Ce matin, j'ai écouté Gérard Filoche sur France Inter qui intervenait sur la question de la dette. Son idée ? Un grand audit de la dette grecque permettant de séparer la dette "normale" de la dette "indigne". La première, c'est celle qui sert à financer "les écoles, les hopitaux...", dépenses utiles et dignes d'être financées. La seconde, c'est celle qui sert à payer des choses inutiles, comme par exemple les sous-marins ou les armements. Il va de soi que seule la dette "normale" serait remboursée.
L'idée de Filoche n'est pas nouvelle. C'est une vieille idée moraliste qui prétend séparer les "bonnes" dépenses des "mauvaises". Et de responsabiliser les prêteurs en punissant ceux qui financent les mauvaises dépenses. Seulement, cette vision est fondée sur une vision assez irréaliste de la manière dont la dette est financée. Admettons qu'on puisse décider que la dette finançant un hôpital est "légitime" est celle finançant un sous-marin est "indigne" (ce qui, dans une démocratie, suppose d'admettre que c'est le moraliste et non le peuple souverain qui décide valablement quelles sont les dépenses "légitimes"). Le problème est que les deux dettes sont financées à partir de la même source. Car la dette publique se présente sous trois formes:
- le "crédit fournisseur": c'est l'argent que l'Etat doit directement à ses fournisseurs. Par exemple, lorsqu'un fournisseur livre pour 1 M€ du papier pour les photocopieuses à l'administration le 1er janvier et qu'il est payé le 1er juin, on peut constater que l'Etat doit 1 M€ pendant toute cette période. Inutile de dire que ces dettes sont à très court terme (quelques mois).
- les engagements hors budget: ce sont des dettes qui sont contractées sans qu'il y ait d'échange de biens ou des services. Par exemple, au fur et à mesure qu'un fonctionnaire travaille, il accumule des droits à la retraite. Ces droits sont une créance, qui lui donne droit une fois l'âge de la retraite atteint, au règlement par l'Etat d'une pension.
- et finalement, les obligations - au sens large - qui sont des reconnaissances de dettes que l'Etat échange contre de l'argent frais.
En pratique, la dette de l'Etat est à 95% sous les deux dernières formes. Alors, j'aimerais que Filoche m'explique comment il va faire, lorsqu'il dit qu'il ne faudrait pas payer la "dette indigne", quelles sont précisément les créanciers qui seront visés. Parce que rien ne ressemble plus à une obligation qu'une autre obligation. Comment distinguer les obligations qui ont servi à payer les sous-marins de celles qui ont servi à payer les écoles ?
Dans la mesure où les emprunts ne sont pas affectés - c'est à dire, ils ne sont pas attribués à une dépense particulière - il est impossible de séparer le remboursement de la "dette indigne" de celui de la "dette légitime". Le discours de la réduction de la dette par refus de rembourser la "dette indigne" est du rêve. C'est tout simplement infaisable. La question à se poser est: est-ce que les gens comme Filoche en sont conscients ? Est-ce de l'ignorance, ou de la démagogie ?
Descartes
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