J'ai plusieurs fois abordé dans ce blog la question du crédit bancaire, qui me semble essentielle aujourd'hui pour comprendre les origines de la crise qui nous touche. Au coeur de cette question, se trouve la problématique du "multiplicateur de crédit".
Je rappelle le principe. Prenons un système où il n'y aurait qu'une seule banque. Supposons que vous déposiez 1000 € à la banque sur votre compte à vue. Vous pouvez bien entendu retirer cette somme à tout moment. Mais la banque sait que en moyenne les retraits ne représentent jamais plus de 10% des dépôts. La banque peut donc conserver seulement 8% des sommes en liquide, et prêter le reste. Sur vos 1000 €, elle conservera donc 100 € et prêtera 900 €. Seulement voilà: celui qui emprunte ces 900 € les utilise pour acheter un bien. Et le commerçant qui reçoit les 900 € s'empressera... de les déposer à la banque. La banque aura donc 900 € supplémentaires: elle gardera 10% en réserve (90 €) et prêtera les 810 € restants... et ce processus se répète à l'infini. On voit donc que la banque en fin de comptes, à partir d'un dépôt de 1000 €, arrive à prêter plusieurs fois cette somme. Le rapport entre la somme prêtée et la somme déposée (qui dépend en fait du montant des réserves que la banque est obligée de faire et de la tendance qu'ont les emprunteurs à garder une partie de leur prêt sous forme liquide) est appelé "multiplicateur de crédit". En pratique, il varie selon les pays et les segments du marché financier entre 1,5 et 10.
Les gens ont tendance à croire que cette "multiplication", qu'on assimile souvent à une "création", ne fonctionne qu'avec de la monnaie. Qu'il s'agit au fonds d'un jeu d'écritures et qu'il serait impossible de le faire avec un bien matériel. Or rien n'est plus faux. Et il est utile de refaire le raisonnement avec un bien matériel, parce que cela permet de mieux comprendre que cette "création" n'est en fait qu'une optimisation dans l'utilisation de la monnaie existante. Je vais dnc, mesdames et messieurs du public, faire devant vous un grand tour de magie: je vais multiplier devant vos yeux ébahis des bicyclettes !
Imaginons une petite ville ou tout le monde roule à vélo. Monsieur X créé un garage à vélos. Les heureux propriétaires peuvent prendre un abonnement, qui leur donne droit d'amener leur engin chez Monsieur X et le laisser le temps qu'ils le souhaitent et le reprendre lorsqu'ils le veulent. Et disons que Monsieur X arrive ainsi à avoir 1000 abonnés. Mais Monsieur X remarque que son garage n'est jamais vide: certains ont besoin de leur vélo pour aller au boulot le matin, mais d'autres travaillent la nuit. Certains prennent le vélo les jours de semaine, d'autres ne l'utilisent que pendant le week-end. Et ainsi de suite. Monsieur X remarque donc qu'à chaque instant il y a toujours au moins les trois quarts des vélos des abonnés qui se trouvent au garage.
Et Monsieur X a alors une idée lumineuse: que se passerait-il s'il louait à l'année une partie des vélos qui lui sont confiés à des gens qui n'en possèdent pas ? Le seul problème, c'est que le propriétaire du vélo prêté peut à tout moment se présenter et demander à sortir son bien. Mais supposons que les propriétaires soient prêts à accepter de prendre un vélo qui ne serait pas forcément le leur (on reviendra sur cette hypothèse plus loin). Dans ce cas, l'idée de Monsieur X marchera à merveille. Si à chaque instant 75% des vélos se trouvent dans le garage, cela signifie que Monsieur X peut louer 750 vélos parmi ceux confiés à la garde sans craindre de ne pouvoir satisfaire l'abonné qui se présenterait pour réclamer un vélo. Monsieur X garde donc un réserve de 25% et loue a l'année le reste.
Etape suivante: les 750 locataires qui ont pris un vélo à l'année ont besoin d'un endroit ou garder leurs vélos. Le garage a vélos de Monsieur X leur tend précisément les bras. Les heureux locataires prennent donc des abonnements chez Monsieur X, qui reçoit donc 750 vélos supplémentaires. Mais sur ces 750 vélos... seulement le quart est de sortie à chaque instant. Ce qui laisse 562 nouveaux vélos à louer... et ainsi successivement. En renouvelant le processus, on s'aperçoit qu'il arrive un moment où il y aura plus de vélos loués qu'il n'en existe vraiment... j'ai donc crée des vélos.
Magique, n'est ce pas ?
En fait, non. Lorsqu'on regarde la question, c'est parfaitement compréhensible. Le tout est de poser les problèmes dans les bons termes. Lorsque je loue un vélo, je loue en fait la jouissance du vélo en question, et non le vélo per se. Or les deux choses sont très différentes: le propriétaire du vélo le possède 24 heures sur 24, mais n'en jouit qu'une petite partie de ce temps (25% dans mon exemple). En réservant la jouissance au propriétaire, j'organise un formidable gâchis: 75 % des capacités du bien sont perdues. Le processus de location monté par Monsieur X permet à d'autres que le propriétaire d'accéder à la jouissance du bien sans pour autant porter atteinte aux droits de celui-ci. Le processus que j'ai décrit ne "crée" pas des vélos, mais optimise l'utilisation des vélos existants en récupérant une capacité inutilisée.
Monsieur X pourrait même attirer plus de "déposants" en leur proposant de garder leurs vélos gratuitement (c'est ce que font les banques avec les dépôts à vue) ou même de les rémunérer s'ils acceptaient de déposer leur vélo sur des temps plus longs (ce que font les banquiers lorsqu'ils payent des intérêts). Quant au loyer payé par les locataires des vélos, c'est bien entendu... un intérêt.
Comme toutes les analogies, celle-ci a quelques faiblesses. La première est qu'un vélo est un objet spécifique, que son propriétaire peut reconnaître. Le propriétaire qui confie son vélo à un garage n'accepterait peut-être pas de prendre n'importe quel autre vélo à sa place. La monnaie, à l'opposé, est un bien "indifférent": lorsque vous retirez vos dépôts d'une banque, vous ne demandez pas que la banque vous remette les mêmes billets que vous avez déposé. Mais cet élément ne change en rien l'élément explicatif de cette analogie. Comme dans le cas des vélos, le "multiplicateur de crédit" traduit une optimisation de la monnaie disponible, et non une création monétaire ex-nihilo.
J'ose espérer que cette petite explication montrera qu'il n'y a rien de mystérieux ou de magique dans la "création monétaire" par le biais du crédit...
Descartes
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