En ce moment ou les bonnes nouvelles sont rares, il y a au moins une raison de s'en réjouir: par sa décision du 7 octobre 2010 (consultable ici) le Conseil constitutionnel valide la loi interdisant de dissimuler son visage dans l'espace public.
On attend avec impatience les réflexions de tous ceux qui pendant des moins nous ont rabattu les oreilles avec l'inconstitutionnalité "absolument flagrante" d'une telle mesure. Finalement, le Conseil constitutionnel dans sa grande sagesse a retenu la conception novatrice qu'avait proposé le Conseil d'Etat dans son étude du 25 mars 2010 (consultable ici). Dans ce texte, le Conseil d'Etat avait signalé que "une interdiction générale de dissimulation du visage dans les lieux publics ne pourrait reposer que sur une conception renouvelée de l'ordre public, étrangère à la jurisprudence actuelle du conseil constitutionnel". Cette conception était décrite dans ces termes: "on pourrait soutenir que l’ordre public répond à un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui, comme par exemple le respect du pluralisme, sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés, et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle". Et il ajoute: "Or, ces exigences fondamentales du contrat social, implicites et permanentes, pourraient impliquer, dans notre République, que, dès lors que l’individu est dans un lieu public au sens large, c’est-à-dire dans lequel il est susceptible de croiser autrui de manière fortuite, il ne peut ni renier son appartenance à la société, ni se la voir déniée, en dissimulant son visage au regard d’autrui au point d’empêcher toute reconnaissance. En outre, ces mêmes exigences impliquent, plus généralement, l’interdiction des marques de différenciation inégalitaires et reconnues comme telles".
Et le Conseil d'Etat de conclure: "Une telle conception, formalisée, aboutirait ainsi, de manière inédite, à retenir une définition « positive » de l’ordre public non plus seulement comme « rempart » contre les abus procédant de l’exercice sans limites des libertés mais comme le socle d’exigences fondamentales garantissant leur libre exercice. Elle constituerait le seul fondement susceptible de justifier une interdiction de la dissimulation du visage ayant pour objet d’empêcher toute reconnaissance de la personne. Celle-ci procéderait alors de l’affirmation d’un droit et d’une égale appartenance de tout un chacun au corps social".
Le Conseil Constitutionnel a eu le courage de renouveler sa jurisprudence en retenant ces arguments. Ayant a se prononcer sur la constitutionnalité de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace publique votée par le parlement, il reprend les arguments du Conseil d'Etat:
"Considérant (...) que le législateur a estimé que de telles pratiques [celle qui consiste à cacher son visage dans les lieux publics ] peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu'il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité ; qu'en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l'ordre public"
Le conseil retient donc que des comportements contraires aux exigences du "vivre ensemble" et susceptibles de mettre les individus dans une situation "incompatible avec les principes de liberté et d'égalité" sont contraires à l'ordre public. Et donc que dans la mesure où la loi vise à protéger l'ordre public et prévoit des peines proportionnées, elle est conforme à la constitution.
C'est une grande victoire pour la République et pour les républicains. Le Conseil Constitutionnel a reconnu que l'ordre public républicain ne se limite pas à éviter que certains abusent de leurs droits, mais qu'il consiste en un ensemble de comportements civiques qui font le "vivre ensemble". A la conception d'un individu tout puissant dont la volonté est la seule loi (si cher à tous nos anarcho-libéraux) il rappelle que l'individu ne peut s'épanouir que dans les respect d'un certain nombre de règles de co-existence avec ses semblables.
Et finalement une note personnelle: ayant défendu cette conception depuis le début de cette affaire, je m'en vais déboucher le champagne !
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