Il paraît que nous sommes dans une crise de régime. Il paraît que les français ne font plus confiance à leur système politique. Il paraît que les français veulent de la "transparence", et donc savoir combien d'appartements, de voitures, de vélos et de trottinettes possèdent leurs élus. Il paraît qu'il faut réformer de toute urgence le statut pénal du chef de l'Etat. Il paraît même qu'il faut changer de constitution. Tout ça a été révélé grâce à l'affaire Cahuzac.
Je te vois d'ici froncer les sourcils, mon cher lecteur. Tu te demandes peut-être en quoi le fait qu'un ministre de la République ait, dans une vie antérieure et dans un contexte qui n'a aucun rapport avec ses fonctions gouvernementales, soustrait de l'argent au fisc peut "révéler" de pareils dysfonctionnements. Tu te demandes peut-être en quoi la réforme du statut pénal du chef de l'Etat pourrait prévenir la fraude fiscale des ministres. Tu te demandes aussi en quoi le fait de savoir que Monsieur Fabius a fait un bel héritage - ce que nous savions déjà - et que Mme Duflot n'en a pas fait pourrait donner confiance à nos concitoyens dans leurs institutions. Et tu as raison, mon cher lecteur. Tout cela est à la fois absurde et révélateur. Absurde, parce que comme l'ivrogne de l'histoire drôle, nos gouvernants cherchent leurs clés non pas à l'endroit où ils les ont perdues, mais à l'endroit où il y a le plus de lumière médiatique. Au lieu de rechercher les solutions aux problèmes, on cherche des annonces susceptibles de calmer l'opinion. Mais tout cela est aussi révélateur de l'incapacité du gouvernement à définir un projet et à le défendre devant les français. Si l'affaire Cahuzac a pris de telles proportions, c'est parce qu'elle tombe au milieu d'un vide politique - au sens le plus noble du terme - sidéral. Disons-le clairement: en dehors des réformes "sociétales", le gouvernement est incapable de nous expliquer quelle société il entend construire, et comment on y arrive. C'est quoi le "projet" pour l'éducation ? La semaine de quatre jours et demi ? C'est quoi le projet pour la "transition énergétique" ? Un "débat national" qui ne produit rien et un objectif de "50% de nucléaire en 2025" sans qu'on sache très bien quels en seront les effets. C'est quoi le projet industriel ? C'est quoi le projet pour la Défense ?
Il n'est pas étonnant que cette paralysie fasse ressortir le vieux débat sur la "VIème République". Et que ceux dont c'est la marotte nous expliquent que tous nos malheurs viennent de la constitution de 1958 "modifiée N fois", qui serait à les entendre incompatible avec le gouvernement démocratique d'un état moderne ou plutôt post-moderne. La "gauche radicale" dans toute sa splendeur - un projet soutenu à la fois par le PG, le PCF, le NPA et Eva Joly ne peut être que mauvais - appelle même à une "manifestation pour la VIème République".
Je dois ici faire un aparté: il faut séparer la question de la "VIème République" et celle de la "constituante". La question peut paraître subtile, mais il y a une différence entre les deux comme me l'a signalé un lecteur de ce blog, André Bellon, animateur de "l'association pour une constituante". Pour lui, l'important n'est pas tant le produit que le processus. L'idée est que la convocation d'une constituante, c'est à dire d'une assemblée élue au suffrage universel pour débattre spécifiquement de l'organisation des pouvoirs publics, des droits fondamentaux et des principes de la République (qui sont les trois éléments fondamentaux d'une constitution) aurait un intérêt en soi en permettant un véritable débat dans l'ensemble de la société sur ces questions. Mais ce processus n'exclut pas qu'à la sortie on se retrouve avec des institutions plus ou moins similaires à celles de la constitution de 1958, que le processus de la constituante aurait légitimé. Mais au delà de mon scepticisme naturel qui me porte à douter de la possibilité d'organiser véritablement un tel débat sur un sujet qui reste quand même relativement technique sans qu'il soit confisqué par l'establishment habituel des commentateurs, je peux être d'accord sur l'intérêt du processus de discussion démocratique. Ce qui m'inquiète plus, c'est qu'une partie de ceux qui se déclarent partisans d'une "VIème République" mettent derrière cette formule des idées qui ressemblent drôlement à la IVème.
Vous ne me croyez pas ? Je vous recommande de lire le document intitulé "Réfondons la République !" publié sur le site du PCF parmi les "documents de travail du comité national" (1). Ce document a au moins un mérite: pour une fois, on sort des généralités pour faire des propositions. En annexe, certes - faut tout de même pas abuser - mais c'est fait. Et c'est pas triste. Ainsi, par exemple, sur l'organisation des pouvoirs:
"Nous proposons un président, personnalité morale garante des institutions de la République, et un gouvernement responsable devant le parlement et le peuple, qui met en œuvre la politique
décidée par la majorité démocratiquement élue. La primauté du parlement sur l'exécutif doit être rétablie: c'est lui qui décide de la politique économique, sociale et budgétaire; il donne un
mandat impératif aux représentants du gouvernement dans les les négociations européennes
; se prononce par un vote sur tout engagement extérieur des forces armées; décide à la majorité qualifée des 3/5 iéme des nominations aux postes de responsabilité de l'Etat et des entreprises
publiques".
En d'autres termes, on revient à la logique de la IVème République, avec un président qui inaugure les chrysanthèmes, et un gouvernement dont le rôle est "la mise en oeuvre" d'une politique "décidée par la majorité". Et comment serait élue l'assemblée ? Voici comment:
"Le parlement revalorisé doit être représentatif du peuple comme d'ailleurs toutes les assemblées élues: nous proposons la généralisation du mode de scrutin proportionnel (...)"
Fort bien. Imaginons un peu ce qu'aurait donné une assemblée élue à la proportionnelle intégrale avec un seuil de 2% (un seuil bas est indispensable pour permettre que l'assemblée soit véritablement "représentative du peuple") en imaginant que le vote eut été le même que celui du premier tour de l'élection présidentielle:
UMP 28,2%
PS 29,7%
FN 18,6%
FdG 11,5%
Modem 9,5%
EELV 2,4%
Il ne vous a échappé que dans cette assemblée, il n'y a qu'une combinaison majoritaire à deux partis: UMP+PS. Sans un accord UMP-PS, il y a une seule combinaison à trois qui donne une majorité: UMP+Modem+FN. Et aucune majorité à gauche n'est possible: la somme PS+FdG+EELV donne seulement 43,6%. En d'autres termes, imaginez ce que serait une VIème République avec une telle assemblée qui en plus "aurait le primat sur l'exécutif". Comment imaginez vous un gouvernement capable d'obtenir une majorité dans une telle assemblée ? Et la chose devient encore plus comique lorsqu'on imagine qu'une telle assemblée devrait "décider des nominations aux postes de responsabilité de l'Etat des des entreprises publiques" à la majorité des trois cinquièmes, soit 60%. Reprenez les pourcentages ci-dessus, et réfléchissez aux combinaisons de vote nécessaires pour avoir une telle majorité...
Il faut vraiment avoir oublié l'histoire de la IVème République pour proposer au nom d'une politique "de gauche" un arrangement qui pousse irrésistiblement à un gouvernement de "troisième force", c'est à dire, à une alliance du centre droit et du centre gauche. Et beaucoup d'ingénuité pour proposer un système qui empêchera toute politique cohérente d'être conduite, puisqu'il est improbable qu'une alliance programmatique puisse obtenir une majorité suffisante pour gouverner.
Il est d'ailleurs curieux que cette détestation de l'exécutif et cette "primauté du législatif", qui semble si importante au niveau de l'Etat, ne soit pas reprise dans les propositions sur la gouvernance des collectivités locales - domaine dans lequel les propositions sont fort élyptiques. Pourtant, le conseil municipal est autrement plus soumis au Maire aujourd'hui que le Parlement à l'exécutif... et ne parlons même pas des conseils généraux et régionaux. Mais peut-être que contrairement à ce qui se passe au niveau national, la primauté de l'exécutif municipal arrange bien des élus communistes... ?
Mais le document en question ouvre des portes bien plus inquiétantes. Reprenons le deriner paragraphe cité en entier:
"Le parlement revalorisé doit être représentatif du peuple comme d'ailleurs toutes les assemblées élues: nous proposons la généralisation du mode de scrutin proportionnel, seul capable de
garantir le pluralisme et la parité et la
reconnaissance du droit de vote des étrangers dans la cité sous condition de résidence. "
En d'autres termes, le droit de vote des étrangers résidents non seulement aux élections locales, mais aussi aux élections parlementaires. Cette proposition est tellement aberrante qu'on a du mal à croire qu'elle ait pu être formulée avec une telle candeur. Ce n'est plus la lutte finale, mais la rupture finale avec l'idéologie des lumières et avec tout le raisonnement qui fonde la souveraineté populaire. Le droit de participer à la délibération est inséparable de l'obligation de supporter les conséquences de celle-ci. C'est pourquoi l'étranger ne vote pas: parce qu'il a toujours la possibilité de se soustraire à la délibération en question en rentrant dans son pays. Le fondement de la souveraineté du peuple, c'est précisément le fait que les citoyens qui le composent ont un destin commun auquel ils ne peuvent se soustraire. C'est cela qui les sépare de l'étranger. L'étranger peut bien entendu embrasser ce destin commun - il est alors naturalisé et partage les mêmes droits et devoirs que ses concitoyens, y compris celui d'être appelé sous les drapeaux et défendre au risque de sa vie les délibérations auxquelles il a participé. Admettre l'étranger à l'exercice de la souveraineté revient à séparer celle-ci de toute communauté de destin. C'est la fin de la République, et la transformation de la carte d'identité en carte de sécurité sociale.
On trouve dans la proposition d'autres bizarreries. Par exemple, une curieuse conception de la justice:
"L'indépendance de la justice à l'égard de l'exécutif doit être résolument garantie: nous sommes favorables à la création d'un Conseil Supérieur de la Justice qui procédera aux nominations de tous les magistrats; il sera composé pour moitié de magistrats, pour moitié de personnalités désignées par le parlement".
Passons sur le fait que les auteurs de ce texte s'inquiètent de l'indépendance de la justice vis-à-vis de l'exécutif, mais semblent ne pas voir d'inconvénient à ce qu'elle soit soumise au pouvoir législatif (2). Mais le plus étrange ici, c'est qu'on fabrique un système de cooptation: le "Conseil Supérieur de Justice", qui nomme "tous les magistrats" est composé par moitié... de magistrats. En d'autres termes, les magistrats ont un droit de veto dans l'instance qui les nomme. Vous avez dit "cooptation" ? La chose est d'autant plus étonnante qu'en parallèle au "Conseil supérieur de la justice" le texte propose un "Conseil supérieur des médias" dont la composition n'est pas tout à fait la même: ici, il est hors de question que la moitié des membres soient des journalistes...
Il serait long de commenter toutes les propositions. Certaines sont totalement déconnectées de ce qu'est un processus constituant ( "C'est l'ensemble des organisations internationales, y compris l'ONU, qui doivent être transformées et démocratisées afin de pouvoir répondre aux exigences du multilatéralisme, de la coopération et du développement humain durable". On se demande ce qu'une constituante française pourrait bien avoir à faire là dedans). D'autres sont des voeux pieux qui oublient qu'il y a une réalité économique. Ainsi par exemple: "Nous sommes favorables à un changement des statuts des grandes entreprises afin que soient représentés au conseil d'administration à égalité les représentants des salariés, les détenteurs du capital (public ou privé et les élus des territoires concernés". Dites, vous en connaissez vous des investisseurs qui créeront une entreprise sachant qu'ils seront représentés dans les instances de décision "à égalité des représentants des salariés et élus des territoires concernés" (ce qui en pratique les met en minorité) ? Moi, je n'en connais pas beaucoup...
Tout cela montre à quel point cette affaire de "VIème République" est une coquille vide. Après avoir répété cette proposition sur tous les tons depuis bientôt deux ans, on commence seulement à se demander ce qu'on pourrait bien mettre dedans. La superficialité du texte et ses contradictions internes montrent qu'aucun travail sérieux n'a été fait jusqu'à maintenant. Pourquoi est-ce que cela ne m'étonne pas ?
Descartes
(1) Comme il arrive maintenant souvent avec les documents du PCF, il est impossible savoir quel est exactement le statut de ce document. Il est présenté comme un "document de positionnement" en relation avec la réunion du Comité national du PCF du 13 avril 2013. Mais le rapport qui ouvre les débats n'en fait pas mention, et le compte rendu des débats du Comité national n'en fait référence qu'une fois sans indiquer s'il s'agit d'un document d'étude, d'un document validé. On ne sait non plus qui en seraient les auteurs...
(2) Cela se voit encore plus dans la proposition sur le contrôle constitutionnel: "Le contrôle de la constitutionnalité des lois ne peut déposséder le parlement et le peuple. Il doit être confé à une Cour Constitutionnelle composée de personnalités qualifées désignées à la proportionnelle par le parlement sur la base de listes proposées par les groupes". On imagine aisément ces juges constitutionnels, qui doivent leur nomination à leur "groupe", faire preuve d'une totale indépendence à l'heure de juger la constitutionnalité des lois que ce même groupe a votées... d'autant plus que rien dans la proposition n'assure aux membres de la Cour constitutionnelle l'inamovibilité...
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