Saint-Aignan, coupure de l’A1 et maintenant Moirans. Les faits se suivent et se répètent. A chaque fois, c’est la même chose. Une « communauté » - et je ne dirai pas laquelle, car au fond peu importe que ce soit celle-ci ou celle-là - s’octroie le droit de faire pression sur l’ensemble de la collectivité par la violence : en coupant des arbres, en détruisant des biens, en dégradant les infrastructures publiques, en perturbant les services publics, en agressant les citoyens. Et que fait l’Etat ? Que fait l’autorité dont la responsabilité première est le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique ? Rien. Ou alors pas grande chose.
Prenons les destructions commises à Saint-Aignan, dans le Loir et Cher. Dans cette paisible commune, la « communauté » avait fort mal réagi au fait que l’un de ses membres ait été tué par un gendarme alors qu’il essayait de forcer un barrage après avoir commis un vol, et son complice arrêté. C’était en juillet 2010. La « communauté » avait alors abattu des arbres centenaires (1), saccagé des commerces, brûlé des voitures, agressé des habitants pour « exiger » la libération du complice et la condamnation du gendarme. A ce jour, personne n’a été poursuivi ni même interpellée pour ces faits.
Le scénario s’est reproduit en août 2015, lorsque la « communauté » a voulu faire pression sur l’Etat pour qu’il permette au fils d’un membre de la communauté tué par balle de sortir de prison pour assister aux obsèques, sortie refusée par le juge d’application des peines. A cet effet, la « communauté » a abattu des arbres et brûlé des palettes sur l’autoroute A1 dans la Somme, provoquant non seulement l’arrêt de la circulation, mais des dommages à l’ouvrage à hauteur d’un demi million d’euros. La Cour d’Appel d’Amiens s’est dûment couché, et tout le monde est rentré chez lui. Trois mois plus tard, pas la moindre interpellation. Pas la moindre garde à vue. Pas la moindre mise en examen.
Alors, pourquoi se gêner ? Les événements de cette semaine à Moirans dans l’Isère reprennent la logique des deux cas précédents, mais en l’exagérant jusqu’à l’absurde. En revenant d’un cambriolage, un jeune homme se tue avec trois de ses camarades en rentrant dans un arbre alors qu’il roulait dans une voiture volée. Son frère, condamné pour vol avec violence et avec arme à cinq ans de prison, se voit refuser une permission de sortie pour assister aux obsèques. Car le petit ange est non seulement un délinquant dangereux, mais a exercé des violences sur son co-détenu. Mais une telle « injustice » ne peut rester impunie : la « communauté » incendiera des voitures, agressera et pillera des commerces, endommagera la ligne ferroviaire et bloquera plus d’une centaine de trains. Là encore, pas d’intervention des forces de l’ordre, pas d’interpellations. On me dira qu’il ne s’est écoulé que quelques jours, que l’enquête ne fait que commencer, que la justice prend son temps, que le Premier ministre a affirmé que les coupables seront punis. Fort bien. Mais si je me fonde sur les exemples que je viens d’exposer, on peut douter des résultats.
Incapable d’affronter un conflit, d’entendre et de dire certaines vérités – par exemple, que les délinquants doivent être punis et que le prisonnier n’est pas une victime – notre société – et nos gouvernants en tête – fait tout son possible pour le nier. On accuse la gauche de « laxisme » et on a tort. Ce n’est pas du « laxisme », c’est de la peur. Après avoir alimenté une logique où celui qui conteste l’institution est forcément une pauvre « victime », la gauche se trouve piégée par son œuvre. Car comment soutenir dans une logique de fermeté le juge qui refuse une permission de sortie ou le gendarme qui réprime une émeute après avoir chanté le « tous victimes » à propos de chaque « communauté » ? Oui, monsieur le procureur, il a volé, il a menacé avec une arme, il a frappé son codétenu, mais comprenez-le, c’est une victime de la société, sa « communauté » est discriminée, l’Etat ne s’occupe pas de lui. Voici une dame dont l’un des enfants est en prison pour un délit grave, et dont le second se tue au volant d’une voiture volée en revenant d’un cambriolage. Et elle a le toupet de menacer l’Etat, d’exiger pour ses enfants un « respect » qu’ils n’ont pas eu, eux, pour la société ? Et ce n’est pas le pire : on trouve un maire pour dire que « il n’y a pas de problèmes » avec la « communauté » en question, un intellectuel pour dire que la décision de ne pas accorder une permission de sortie est « inhumaine » ? On ne sait s’il faut rire ou pleurer. Le cambrioleur est une « victime ». L’auteur de l’attaque à main armée est une « victime ». Et ce sont les honnêtes gens qui se lèvent tous les matins pour aller travailler ou – et ils sont de plus en plus nombreux – pour pointer au chômage, qui ne cambriolent personne, qui ne volent personne, et qui voient leur maison cambriolée, leur voiture brûlée qui sont les « bourreaux ». Et qui sont appelés à payer les dégâts par un Etat qui semble avoir peur de son ombre.
Car l’Etat a peur, et c’est pour cela qu’il n’y a jamais de poursuites dans ces affaires. Le premier souci des autorités, qui savent que les faiseurs d’opinion ne les soutiendront pas, c’est « pas de vagues ». Agir, c’est prendre le risque d’un mort ou d’un blessé, et d’un déchaînement médiatique qui leur fera immanquablement porter le chapeau (2). A quoi bon prendre le risque d’enflammer le conflit en pratiquant une politique de fermeté ? Mieux vaut faire profil bas, laisser tomber les poursuites, faire payer par les contribuables les dégâts et passer à autre chose. De toute façon, le public oubliera vite. Qui a demande aux autorités des comptes sur les évènements de Saint-Aignan quatre ans après les faits ? Personne.
On s’étonne alors qu’il faille 48 heures pour interpeller cinq employés d’Air France déchireurs de la chemise de leur DRH alors que quatre ans après les événements de Saintè-Aignan il n’y a toujours pas d’interpellation dans la « communauté » concernée. Pourtant, l’explication est simple : tout le monde savait que l’interpellation des militants syndicaux était sans risque. Que les personnes concernées se laisseraient mettre en garde à vue sans faire du grabuge. La probabilité que les policiers venus les arrêter soient reçus à coups de chevrotine ou de pierres était nulle. Tout comme la chance que les familles des interpellés bloquent une autoroute ou une voie ferrée en y brûlant des palettes ou des voitures. La célérité des procédures est inversement proportionnelle au pouvoir de nuisance de telle ou telle « communauté » : Il y a des « communautés » qui n’hésitent pas à avoir recours à la violence – et qui sont craintes par les autorités. Et il y a des citoyens qui n’ont pas de « communauté » pour les protéger et qui ne font peur à personne – et on n’hésite pas à leur marcher dessus. Et cela aboutit à une prime à la violence, qui ne peut que susciter des vocations.
Descartes
(1) J’insiste sur ce point, parce que je pense qu’il est important. Détruire un arbre ancien, c’est comme tuer une personne ou détruire une œuvre d’art ou un monument : c’est porter atteinte à l’irremplaçable. Avec de l’argent, on peut reconstruire un gymnase, racheter une voiture, refaire un commerce. Mais tout l’argent du monde ne peut remettre un arbre centenaire une fois abattu.
(2) Voir à ce sujet l’article surréaliste publié dans « Le Monde » daté du 23 octobre 2015 par la famille de Rémi Fraisse, qui commence par cette formule choc : « Nous avons appris que l’Etat en France pouvait tuer ». Et qui finit par cette injonction : « nous voulons comprendre comment un gendarme peut envoyer une grenade mortelle dans de telles circonstances, comment des commandants de gendarmerie ont pu donner l’ordre d’user de ces armes, alors que leur métier est de circonscrire la violence ». Je pense que ce vœu est facile à exaucer. Il faudrait donner à ces gens un uniforme de gendarme, et les envoyer sur une opération de maintien de l’ordre contre les « zadistes ». Ils comprendront alors peut-être que les gendarmes n’usent pas de « ces armes » pour se faire plaisir, et qu’un pavé au coin de la gueule ça peut faire très mal.
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