Je m’assieds ce matin pour écrire cette chronique le cœur gros. Rien de surprenant me direz vous. Mais l’esprit humain est ainsi fait qu’il attend toujours le meilleur même s’il se prépare au pire…
Après l’événement, il faut revenir en arrière pour faire un sort à ses propres analyses, pour voir ce qu’on a bien vu et ce qu’on a raté. C’est ce que j’ai fait. Et je suis tombé sur l’article que j’ai publié le 24 avril 2016, dont le titre était prophétique : « le matin des égo-politiciens » (1). Dans cet article, je faisais une analyse des stratégies macronienne et mélenchonienne, une analyse à laquelle je n’ai pas un mot, une virgule à retirer. Ou plutôt si : il faudrait changer la conclusion. Avec mon optimisme habituel, j’avais prédit que le phénomène allait se dégonfler, que nos concitoyens allaient réaliser le vide qui se cache derrière ce type de politique. J’ai cru – je l’avoue – que les gens étaient suffisamment pragmatiques, suffisamment conscients de la situation pour ne pas accorder leur confiance à des bateleurs de foire.
J’avais tort, et mon tort fut de ne pas croire assez à ma propre analyse et la pousser jusqu’au bout. Il faut l’admettre : l’égo-politique n’est pas un phénomène marginal, qu’on peut tenir pour folklorique. Dans le vide idéologique ambiant, elle peut conduire à la victoire. Lorsqu’on regarde les résultats on voit que parmi les cinq candidats de tête, il n’y a que deux candidats qui aient réussi à amorcer une vraie dynamique : Macron et Mélenchon, les deux seuls égo-politiciens en course. Marine Le Pen, qui fait encore de la politique à l’ancienne avec un parti, des instances, les contraintes d’un programme élaboré collectivement, tire à peine honorablement son épingle du jeu.
Mais la victoire de Macron ne s’explique pas seulement par son statut d’égo-politicien. C’est aussi l’histoire d’une classe politique en bout de course, sans projet, sans idées, sans ambition autre que de sauvegarder ses positions. Macron, c’est le candidat des « barons » locaux et médiatiques, de Collomb à Bayrou, de Hue à Cohn-Bendit. Mais aussi et surtout le candidat des gens « raisonnables », c'est-à-dire celui de l’Europe : Faut-il s’étonner que Macron ait reçu hier soir, sans attendre le deuxième tour, les félicitations de Juncker et de Merkel ? On aurait voulu marquer que Macron est le candidat de la Commission, qu’on ne serait pas pris autrement.
L’autre égo-politicien, Jean-Luc Mélenchon, a lui aussi réussi à créer une dynamique. Il a réussi ce qui me paraissait très difficile : attirer une partie de la « gauche socialiste » et additionner ses voix à celles du marigot de la « gauche radicale ». Et cela au prix d’un « lissage » du discours, d’un programme qui laisse ouvertes toutes les ambiguités notamment sur l’Europe. A peu de chose près, finalement, on aurait pu rencontrer les deux égo-politiciens au deuxième tour. Et si Mélenchon était si grognon lors de la soirée électorale, c’est peut-être parce qu’il réalise qu’avec une tactique moins méprisante à l’égard de ses éventuels soutiens il serait peut-être arrivé. Mais si l’égo-politique permet de créer des dynamiques, la question reste posée sur ce qui se passe ensuite. Car tôt ou tard il faut sortir de l’ambiguïté et faire des choix, sauf à être un président absent comme François Hollande. Pour Macron, la question sera de constituer une majorité et un vrai projet de gouvernement. Pour Mélenchon, c’est moins ambitieux : y a-t-il un avenir pour la « France insoumise » ? Comment traduire le bon score de la présidentielle lors des législatives ?
Le phénomène Macron est intéressant parce qu’il révèle de façon éclatante combien la division droite/gauche n’a plus de sens pour une fraction croissante de notre classe politique. « Droite » et « Gauche », c’est comme McDonald’s et Quick : deux marques qui s’affrontent pour le contrôle du marché, et qui servent la même bouffe – infecte. Seul l’emballage change. Macron, c’est la démonstration que des gens « de droite » et des gens « de gauche » peuvent soutenir le même projet. Non pas un compromis entre deux projets, qui supposerait des concessions réciproques, mais bien un projet commun. Ce consensus serait inimaginable si nos politiciens avaient des conceptions du monde, de la société, de l’avenir différentes les unes des autres. Le fait qu’ils puissent communier dans le projet macronien ouvre deux possibilités : soit le projet n’a pour ces gens aucune importance, soit leurs désaccords ne sont que cosmétiques, une manière de se différencier de l’autre. Dans les deux cas, c’est triste.
Et maintenant, nous nous acheminons vers un désastre politique. Par essence, le président de la République ne peut être l’homme d’une partie du pays contre une autre, d’une classe contre une autre. Or, jamais un deuxième tour aura été aussi socialement polarisé : De Gaulle prétendait représenter les ouvriers tout autant que Mitterrand, Giscard déniait à la gauche le « monopole du cœur ». A chaque élection, les deux candidats prétendaient représenter l’ensemble du pays et prenaient soin de bien le marquer. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : Macron, c’est le candidat du bloc dominant, bourgeoisie et « classes moyennes », des « gagnants », de ceux qui peuvent se payer un costume parce qu’ils travaillent. Et il ne le dissimule pas. Par opposition, Marine Le Pen devient donc le candidat des autres : des chômeurs, des ouvriers, des paysans. Ceux qui sont menacés par la précarité de l’emploi, par les délocalisations, la désindustrialisation n’ont rien à espérer de Macron. Et le soir du 7 mai, le résultat apparaîtra qu’on le veuille ou pas comme une victoire d’une France sur une autre, celle des possédants sur celle du petit peuple.
Descartes
(1) http://descartes.over-blog.fr/2016/04/le-matin-des-ego-politiciens.html
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