L'affaire DSK, nous dit-on à la radio, a "libéré la parole des femmes". Il est regrettable que cette liberté retrouvée ait été utilisée pour dire autant de bêtises. Et si encore c'était des bêtises originales... mais non, sous prétexte de féminisme on a assisté à un déplorable retour en arrière à des stéréotypes qu'on croyait révolus depuis la fin de l'ére victorienne.
Que nous disent aujourd'hui les féministes ? Que la Femme est un être délicat et faible. C'est une femme-fleur qui se fane à la moindre allusion salace, qui est traumatisée à vie par le moindre geste "déplacé". Et qui bien entendu est incapable d'affronter physiquement et psychologiquement les Hommes sur un plan d'égalité, au point d'avoir besoin que la société la protège à tout instant (y compris dans la chambre à coucher) par toutes sortes d'interdits. Car à côté d'elles rôde l'Homme, cet être violent et lubrique, prêt à sauter sur tout ce qui bouge.
Ca ne vous rappelle rien ? Il faut relire alors les romans à l'eau de rose de l'époque victorienne. Vous y retrouverez exactement cette même idée: celle d'une femme faible, toujours en danger (et donc à la recherche d'une protection), et d'un homme otage de ses instincts animaux. Rien de bien nouveau donc. Ce qui est plus effrayant, c'est que dans un monde où les femmes ont revindiqué et obtenu le droit d'être policier, pilote de chasse, soldat, pompier et chef d'Etat on en soit encore à croire à ces fadaises. On frémit lorsqu'on entend une Chantale Jouanno, en qui on pourrait voire une femme moderne (et une championne de sports de combat, en plus), nous expliquer combien elle souffre des commentaires salaces de ses collègues lorsqu'elle se présente à l'assemblée nationale portant une jupe.
Ce retour en arrière était annoncé depuis quelques années. Il y a d'ailleurs des signes qui ne trompent pas, et la criminalisation croissante du viol, avec toutes les fantasmagories qui tournent autour de ce type d'infraction, est l'un de ces signes. Il faut dire que le viol est une infraction très particulière: Si je vous enfonce un coûteau dans le ventre, l'infraction est constituée par l'acte lui même. Il n'existe pas de contexte dans lequel il soit légal et permissible d'enfoncer un couteau dans le ventre de quelqu'un. La légitime défense ou l'accident ne sont que des excuses, qui n'abolissent pas ni l'infraction et n'effacent pas les dommages. Quelques soient mes intentions, quelques soient les votres, il s'agit d'une infraction pénale.
Dans le viol, par contre, ce n'est pas l'acte qui constitue une infraction, mais le contexte: si l'acte est consenti, il est non seulement parfaitement légal, mais il n'entraîne aucun dommage dont la réparation puisse être demandée. La frontière entre l'acte légitime et l'infraction pénale repose exclusivement sur la question du consentement. Le problème, c'est que l'acte sexuel est la quintessence de l'acte ambigu. Il est souvent l'aboutissement d'un processus de séduction réciproque, où contrairement à ce que veulent croire certaines féministes "non ne veut pas dire non et oui ne veut pas dire oui". Le consentement à l'acte sexuel est toujours ambigu, toujours précaire. A moins de constater l'accord par écrit et devant notaire (ce que proposent certaines féministes américaines, comme Catherina McKinnon), la question de savoir qui a consenti à quoi (et qui a fait semblant de consentir a quoi, et qui a pu croire que l'autre consentait alors que ce n'était pas le cas...) reste très délicate lorsqu'il s'agit d'un acte sexuel.
Ce qui est révélateur, c'est la hiérarchie des peines: dans l'état actuel de la législation, le viol est un crime passible de 15 années de réclusion, plus que la mutilation volontaire (10 ans, art 222-9 Code Pénal), et cinq fois plus que la violence volontaire (3 ans, art 222-11 même code). En d'autres termes, enfoncez un couteau dans la jambe de votre voisin, vous risquez 3 ans. Enfoncez votre pénis dans sa bouche, et vous risquez 15 ans. Enfoncer le couteau, c'est un délit, enfoncer le pénis, c'est un crime.
Est-ce raisonnable ? Quelle est la logique de cette hiérarchie des peines ? On nous explique que cette hiérarchie tient aux dommages psychologiques que le viol peut causer. Mais pourquoi diable serait-il plus difficile de se remettre physiquement et psychologiquement d'une fellation non consentie que d'un coup de couteau ? Franchement, la main dans le coeur, si vous aviez à choisir entre les deux, laquelle choisiriez vous ?
Décidément, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, le libertarianisme de mai 1968 vieillit bien mal. La génération qui appelait à "jouir sans entraves" et qui prônait un banalisation de l'acte sexuel, considéré comme un rapport humain comme les autres, aura été celle qui aura appellé l'Etat à reprimer de plus en plus sevèrement les crimes sexuels considérés comme une catégorie criminelle "à part" dont la gravité fantasmée n'a aucun rapport avec ses conséquences réelles pour les victimes. La génération qui prônait la libération de la femme et sa mise a égalité avec l'homme est celle qui aujourd'hui non seulement propage une image de femme-victime digne de la période victorienne, mais au nom de cette image fait règner un terrorisme intellectuel qui commence à être difficile à supporter. Hier, les inquisitions obligeaient les hérétiques à abjurer. Aujourd'hui, un journaliste ou un homme politique seront sommés de présenter des plates excuses "aux femmes" pour avoir tenu des propos qui sont quelquefois d'une franche banalité mais que les dragons de vertu auto-designées jugent "offensant". On peut même pêcher par omission, comme le montrent les reproches adressés aux hommes politiques qui n'ont pas été assez rapides à compatir avec la "presumée victime" de l'affaire DSK.
Dieu (1) sait que Jean-François Kahn n'est pas saint de ma dévotion. Et pourtant, qu'il soit sommé de s'excuser pour une expression malheureuse (et encore, c'est discutable) et alors que sa trajectoire plaide pour lui est une indignité, qui devrait faire honte à ceux et celles (surtout celles) qui l'ont contraint à cette démission.
PS: Après la publication de cet article, est tombée la nouvelle de la démission de Georges Tron. Cette démission illustre à la perfection mon propos, et tout particulièrement ceux qui concernent le terrorisme intellectuel qui règne aujourd'hui. Il faut rappeler que cette semaine un ministre de la République a été forcé à la démission alors que les faits dont il est accusé ne lui ont même pas valu une mise en examen. Il a été obligé de démissionner parce que le Président de la République a pris conscience du pouvoir médiatique que détiennent les partisan-e-s (moi aussi, je sais écrire en féministe) de ce nouveau puritanisme, et ne voulait pas prendre le risque de voir la moralité de ses ministres étalée dans les pages des journaux. Est-ce qu'un seul leader politique est sorti dénoncer cette monstrosité ? Non. Et on comprend facilement pourquoi: ceux de la majorité ont trop peur de se voir associées aux turpitudes réelles ou supposées de leur collègue, et de faire l'objet d'une campagne médiatique organisée par ces mêmes "maffias" médiatiques. Et ceux de l'opposition sont trop contents de voir abattre un adversaire politique. Les deux ont tort: en cédant au chantage de la maffia en question, ils prennent le risque d'être demain les victimes de la curée...
Descartes
(1) Je n'ai pas dit qu'il existait, j'ai dit qu'il sait. Mais peut-on séparer l'un de l'autre ? Après tout, "cogito ergo sum"...
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