Ce week-end, on a parlé beaucoup programme à la fête de l'Humanité, et notamment "programme partagé" pour le Front de Gauche. On y a même parlé de méthode pour son élaboration. Comme vous pouvez l'imaginer (surtout ceux qui connaissent mes dadas) je me suis précipité pour avoir le plus d'informations possible sur cette fameuse "méthode". S'est-t-on finalement décidé à prendre le taureau par les cornes ? Est-on prêt à tirer les conclusions de l'échec des différentes tentatives d'élaborer des projets pour construire quelque chose de nouveau ?
Hélas!, trois fois Hélas!. La réponse est non. La méthode proposée pour l'élaboration du "programme partagé" suit exactement les lignes de ce qui a été fait au moins depuis que Robert Hue lança le "Pacte unitaire pour le progrès", mieux connu comme "PUP" (tiens, le PCF lance aujourd'hui son "Pacte d'union populaire"... est-ce une coïncidence si l'acronyme est le même ?). La méthode est décrite dans une "déclaration" signée du Front de Gauche (1) avec un certain détail. Cela vaut la peine de s'arrêter sur les différents éléments de cette méthode:
Nous allons, pour cela, mettre en place une méthode et des outils concrets.
¤ Nous appelons à la multiplication d’initiatives locales permettant l’implication populaire et citoyenne la plus large possible : comités locaux du projet partagé, initiatives d’élu-es rassemblant des acteurs locaux divers, ateliers dans les quartiers et sur les lieux de travail...
¤ Au cours de ce processus nous veillerons à croiser sans cesse le travail d’élaboration du Front de Gauche avec les exigences et les revendications des organisations des actrices et des acteurs des mouvements sociaux et citoyens :, syndicalistes, militants associatifs, intellectuels qui sont au cœur des résistances aux politiques libérales.
¤ Nous proposons également la mise en place de « Fronts Thématiques », rassemblant les acteurs de différents secteurs (par exemple acteurs de la santé, de l’éducation, de l’art, économistes…) afin d’élaborer ensemble les propositions susceptibles de permettre une véritable réappropriation démocratique de ces enjeux de société.
¤ Plusieurs initiatives de débats publics, de dimension nationale, seront également organisées. Sont d’ores et déjà prévues deux initiatives dans les prochains
mois :
une initiative sur les transformations institutionnelles nécessaires permettant de
fonder une 6ème République plus démocratique et sociale
une initiative sur la question de l’Europe pour proposer une alternative qui rompe avec
la logique du traité de Lisbonne et des politiques d’austérité mis en œuvre par les gouvernements de l’Europe Libérale
Le comité de liaison permanent du Front de Gauche proposera rapidement les formes dans lesquelles les organisations qui le souhaitent et l’ensemble des citoyennes et des citoyens qui partagent la démarche du Front de Gauche et ses objectifs pourront pleinement y participer.
(...)
Ouf !. On est donc repartis sur le scénario immuable du "débat participatif". D'abord, plein "d'initiatives locales", de "comités", des "ateliers", des "initiatives d'élus". En d'autres termes, mettre ensemble des gens... pour discuter quoi? Prévisiblement, ces réunions deviennent des séances de thérapie collective ou chacun raconte ses malheurs (ou sa vision des malheurs des autres) et le publique entonne en coeur "c'est un scandaaaaaaale, c'est la faute à Sarkozy/le capitalisme/les patrons/la mondialisation/rayer la mention inutile". Et de temps en temps, une intervention genre "il faut plus de moyens pour l'éducation/la culture/la petite enfance/les handicapés/la recherche", sans compter l'immanquable appel gauchiste à "interdire les licenciements tout de suite" où à la "grève générale".Est-ce qu'on imagine que de ce genre de processus puisse surgir un "programme" ayant un minimum de cohérence et de réalisme ?
A côté de ces "initiatives locales", il y aura des "débats publics de dimension nationale". La, on tombe dans la Grande Messe, qui n'a de débat que le nom. On réunira devant un public nombreux un "panel" de dirigeants des différentes organisations et groupuscules de la "gauche radicale", qui chacun aura 5 minutes pour ressortir le discours que tout le monde connaît par coeur.
Toute cette agitation n'est que la démagogie à l'état pur: on fait croire aux gens qu'ils "élaborent le projet", quand on sait pertinemment qu'il n'en est rien. Qu'il faudra bien à la fin de tout ce processus que quelqu'un fasse une synthèse et écrive le programme. Croyez vous que ce "quelqu'un" aura le temps (ou l'envie...) de prendre connaissance de ce qui s'est dit dans tous ces "ateliers" locaux ? Bien sur que non: ce "quelqu'un" écrira un programme qui sera négocié entre les directions des différentes organisations. Et si quelqu'un pense le contraire, je prêt à prendre les paris.
Ce n'est pas comme cela qu'on fait un programme. Un travail de réflexion sérieuse nécessite de trouver et de mettre ensemble des gens qui savent de quoi ils parlent et qui sont prêts à travailler à fonds les problèmes. Il est difficile de réfléchir a vingt, il est impossible de réfléchir à vingt mille. Dans ce domaine, la quantité ne suppléé jamais la qualité. Et de la qualité, il en faut. La gauche radicale - à l'exception du PCF - s'est totalement désintéressé depuis de longues années de la question de l'expertise et de son organisation. Le PCF, lui, a commencé à crier "haro sur les experts" dans les années 1990. Depuis, on remplace les experts par "les acteurs de différents secteurs", formule qui renverse la proposition: ce n'est pas leur compétence qui fait leur légitimité, mais le fait qu'ils y ont un intérêt...
L'organisation de l'expertise est à mon sens un élément vital de n'importe quelle "méthode" de travail. Dans une société aussi complexe que la notre, on ne peut pas croire qu'un dirigeant, aussi génial soit il, puisse dominer l'ensemble des questions. Je ne dis pas qu'il faille donner le pouvoir aux experts. Mais il faut donner à l'expert toute sa place de conseiller du Prince. Il faut constituer des organismes d'expertise qui mettent leur savoir à disposition du politique. Après, le dirigeant - et le peuple qu'il représente - peuvent choisir de suivre ou pas l'avis de l'expert. Mais ils choisiront en connaissance de cause. Qu'on fasse des "ateliers" pour débattre d'un programme qui aura préalablement été élaboré par une commission où les experts auront joué leur rôle, c'est tout à fait enrichissant. Mais croire que le programme peut surgir ex-nihilo du débat public, c'est de la pure démagogie.
Mais le comble, en termes de méthode, se trouve à la fin de la procédure:
Enfin une rencontre nationale conclura en 2011 ce processus en adoptant le programme de gouvernement que nous porterons dans les échéances politiques à venir.
Question évidente: qui participera à cette "rencontre nationale" ? Car s'il s'agit "d'adopter" un texte, il faut que ceux qui adoptent aient le mandat pour le faire. Elira-t-on des délégués dans chacune des organisations participantes à proportion de leurs effectifs ? Cela risque d'être amusant... vu que le PCF représente 98% des militants du Front à lui seul. D'ailleurs, comment se concilie cette "adoption" avec les dispositions des statuts des différentes organisations du Front ?
Une fois encore, la "méthode" est réduite à une question symbolique. "L'adoption" n'est en fait qu'une formalité, elle ne revêt aucune réalité. En fait, toute cette "méthode" n'est qu'un théâtre d'ombres. Le "programme partagé" sera comme d'habitude écrit par un groupe dans un bureau enfumé et aprêment négocié entre les différentes organisations, qui auront le dernier mot quant à son "adoption". Pendant ce temps, là dehors, des "ateliers" débattront de tout et de rien, des "élus" organiseront des "initiatives" et on fera quelques grandes messes nationales qui feront sans doute plaisir aux militants et convaincront les convaincus.
Ce n'est pas de ce genre de "méthode" qu'on à besoin...
Descartes
(1) Déclaration qui est publiée sans que l'on sache comment elle a été discutée et approuvée par les organes dirigeants de chacune des organisations. Au Front de Gauche, on prend beaucoup de libertés avec la transparence des décisions.
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