La n-ième « réforme » de l’enseignement est en marche, et aujourd’hui c’est le collège qui s’y colle. Mais pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant d’anathèmes jetés à la figure, de noms d’oiseau échangés ? Ne peut-on pour une fois débattre tranquillement et sérieusement d’une affaire qui nous concerne tous ? Après tout, ne voulons-nous tous la même chose, à savoir, la meilleure école possible pour nos enfants ?
Poser la question, c’est y répondre. Non, nous ne pouvons pas débattre sereinement de ces questions. Et la raison, bien entendu, c’est que nous ne voulons pas, mais alors pas du tout, la même chose. Nous voulons bien entendu tous la meilleure école pour nos enfants. Mais sommes nous – et la question s’adresse d’abord à ceux qui ont le plus – prêts à payer pour la meilleure école pour les enfants des autres ? Rien de moins évident. Et dès lors qu’on pose la question en ces termes, on quitte la question pédagogique, celle de savoir comment le mieux former nos jeunes, pour entrer dans la question compliquée de savoir qui doit accéder à quelles connaissances et qui doit en être privé pour des questions d’économie. Une question qui est intimement associée à celle de la citoyenneté.
De ce point de vue, il n’est pas inintéressant de lire la tribune publiée par un groupe d’enseignants dans le journal « Le Monde » du jeudi 14 mai, sous le titre « Enseignement de l’histoire au collège : halte aux mensonges et aux fantasmes ». Parmi les signataires de cette tribune, on ne reconnaît aucune personnalité de premier plan. Mais on sait bien que le vulgus pecum n’a pas tribune ouverte dans le vénérable journal du soir, et la tribune en question reprend d’une manière tellement mécanique les arguments brandis par les ténors du Parti Socialiste, qu’il est assez évident que cette tribune fait partie d’une campagne politique. Mais ce qui est intéressant, comme souvent dans ce genre de tribune, c’est la vision qui sous-tend l’argumentation, et qui transparaît quelquefois sans que les auteurs s’en aperçoivent. Et ici, on n’est pas déçu. Voici le paragraphe le plus intéressant :
Au-delà, ces prises de position reflètent une erreur plus fondamentale. Il faut n'avoir pas mis les pieds depuis très longtemps dans une salle de classe pour croire que ce qui se joue dans un cours d'histoire est de l'ordre de l'adhésion à la nation (…) N'en déplaise à beaucoup, il y a longtemps que l'inculcation du patriotisme n'est plus la mission première de l'école républicaine. Les enseignants d'histoire-géographie n'ont pas pour vocation de fabriquer la loyauté nationale de leurs élèves, quand bien même ils le pourraient, mais de les aider à se construire comme de futurs citoyens, c'est-à-dire comme des libres acteurs du présent et du futur à partir d'une connaissance critique du passé.
Les signataires de la tribune – tous enseignants du supérieur - « n’ont pas mis les pieds depuis très longtemps dans une salle de classe », ce qui donne une saveur particulière à leur remarque. Goûtons aussi à ce délicieux « n’en déplaise à certains », qui prétend nous faire accepter comme inévitable ce qui n’est qu’un état de fait. Ce n’est pas parce que « il y a longtemps » qu’on fait les choses en dépit du bon sens qu’il faut continuer, et « n’en déplaise à certains » ce qui n’est pas aujourd’hui vrai pourrait le devenir – ou le redevenir – demain. Mais ce n’est pas là le plus intéressant.
Admettons que la « mission primaire » de l’école soit, comme nous le disent ces éminents professeurs, « aider les élèves à se construire comme des futures citoyens » en dehors de toute « adhésion à la nation ». Mais c’est quoi, être « citoyen » ? Pour ces éminents professeurs, il semblerait que la « citoyenneté » se réduise à être « libre acteur du présent et du futur ». A croire les tenants de cette vision, le « citoyen » se construit en lui-même. C’est oublier que le terme « citoyen » se réfère d’abord à une « cité ». Peut-on être « citoyen » hors-sol, pour ainsi dire ? Peut-on parler de « citoyenneté » alors qu’on voue aux gémonies toute loyauté envers une « cité » au nom d’une conception purement individualiste du citoyen ?
Le professeur d’histoire-géographie n’est pas un envoyé des dieux. Son droit à se mettre devant sa classe et d’exiger de ses élèves attention et écoute n’est pas de droit divin. S’il peut le faire, c’est qu’il est institué par la collectivité nationale. C’est pourquoi il enseigne dans un bâtiment dont l’entré est décoré du drapeau tricolore et de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». Et qu’à la fin de chaque mois il reçoit un virement payé par l’argent de nos impôts. Dans ces conditions, comment pourrait-il ne pas avoir pour « fonction primaire » de susciter « l’adhésion à la nation », puisque cette adhésion est la condition nécessaire de sa propre autorité dans la classe ? Que fera le professeur lorsque l’élève « citoyen », « libre acteur du présent et du futur », utilisera cette « liberté » pour affirmer que Dieu a créé le ciel et la terre, et que la théorie du Big Bang comme celle de l’évolution ne sont que des inventions – qui plus est blasphématoires ?
L’élève, parce que c’est un être inachevé, immature, ne peut assumer la responsabilité que les pédagogues prétendent placer en lui. S’il était capable d’utiliser son sens critique pour séparer le vrai du faux, il ne serait plus un élève. L’élève n’est « citoyen » qu’en puissance, et il le devient au fur et à mesure qu’il intègre le savoir mais aussi la mémoire et les comportements développés par les générations qui l’ont précédé. Mais cette intégration nécessite de la part de l’élève une attitude d’écoute, d’attention, de respect. Et pourquoi l’élève respecterait-il, écouterait-il, ferait-il attention au maître ? Parce qu’il « sait » ? Mais d’abord, qui certifie que le maître « sait » ? Qui certifie qu’il faut apprendre ce que le professeur enseigne, même si ce qu’il dit contredit wikipédia, monsieur le curé ou l’imam, ou même les parents ? Comment le professeur pourrait se passer de l’institution symbolique que seule la Nation peut conférer ? Et comment cette institution symbolique pourrait-elle fonctionner si l’élève ne ressent aucune « loyauté » envers la Nation qui la confère ? Comment les professeurs ne réalisent-ils pas qu’en renonçant à constituer la « loyauté à la nation » ils scient la branche sur laquelle ils sont eux-mêmes assis ?
Ce n’est pas par hasard à mon avis si cette tribune est signée par des professeurs d’histoire exerçant dans le supérieur. Les enseignants universitaires exercent auprès d’étudiants qui, étant des citoyens de plein exercice, viennent au cours volontairement et s’en vont si le cours ne leur convient pas. Contrairement aux professeurs du secondaire, leur travail ne consiste pas à faire entrer des savoirs et des méthodes de travail dans la tête d’élèves qui n’ont jamais demandé à être là. Mais les professeurs secondaires, eux, ne sont protégés que par le respect du à leur investiture. Qu’il cède, et c’en est fini de leur autorité – et ce qui est plus grave, de leur capacité à transmettre.
Si « erreur fondamentale » il y a, c’est bien cette conception de l’école qui la place « hors-sol », comme si une institution symbolique pouvait exister par elle-même, comme si on pouvait former des « citoyens » sans penser à la « cité », comme si l’élève allait faire confiance au professeur parce que c’est le professeur. Bien pire que la dégradation des moyens et des programmes, c’est cette « erreur fondamentale » qui dégrade les rapports au sein de la « communauté éducative » - expression canonique qui n’a rien d’innocent, et qui montre combien notre société a peur du mot « institution ». Une école qui ne se fixe pas comme objectif de former la "loyauté à la nation" se condamne elle même à n'être qu'un supermarché du savoir. Et on sait qu'au supermarché, seuls ceux qui ont de l'argent peuvent emporter la marchandise. Mais c'est peut-être là le but ?
Descartes
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