est devenue trois paragraphes plus tard une "femme violée". Or, plutôt que de "la parole de la femme violée", il faut parler de "la parole de la femme qui affirme avoir été violée". Le problème ici est que "la mouvance féministe" à laquelle se refère Jean-Luc Mélenchon confond ces deux choses. Le plus triste ici, c'est qu'il est assez évident que Mélenchon ne partage pas cette vision, mais qu'il se sent contraint par le "politiquement correct" à exprimer une opinion qui n'est pas la sienne. Et au cas où l'on douterait, voici ce qu'il dit à la fin du segment:
"et je pense que ce qui a été dit par Marie-George Buffet, Delphine Beauvois, Clémentine Autain, tous ces gens, ces femmes se sont exprimées, et il faut entendre ce qu'elles nous disent"
Terrible pouvoir de la bienpensance, qui oblige les candidats à s'incliner devant les idoles...
Entendons, puisque Jean-Luc nous y invite, Delphine Beauvois. Ca tombe bien, elle signe le communiqué du PG concernant cette affaire. Et voici ce qu'elle écrit:
Dominique Strauss Kahn vient de se voir signifier l'abandon des poursuites pénales engagées par Nafissatou Diallo, qui l'accuse depuis mai 2011 d'agression sexuelle. Cela ne signifie rien en terme d'innocence ou de culpabilité, la justice américaine a simplement considéré qu'elle n'avait pas de preuves suffisantes pour aller au procès.
Mme Beauvois a raison: "cela ne signifie rien en terme d'innocence ou de culpabilité". DSK était innocent avant, et il reste innocent après, puisque le principe est que nous sommes tous innocents tant que nous n'avons pas été reconnus coupables par une cour de justice régulièrement constituée et en vertu d'une loi antérieure aux faits. Mais je ne suis pas sûr que ce soit dans ce sens que Mme Beauvois entend la chose... je pense plutôt qu'elle veut nous dire que quelque soit la décision de la justice américaine, DSK reste suspect, et donc coupable. Et ce qui suit confirme cette interprétation:
Le Parti de Gauche tient à rappeler que 75 000 femmes sont violées par an en France, et seuls 2% des violeurs sont condamnés, car trop souvent hélas la parole des victimes est mise en doute et la preuve irréfutable des faits n'est pas toujours facile à obtenir.
Remettons les pendules à l'heure: chaque année 75000 femmes en France affirment avoir été victimes d'un viol. On n'a aucun moyen de savoir combien d'entre elles ont été effectivement violées. Et dans seulement 2% de cas ces accusations sont prouvées devant un tribunal pénal. Mais la manière dont Mme Beauvois présente la statistique n'est pas innocente: pour elle, l'accusation équivaut à la preuve. Dès lors qu'une femme accuse, il y a viol. Et donc violeur. Autrement, comment sait-elle que "2% des violeurs sont condamnés" puisqu'elle ne sait pas combien de violeurs il y en a en tout ? Est-elle sûre que le 100% de ceux qui sont accusés mais pas condamnés sont effectivement des violeurs ?
Si les accusés de viol ne sont pas toujours condamnés, ce n'est pas seulement parce que "la preuve irrefutable des faits n'est pas facile à obtenir". C'est aussi parce que - n'en déplaise aux soi-disant féministes - certains d'entre eux sont innocents. Et un certain nombre de cas récents des gens ont été condamnés lourdement sur une simple accusation de viol pour être innocentés quelques années plus tard par des preuves matérielles le prouvent amplement. La "parole de la victime" n'est pas plus fiable en matière de viol que dans n'importe quelle autre matière. Pourquoi faudrait-il en faire un dogme ?
Et pourtant, c'est ce dogme qu'une certaine "mouvance féministe" cherche à nous imposer. En allant quelquefois jusqu'au ridicule. Ecoutons encore Mme Beauvois (nul ne pourra me reprocher de ne pas écouter la parole des femmes...):
Mais alors que tous les jours, nombre de personnes sont condamnées, parfois à tort, sur simple présomption, lorsqu'il s'agit de violence contre les femmes, celles-ci voient leur parole systématiquement mise en doute.
Oui, vous avez bien lu: Mme Beauvois constate que dans d'autres domaines "on condamne parfois à tort sur simple présomption". Mais cela ne la dérange nullement. Il n'y a là rien de
scandaleux, rien qui mérite d'être dénoncé. Ce qui la
chagrine, c'est que "lorsqu'il s'agit de violence contre les femmes", la présomption ne suffise pas...
On dit que la vérité sort de la bouche des imbéciles. En tout cas, Mme Beauvois a ici vendu la mèche: son idée de la justice est une justice de simple présomption, ou la "parole" de l'accusateur (ou plutôt de l'accusatrice) ne saurait être mise en doute. Mme Beauvois ignore cinq siècles de réflexion juridique. Cinq siècles pendant lesquels on s'est débarrasse du "serment judiciaire" pour le remplacer par une logique cartésienne de doute systématique et d'exigence de preuve. Mais peut-être Mme Beauvois songerait-elle à réserver cette étrange conception de la justice aux cas où l'accusateur est du sexe féminin ? On a du mal le croire, vu l'engagement de cette dame à "combattre tout sexisme"...
Et pour la fin, écoutons Clémentine Autain (ça rime en plus). Pour une fois, la pionnière du viol-bizness (1) est relativement prudente. Dans un entretien àl'Humanité, elle explique ce qui suit:
Quelle est votre réaction à la décision d’abandonner les poursuites pénales contre DSK ? C’est une mauvaise nouvelle car, quelle que soit la réalité des faits, justice ne sera pas faite. Si DSK est innocent, le soupçon subsiste. Si Nafissatou Diallo a dit vrai, un viol reste impuni. Les raisons de cet abandon tiennent pour l’essentiel aux mécanismes judiciaires américains. Je craignais depuis le départ que nous ne sachions jamais ce qu’il s’est réellement passé dans la suite new-yorkaise.
Que ce soit Buffet, Mélenchon ou Autain, tous ces gens semblent croire au pouvoir magique d'un procès. Imaginons que le procureur soit allé jusqu'au bout, que DSK ait été jugé et acquitté. Qu'est ce que cela aurait changé ? La "mouvance féministe" se serait satisfait de ce résultat ? Bien sur que non, elle aurait pointé "qu'un soupçon subsiste", exactement comme aujourd'hui. Car dans une affaire comme celle-ci, on ne le répétera jamais assez, "on ne saura jamais ce qui s'est réellement passé dans la suite New-Yorkaise" puisqu'il n'y a que deux témoins, et qu'ils ont deux versions contradictoires.
On revient toujours au même point: ce que toutes ces soi-disantes féministes ne veulent pas comprendre est que justice a été faite. Parce que pour elles, justice=procès. Mais si les poursuites ont été abandonnées, c'est précisément parce que le procureur est convaincu (et en lisant son rapport, ce que personne dans cette "mouvance féministe" ne semble avoir fait, on ne peut que lui donner raison) qu'elles ne pouvaient aboutir. En d'autres termes, qu'il était certain que DSK serait acquitté. At qu'accessoirement, il est délicat du point de vue éthique pour un procureur de requérir alors qu'on n'est pas soi même convaincu de la culpabilité de l'accusé. Dans ces conditions, autant arrêter tout de suite et économiser à l'accusé une longue procédure et à l'Etat des millions de dollars en frais.
L'abandon des poursuites ne tient pas "aux mécanismes judiciaires américains". En France aussi, le procès n'aurait probablement jamais eu lieu tout simplement parce que le seul témoignage, sur lequel repose toute l'accusation, n'est pas fiable. Et qu'on n'a pas le droit de faire subir à un accusé un calvaire judiciaire sur la foi d'une accusation non fiable pour satisfaire les intérêts politiques de la "mouvance féministe". Et il est très bien ainsi.
Reste qu'il faut nous interroger sur la mansuétude des partis politiques et leurs dirigeants devant une "mouvance féministe" qui voudrait nous imposer une vision de la justice digne de Torquemada, voire une "justice de sexe" au nom de la lutte contre le sexisme. Une "mouvance féministe" qui, pour reprendre la formule de Christina Hoff-Sommers, a "volé le féminisme" pour le mettre au service d'ambitions carriéristes.
Descartes
(1) Rappelons que Mme Autain est l'une des premières candidates à avoir utilisé son propre viol comme argument de campagne électorale...
Commenter cet article