Après de longues recherches, j'ai fini par comprendre pourquoi les militants du PG sont tellement contre la constitution de la Vème République: c'est parce qu'ils n'ont pas pris la peine de la lire. Vous ne me croyez pas ? Alors, plongez-vous d'urgence sur un étrange document publié sous la pompeuse appellation de "dossier" sur le site du PG sous le titre "la VIème République va dans le bon sens" sous la signature de Charlotte Girard. Le premier paragraphe, intitulé "une constitution d'un autre temps" est en théorie consacré à nous expliquer tous les défauts de la constitution de la Vème République. Le problème, c'est que ce paragraphe est trufé d'erreurs, autant historiques que juridiques, et semblerait écrit par une personne qui n'a pas pris la peine d'ouvrir le texte qu'elle critique.
Et comme je ne suis pas du genre à sortir des paroles en l'air, je vous propose un petit voyage dans le monde de la Vème République telle que les dirigeants du PG la racontent à leurs militants. Vous verrez que ce n'est pas triste...
Commençons par l'affirmation suivante: "En 1958, le Général de Gaulle impose la dictature temporaire en cas de péril de la Nation (article 16),(...)". La phrase est ambiguë, et peut être interprétée de deux manières différentes. Ou bien l'auteur du texte prétend que De Gaulle a "imposé" le texte de l'article 16, ce qui est factuellement inexact puisque la constitution a été votée par référendum (et avec une majorité supérieure à 80%), ce qui ne ressemble guère à une "imposition. Ou bien l'auteur parle de l'utilisation par De Gaulle de l'article 16, et là encore il commet une erreur factuelle: l'article 16 de la Constitution n'a été utilisé qu'une fois, pour faire face au "putch des généraux" en 1961. Et non en 1958.
Mais ces erreurs sont véniels comparés à ce qui suit: "Le gouvernement est encore plus asservi que les autres puisqu'il est nommé et congédié à volonté par le Président". Cette affirmation est un tissu d'erreurs, et il suffit de relire l'article 8 de la Constitution pour s'en apercevoir. Voici le texte: "Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions". Vous voyez la différence ? Et bien, pour résumer le gouvernement n'est pas "nommé à volonté" par le Président, qui ne peut nommer "à volonté" que le Premier ministre, mais ne peut nommer les autres que sur proposition de celui-ci. Et surtout, contrairement à ce que prétend madame Girard, une fois que le Président a nommé un Premier ministre, il ne peut le "congédier à volonté". Il ne peut le faire que si celui-ci lui présente sa démission. Il ne peut non plus congédier les ministres à volonté, seulement si cela lui est demandé par le Premier ministre (1).
Et ce n'est pas tout. A la fin du même paragraphe, l'auteur tire la conclusion suivante: "Résultat : le président gouverne et légifère sans contre-pouvoir ni contrepartie". Et là, il faut se pincer pour vérifier qu'on ne rêve pas. Oui, vous avez bien lu: l'auteur nous explique que le président "légifère" et "gouverne". Ce qui bien entendu n'a aucun rapport avec la constitution de 1958. Prenons d'abord la question des pouvoirs du président pour "légiférer". La constitution réserve le pouvoir législatif au Parlement (2), réserve qui connaît deux exceptions: la première est la possibilité pour celui-ci de déléguer le pouvoir de légiférer au gouvernement - et non au Président - dans un domaine bien précis et pour une durée limitée: c'est la procédure des ordonnances (3). L'autre exception, est celle qui permet de faire approuver une loi par référendum. Mais le Président ne peut soumettre à référendum que si celui-ci lui set proposé par le gouvernement, ou par les deux assemblées, et seulement si le projet de loi entre dans un domaine déterminé (4). On voit donc combien cette idée que dans l'ordre constitutionnel de la Vème République le Président "légifère" sans contre-pouvoir ni contrepartie" est absurde. Le Président, pour le dire vite, ne "légifère" jamais. Une mesure législative est nécessairement le résultat d'un vote parlementaire (directement ou pour ratifier une ordonnance) ou référendaire.
Venons maintenant à la deuxième partie de l'affirmation, celle ou le Président "gouverne". En fait de "gouvernement", les pouvoirs du Président sont très réduits. L'article 20 est sans ambiguïté: "Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement (...)". Pas de confusion possible donc, le gouvernement gouverne et n'est responsable que devant le Parlement. D'ailleurs, les actes administratifs (règlements, décrets, arrêtés) qui sont l'essence du gouvernement doivent tous être contre-signés à minima par un ministre quand ce n'est pas le premier ministre. Seuls échappent à cette règle certains décrets prévus par la constitution elle même, et qui portent souvent sur des sujets symboliques ou cérémoniaux: la nomination à l'ordre de la Légion d'Honneur, a nomination aux emplois supérieurs de l'Etat... (sur proposition du gouvernement) difficile donc de dire que le Président "gouverne" et encore moins "sans contre-pouvoir"...
Et ce n'est pas tout. Quelques paragraphes plus loin on trouve cette curieuse affirmation: "Le deuxième acte [de la procédure constituante entamée à la suite du coup de force d’Alger en mai 1958] a été de confier le pouvoir constituant au pouvoir exécutif". Cette affirmation est une absurdité. Jamais on a confié le "pouvoir constituant" au pouvoir exécutif. Cette affirmation montre une profonde méconnaissance de ce qu'est le pouvoir constituant. Celui-ci ne consiste pas à pouvoir rédiger un texte constitutionnel. Ce pouvoir est ouvert à tous. Vous, moi, quiconque peut s'asseoir avec un groupe d'amis et rédiger un projet de constitution. Ce qui caractérise le "pouvoir constituant" est de transformer ce projet en une constitution véritable, ayant force de loi. Les assemblées constituantes de 1946 n'avaient pas le pouvoir constituant: celui-ci était réservé au peuple, qui se prononça par référendum. Le 3 juin 1958, le dernier Parlement de la IVème République adopte une loi constitutionnelle, en conformité avec la constitution en vigueur alors, déclarant qu'il y a lieu de réviser la constitution, demandant au gouvernement de rédiger un texte en respectant cinq principes: « Seul le suffrage universel est la source du pouvoir », le respect de la séparation des pouvoirs et de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, la garantie de l'indépendance de l'autorité judiciaire, et enfin « doivent être organisés les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés ». Le texte en question devait être soumis à référendum. C'est donc le peuple souverain qui, par la voie du référendum, a exercé le "pouvoir constituant", et non l'exécutif.
Et le festival continue. Quelques phrases plus loin on peut lire "Résultat : avec la constitution de 1958, le peuple n’intervient que pour élire un président qui n’a
aucun compte à lui rendre et une assemblée qui n’a pas les moyens d’être un contre-pouvoir". L'auteur de ces lignes n'a pas du entendre parler de la cohabitation. Pense-t-il vraiment que
pendant la période 1986-88, 1993-95 ou 1997-2002 le Parlement n'a pas été un "contre-pouvoir" fort efficace au pouvoir présidentiel ? Si efficace que c'est la majorité issue des élections
législatives, et non le président qui pendant toutes ces périodes ont décidé de la politique de la France dans tous les domaines. Si la cohabitation a servi à quelque chose, c'est bien à montrer
combien les pouvoirs que la constitution de la Vème République accorde au Président sont limités lorsque le peuple ne lui accorde pas une majorité parlementaire.
Lorsqu'on lit un pareil tissu d'insanités, on ne peut que se demander a qui le PG a bien pu demander de rédiger un tel texte. Et là, je dois avouer ma stupeur. Une petite recherche sur la
toile révèle rapidement que l'auteur, Charlotte Girard, est "maître de conférences en Droit publique". On peut d'ailleurs consulter son Curriculum Vitae ici (5), document qui nous révèle que la dame en question enseigne... le droit
constitutionnel. Difficile à croire qu'un tel enseignant, qui revendique un doctorat en droit puisse écrire de pareilles sottises. Je ne vois que trois possibilités: soit cette personne a menti,
en prétendant avoir des fonctions d'enseignant et des diplômes qu'elle n'a pas. Soit elle a écrit pour le site du PG un texte de commande contenant des affirmations qu'elle sait fausses, ce qui
ne me semble guère conforme à la déontologie d'un enseignant. Soit - et je crains que ce soit l'explication la plus probable - le texte a été écrit par quelque militant zélé et ignorant, et il
est présenté comme étant signé par Charlotte Girard pour lui donner plus de crédibilité. Ce qui n'est pas joli-joli...
Personnellement, j'aimerais connaître l'explication de ce mystère. C'est pourquoi je m'empresse à envoyer par courrier électronique le texte que vous êtes en train de lire à l'adresse de
contact du site du PG. Peut-être qu'il y aura une réponse, que je ne manquerai pas de reproduire ici. En tout cas, je maintien que de toutes les dégradations du débat public, la pire est celle
qui consiste à accumuler sciemment les erreurs, les approximations et les omissions pour tromper les militants et les citoyens. Ceux qui se réclament de la "souveraineté populaire" ne
doivent pas chercher à tromper le souverain. Et je me demande si c'est une bonne idée d'aller manifester pour une VIème République en compagnie de gens qui ne prennent pas la peine de regarder
comment marche la Vème.
Descartes
(1) Ces questions avaient été posées par François Mitterrand lors de la première cohabitation à plusieurs éminents constitutionnalistes. Il s'agissait de savoir si une fois nommé, un Premier ministre de cohabitation était ou non à la merci d'un renvoi par le Président. La réponse avait été unanimement négative: si le Président a le choix lors de la nomination de son premier ministre, il n'a le choix ni des autres ministres, ni du renvoi du gouvernement.
(2) Article 45: "Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux Assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique (...)"
(3) Article 38: "Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi (...)"
(4) Article 11: "Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions".
(5) Comme toujours sur la toile, ces recherches présentent un risque d'homonymie. Si tel était le cas, je m'excuse par avance auprès de la personne concernée.
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