On trouve des choses bizarres sur le site internet du Parti de Gauche. Voici le texte intégral du dernier communiqué paru sous le titre « Le Monde : une crise d’identité salutaire » et sous la signature du Boss lui-même, Jean-Luc Mélenchon « co-président du Parti de Gauche et député européen du Front de Gauche » (c'est moi qui souligne) :
« C’est le refus par Nathalie Nougayrède du dialogue que je lui proposais qui a ruiné la relation de mon parti avec "Le Monde". Il est prouvé à présent que cette arrogance a également ruiné l’équipe de direction de ce journal. La moitié de celle-ci vient de démissionner.
"Le Monde " traverse une salutaire crise d’identité après une lourde dérive vers la droite et l’atlantisme agressif de sa ligne éditoriale. Par mesure de bienveillance et de compréhension pour les difficultés rencontrées par ces professionnels, j’accepte la présence éventuelle de journalistes du Monde dans mes meetings et je renonce à faire filmer leurs agissements hostiles. »
Ce communiqué a de quoi surprendre le lecteur égaré sur la toile et qui serait tombé sur le site en question. Et de quoi passionner l’observateur de la vie politique en général et du microcosme gauchiste en particulier. Sans le vouloir, Jean-Luc Mélenchon révèle en deux courts paragraphes beaucoup de choses intéressantes.
D’abord, on y apprend que Mélenchon a proposé à la directrice du Monde un « dialogue », que la journaliste aurait refusé. Et que ce refus a « ruiné la relation » du Parti de Gauche avec le journal. C’est curieux, non ? Imagine-t-on ce qu’aurait dit Mélenchon si l’on avait appris que Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen avaient proposé à Nathalie Nougayrède un « dialogue » pour discuter « les relations de son parti avec Le Monde » ? Et quels auraient été ses hauts cris si la directrice du journal avait accepté un tel « dialogue » ?
Les journaux ne sont pas, bien entendu, les organes d’information « neutre » qu’ils prétendent être. Ceci est autant vrai du Figaro que de l’Humanité, de Libération comme du Monde. Chacun a ses options idéologiques et politiques, et informe ses lecteurs à travers le prisme de ces options, avec plus ou moins d’honnêteté et plus ou moins de déontologie. Mais un journal n’a de comptes à rendre – en dehors du cas du délit de diffamation ou de calomnie – qu’à ses lecteurs. Qui sont libres de changer de crémerie si le produit qui leur est livré ne leur satisfait pas. Et pour cette raison, un journal n’a pas à établir un quelconque « dialogue » avec un parti politique et encore moins à avoir des « relations » avec lui. Et encore moins lorsque ce « dialogue » est secret. Car c’est cela le point le plus étonnant de l’affaire : je n’ai pas réussi à trouver la moindre trace de la « proposition de dialogue » dont parle Mélenchon ou du refus de Nougayrède. Je dois donc conclure que la « proposition » en question avait été faite en toute confidentialité, et qu’elle n’est révélée aujourd’hui que parce qu’elle a été refusée. C’est tout de même une curieuse conception des rapports entre les journaux et les partis politiques.
Mais la phrase la plus intéressante du communique est la dernière : « Par mesure de bienveillance et de compréhension pour les difficultés rencontrées par ces professionnels, j’accepte la présence éventuelle de journalistes du Monde dans mes meetings et je renonce à faire filmer leurs agissements hostiles ». Pour comprendre ce paragraphe, il faut relire ce qu’avait écrit sur son blog le même Mélenchon le 4 mai 2014 (c’est moi qui souligne) :
« Après quoi je dois préciser que je n’ai, à titre personnel, aucune envie de voir dans ma campagne le journal des publireportages sur les Le Pen qu’est « Le Monde » pointer ses petites pattes pleines de fiel. Qu’il reste à la maison ! Car s’il venait, ce serait pour jeter du venin, exciter les divisions ou se livrer à des provocations. C’est déjà ce qui a été fait contre mon camarade Gabriel Amard dans la circonscription du Grand Est. Ce coup-là, le drôle de la situation, c’est que le « journaliste » du glorieux « Le Monde » s’est présenté comme étant celui de « Libération ». Aucun des « journalistes » de ces deux quotidiens ne sont bienvenus dans mes meetings et déplacements tant qu’ils travaillent pour ces quotidiens ! D’ailleurs, j’appelle mes amis à les surveiller de façon étroite et vigilante, à filmer leurs agissements, si possible, dès qu’ils les repèrent, qu’ils agissent à découvert ou qu’ils se cachent sous des faux noms. » (1)
Par cet étrange raisonnement, Mélenchon prétend donc décider qui a le droit d’assister à ses meetings, transformant ainsi ce qui est d’habitude une manifestation publique en réunion privée. Pourquoi pas. Mais demain, faudra pas venir pleurnicher que Le Monde ou Libération ne couvrent pas la campagne du Front de Gauche. On ne peut pas déclarer « personna non grata » les journalistes et ensuite prétendre qu’ils couvrent vos initiatives.
Mais surtout, on voit pointer la tentation du « flicage » qui sommeille dans chaque trotskyste. Cet appel à surveiller les journalistes « de façon étroite et vigilante », de les filmer, ce n’est pas neutre. Mais si l’ordre était grave, le contrordre est ridicule. Ecrire que « Par mesure de bienveillance et de compréhension pour les difficultés rencontrées par ces professionnels, j’accepte la présence éventuelle de journalistes du Monde dans mes meetings et je renonce à faire filmer leurs agissements hostiles », cela a un petit côté irréel. Après avoir mis en cause justement le professionnalisme et la déontologie des « professionnels » en question, Mélenchon le Magnanime est prêt à leur ouvrir la porte de ses meetings – qui, rappelons-le, sont des manifestations publiques et à ce titre ouvertes à tous – par « bienveillance » envers on ne sait quelles « difficultés » que rencontreraient les journalistes du Monde du fait de la crise dans leur direction. Curieusement, alors que Libération est lui aussi en crise, Mélenchon ne lève pas l’interdit qui pèse sur ce dernier journal. Mais peut-être que certains « professionnels » sont plus professionnels que d’autres…
En fait, au-delà de ses décrets impériaux - qui laissent entrevoir une dérive mégalomaniaque et paranoïaque qui est en train d’effacer les côtés sympathiques du personnage - Mélenchon essaye de refaire le coup de la victimisation. Il n’y a que la cible qui change : hier c’était le « salaud » Pujadas, aujourd’hui c’est « l’arrogante » Nougayrède. Mais le but est le même : donner à ses troupes un adversaire à qui on pourra demain attribuer ses mauvais résultats. Car n’en doutez pas : si le Front de Gauche se plante – et cela ne m’étonnerait guère –, si Marine Le Pen arrive en tête – et cela ne m’étonnerait guère plus – ce sera certainement la faute au Monde.
Descartes
(1) Simple curiosité : qu’est ce qu’on peut bien « filmer » qui révélerait les « provocations » d’un journaliste ? Un homme prenant des notes sur un calepin ? Une femme tendant un micro à un militant ou à un dirigeant ? Un jeune prenant des photos avec son portable ? Et que se propose Mélenchon de faire avec les vidéos obtenues par ce moyen ?
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