Le 30 novembre dernier, la « France Insoumise » à lancé un grand exercice démocratique, en organisant « en même temps et sur toute la France » des « réunions de circonscription » destinées à préparer la désignation des 577 binômes candidats de la « France Insoumise ». Bien entendu, je ne pouvais pas laisser passer une si belle occasion d’étudier le fonctionnement des « insoumis », et c’est pourquoi bravant les intempéries et la flemme naturelle après une journée de travail, je mis mon costume de militant pour me rendre à une telle réunion.
Il ne restait plus qu’à choisir une circonscription. Aller à celle de ma circonscription était bien entendu hors de question, trop de risques de se faire reconnaître. Une circonscription parisienne ? Pas envie d’entendre la prévisible réunion de bobos gauchistes. J’ai choisi donc une circonscription pas trop loin de chez moi, de vieille tradition ouvrière mais de plus en plus affectée par la boboïsation de la petite couronne parisienne. La circonscription vote si majoritairement à gauche que le basculement à droite semble très difficile. Le candidat qui sortira en tête de la gauche aura toutes les chances donc d’être élu, ce qui bien entendu ne donne que plus d’intérêt au débat.
Après avoir du à la sortie du métro aider à séparer un couple qui se battait en pleine rue, elle une furie tous ongles dehors qui crachait et griffait, lui gentil et calme demandant l’aide des passants, ce qui aurait pu être un bon point de départ pour un papier sur les « violences faites aux hommes », je me suis présenté donc à 19h30 tapantes – je déteste arriver en retard – devant la salle municipale ou devait se dérouler l’événement. Là, personne pour me tenir compagnie dans le froid et la solitude glauque. Je décide de faire le tour du pâté de maisons pour passer le temps – et pour ne pas avoir trop l’air de faire le guet. A 19h40, les troupes commencent à arriver… mais point de clé pour ouvrir la salle. A 19h50, les clés arrivent enfin. Nous entrons tous dans la salle, et sacrifions au rituel habituel de l’installation des tables et des chaises.
Pendant que l’installation progresse, permettez-moi de décrire les présents : une quinzaine de personnes, moitié hommes moitié femmes. Comme d’habitude dans ce genre de réunion, deux tiers ont dépassé – pour certains largement – la cinquantaine, le tiers restant se situe en dessus de la trentaine. Pour l’œil exercé, on reconnaît immédiatement les caractères dignes de la commedia dell’Arte : le vieux militant blanchi sous le harnois, qui a passé de longues années au PCF avant de passer au PG, l’élu local, les « déçus » socialistes, les jeunes organisateurs sur le modèle Sciences Po… mais n’allons pas trop vite.
Les tables et les chaises sont maintenant installées, tout comme les convives. Un peu de temps est perdu pour installer le vidéoprojecteur et l’ordinateur correspondant – car personne n’a pensé à amener une rallonge et une prise multiple. Parce que, modernité oblige, il est prévu que la réunion commence par… la projection d’une vidéo. Mais j’y reviendrai. Pour le moment on commence avec le « tour de table » de présentation, chacun déclinant son nom, prénom, et donnant les détails qu’il souhaite (profession, vie militante, etc.) (1). Et cela confirme les premières impressions : quelques déçus du socialisme, pas mal de militants du PG, des jeunes qui viennent de la coordination nationale des « insoumis ». Pas un seul « communiste insoumis », pas un seul « Ensemble insoumis ». On est entre soi.
Et on passe ensuite à la vidéo, qui est en fait une présentation du processus faite par le directeur de campagne de Mélenchon flanqué de deux adjointes aux responsabilités imprécises. Je m’étais beaucoup demandé le pourquoi du recours à la vidéo. Après tout, qu’est ce que cela rajoute, de voir des gens qui vous parlent sur un écran, plutôt que des gens qui font la présentation en chair et en os ? Mais voilà, d’une part, cela suppose de disposer dans chaque circonscription d’au moins un militant à qui on peut faire confiance pour faire la présentation avec autorité et sans se tromper, ce qui ne semble pas être le cas des « insoumis » aujourd’hui. Et d’autre part, un orateur pousse à une écoute active : on peut l’interroger, on peut le contester, on peut l’approuver. La vidéo, elle, pousse à une écoute passive.
Ayant écouté la parole dans un silence religieux, l’organisateur nous appelle à la profession de foi. C'est-à-dire, la lecture à haute et audible voix de la « Charte », document que chacun est invité à « approuver » en apposant sa signature. Personne ne proteste… sauf le vieux militant, qui signale qu’il a un problème avec le texte. En effet, celui-ci indique que « les syndicalistes, les lanceurs d'alerte, les militants associatifs, les chercheurs et intellectuels engagés, les féministes, les écologistes, les paysans, les militants des quartiers populaires sont invités à se porter candidats ». Or, dans cette liste à la Prévert, on a oublié les ouvriers et les techniciens ! (comme quoi, quelques années au PCF, ça vous marque). Silence gêné des organisateurs, qui finalement s’en sortent avec un « ta remarque est notée, camarade ». Et tout le monde signe le document (2) sans autre forme de procès.
La profession de foi étant signée, on peut passer à la suite de l’office – pardon, de la réunion. Le chapitre suivant étant une revue de la situation de la circonscription, faite par l’élu local et par le vieux militant. Comme je l’ai dit, c’est une circonscription populaire, perdue par le PCF en 2012, et qu’ils comptent aujourd’hui récupérer. Une longue séquence est consacrée à la lecture moqueuse du tract du candidat PCF, une pointure locale, qui a présenté sa candidature le jour même. La question des rapports avec le PCF est longuement évoquée : le candidat PCF apparemment n’a même pas parlé de Jean-Luc Mélenchon, et les communistes semblent faire l’impasse sur la présidentielle pour se consacrer aux législatives. Murmures de désapprobation dans l’assistance.
Ensuite, on rentre dans le vif du sujet. La procédure, décrite dans la vidéo, est rappelée : la réunion est censée proposer un certain nombre de « binômes » à la parité stricte, on distribue aux présents des petits papiers, pour qu’ils écrivent les noms qu’ils proposent. Certains soulignent qu’ils ne connaissent personne, on les invite alors à écrire des critères plutôt que des noms. Le dépouillement aboutit au résultat prévisible : comme on ne veut faire de la peine à personne, tous les présents sont proposés – moi y compris. Quant aux critères, ce sont toujours les mêmes : des jeunes, de « militants de terrain », des femmes, des personnes issues de la diversité… Certains demandent que leurs noms soient enlevés de la liste. On passe ensuite à l’examen des noms des personnes qui se sont proposées elles-mêmes sur internet. Personne ne les connaît… sauf un nom, celui d’un dirigeant national du PG très proche de Mélenchon. Le vieux militant souligne qu’une telle candidature serait vécue par les communistes comme une provocation, et que « ce serait la guerre ». Cela semble inquiéter tout le monde, mais en même temps personne n’ose s’y opposer. Il est décidé à la fin que le nom du dirigeant en question sera proposé, mais avec des réserves politiques. L’organisateur nous informe que de toute manière ce dirigeant vise deux autres circonscriptions « éligibles », donc pas trop d’inquiétude à avoir...
C’est alors que je ne peux m’empêcher de poser une question. Qu’est ce qui adviendra de ces noms ? On nous a dit qu’ils seront examinés par une « commission électorale » nationale qui décidera in fine des investitures. Mais comment cette commission pourrait se prononcer sur des informations aussi vagues que « X. syndicaliste engagé dans les luttes contre la loi El Khomri » ou « Y. très engagée pour les sans-papiers » ? Ne faudrait-il pas envoyer des CV ? Et qui va les contrôler ? Moment de panique dans l’équipe organisatrice… qui finalement répond sans répondre qu’on « s’organisera en marchant » et autres banalités du genre. Personne ne moufte.
L’heure avançant, j’ai du m’excuser et rentrer chez moi pour me coucher à une heure décente. Je ne suis donc pas resté pour la fin de la réunion. Mais ce que j’ai vu me confirme dans ma première perception : ces réunions ne sont que des rituels de mobilisation. Elles visent à donner aux « insoumis » de base l’illusion qu’ils participent à un processus de décision, alors que celui-ci est totalement verrouillé. La « commission nationale » - dont la composition est totalement contrôlée par Mélenchon – recevra des milliers de noms (à dix par circonscription, ça va vite…). Qu’est ce qu’elle en fera ? Avec quels moyens ? Mystère… mais il y fort à parier qu’on verra apparaître quelques copains de Mélenchon dans les rares circonscriptions « éligibles » !
Descartes
(1) A ce point du récit, je dois présenter mes excuses aux présents dans cette réunion d’avoir décliné une fausse identité. Mais je peux invoquer des circonstances atténuantes. D’une part, étant donné le sectarisme ambiant, je n’ai pas envie de devoir regarder derrière mon épaule chaque fois que je rentre chez moi. Mais aussi, camarades, m’auriez-vous laissé observer librement le déroulement de la réunion si je vous avais dit l’objet de ma visite ?
(2) Oui, tout le monde. Moi aussi. Je sais que j’avais dit le contraire, mais comme disait mon bon maître, il faut choisir son rôle. On ne peut être en même temps observateur et acteur. Et dès lors que j’avais choisi d’être observateur, je n’avais pas à modifier la dynamique de la réunion par une intervention.
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